Retourner au contenu.

Outils personnels
Vous êtes ici : Accueil Educmath Ressources Etudes Histoire de la C.R.E.M. (1996-1999)
Actions sur le document

Histoire de la C.R.E.M. (1996-1999)

Dernière modification 09/04/2007 18:45

Première partie de l'histoire, écrite par J.-C. Duperret, de la Commission de Réflexion sur l'Enseignement des Mathématiques

Les travaux de la CREM sont aujourd'hui des références pour tous ceux qui s'intéressent à l'enseignement des mathématiques. C'est pourquoi nous avons demandé à Jean-Claude Duperret, qui en a assuré le secrétariat, de retracer le développement de cette commission. Jean-Pierre Kahane, qui fut son premier président, avait introduit cette genèse dans son éditorial pour EducMath en septembre 2006. Nous remercions vivement Jean-Pierre Kahane et Jean-Claude Duperret de resituer ainsi les travaux de la CREM dans leur histoire. Cette étude est la première partie de cette histoire, les lecteurs, acteurs à des titres divers de la CREM, peuvent donner leur point de vue dans le forum qui est attaché à cette étude.

Jean-Claude Duperret, animateur actif du réseau des IREM et de l'APMEP, est responsable du centre IUFM de Troyes.
Contact : Jean-Claude Duperret

Genèse et premiers travaux de la commission (1996-1999)

Lorsque Luc Trouche m’a demandé de faire une étude sur les travaux de la CREM, mon premier réflexe a été de dire non devant l’ampleur et la complexité de la tâche… ce qui a retardé la mise en ligne prévue sur le site EducMath en septembre 2006.
Ayant eu en charge les compte-rendus et les communiqués de cette commission pendant les quatre premières années de ses travaux, je me trouvais en effet par rapport à cette sollicitation témoin privilégié. Mais cette position me permettait aussi de mesurer la difficulté de rendre compte de façon synthétique du foisonnement d’idées qui ont permis à la CREM de produire un certain nombre de rapports sur l’enseignement des mathématiques et sur leurs interactions avec les autres disciplines. Si je prends seulement les compte-rendus des quatre premières réunions, ils représentent une quarantaine de pages.
Jean-Pierre Kahane a cependant lui tenu les délais en faisant une première présentation de cette commission, dont il fût le président, dans la tribune qu’il a proposée en septembre 2006 sur ce site.

C'est pourquoi, à sa suite, je vais apporter mon regard sur ce qui fut pour moi une expérience particulièrement riche et dense, et la formule que j'ai retenue pour cela est celle d'un historique des travaux de cette commission. En relisant en effet les compte-rendus et communiqués produits, je me suis aperçu que nombre de questions abordées sont toujours d'actualité, et les remettre en perspective six ans après témoigne de leur importance et de leur permanence.

Cette commission, ou plutôt ces commissions successives, puisqu'elle a régulièrement été renouvelée de façon partielle, ce sont d'abord des personnes. Et je dois souligner leur investissement, que ce soit lors des réunions plénières qui serviront de fil conducteur à mon propos, mais que ce soit aussi lors des travaux des sous-commissions plus spécialement chargées d'un dossier. Si en effet les rapports d'étape ont été confiés à certains membres de la commission qui ont eu la lourde tâche de synthétiser les réflexions et de rédiger le document final, tous les membres de la commission ont été associés à un ou plusieurs de ces rapports.

Cette commission a d'autre part voulu s'ouvrir au maximum pour enrichir ses travaux et sa réflexion, et un certain nombre d'experts ont accepté de se faire « auditionner » au fil des différents dossiers en chantier. C'est donc dans le compte-rendu des différentes réunions que vous découvrirez ces « invités » qui nous ont permis d'être plus au clair sur des dossiers souvent très complexes. A titre d'exemple, vous trouverez en annexe finale la communication que nous a fait Edmond Malinvaud le 27 novembre 1999, et dont le contenu est toujours d'actualité.

Cette commission doit enfin beaucoup à celui qui en fût le premier président, qui lui a apporté toute sa passion et toute son expertise, qui a su fédérer l'énergie et la richesse de ses différents membres et créer un climat de travail, de respect et d'estime mutuelle. Cela explique et justifie la dénomination usuelle de la CREM : commission Kahane. C'est du reste par un extrait d'un texte qu'il a produit avec Catherine Combelles, qui m'a relayée dans ce rôle lourd, exigeant, mais passionnant de secrétaire des travaux de la CREM, que je vais commencer cet historique, texte dans lequel ils donnent l'environnement qui a conduit à la naissance de cette commission.

Puis je proposerai un résumé des quatre premières réunions qui ont eu lieu en 1999, en gardant le ton du présent pour faire revivre ces premiers travaux, réflexions et échanges tels qu'ils ont été effectivement vécus à l'époque, en terminant comme je l'ai dit plus avant par une communication d'Edmond Malinvaud à titre d'exemple des apports extérieurs. Ce premier texte sera suivi d'autres textes, dont le premier concernera l'année 2000 et les premiers rapports de la CREM.

Naissance de la CREM

Texte de Catherine Combelles et Jean-Pierre Kahane

La commission n'est pas née par hasard ; sa fondation est en effet l'aboutissement d'un mouvement d'interrogation, de réflexion, entamé dés 1996 dans le milieu des enseignants de mathématiques de tous horizons.

Ce besoin de réflexion faisait suite à des secousses importantes, voire à un véritable séisme de notre système éducatif : celui-ci a connu depuis 1960 un développement quantitatif important qui s'est traduit par l'allongement de la durée des études puisque l'espérance de scolarisation à l'entrée dans le système scolaire atteint 19 ans en 1996. Cette évolution a commencé dans les années 1960 à 1970, avec l'essor de la scolarisation en “ école maternelle ”, école préélémentaire pour les enfants de trois à six ans, confiée en France à des enseignants du cycle primaire et non à des puéricultrices. Puis ce fut l'irruption de l'ensemble des jeunes dans l'enseignement secondaire : d'abord dans le “ collège ” unique, où les jeunes de 11 à 15 ans suivent pendant quatre ans un enseignement commun à tous, ensuite, à partir de 1985, une généralisation des études en lycée (d'une durée de trois ans, et diversifiées en plusieurs filières : générales, technologiques ou professionnelles). Enfin ce fut une croissance très rapide des effectifs de l'enseignement supérieur : c'est ainsi que le nombre d'étudiants entamant des études “ maths-physique ” à l'université est passé de 4800 en 1988 à 28600 en 1994 !

Le système a résisté à la tempête au prix d'ajustements des structures, des contenus, de l'évaluation des élèves : en mathématiques, ces transformations ont eu pour effet de permettre à davantage de lycéens de poursuivre des études supérieures scientifiques, mais au prix de réductions de contenus et d'horaires qui ont appauvri l'enseignement et élargi le fossé entre enseignement secondaire et enseignement supérieur.Cette période d'expansion quantitative importante, qui a pris fin vers 1996, a provoqué des besoins nouveaux, à la fois qualitatifs et quantitatifs et la communauté mathématique a entamé alors une réflexion approfondie car une redéfinition des objectifs, des contenus, des outils et des méthodes paraissait indispensable. Les demandes étaient multiples et parfois contradictoires : comment s'adapter à un nouveau public, issu de toutes origines sociales, alors que le public traditionnel des universités était majoritairement issu de couches culturellement favorisées ? Comment faire évoluer les contenus pour les adapter au nouveau paysage scientifique et technique marqué par l'expansion de l'informatique, par des besoins accrus de toutes les disciplines en mathématiques, et par l'utilisation de nouveaux moyens de calculs toujours plus performants ? Comment prendre en compte les besoins grandissants du citoyen ordinaire en mathématiques, et comment déterminer ces besoins ?

C'est dans ce contexte que s'est constitué en 1996, à l'initiative de la Société Mathématique de France, un groupe de réflexion regroupant des représentants de quatre associations fortement impliquées dans l'enseignement des mathématiques :
- l''Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public (APMEP), qui rassemble tous les enseignants de Mathématiques qui le souhaitent, de la maternelle à l'université, mais est surtout implantée dans l'enseignement secondaire, (collèges et lycées) ;
- la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI), qui réunit des mathématiciens professionnels spécialisés dans les applications dont beaucoup enseignent dans le supérieur et en particulier dans les écoles d'ingénieurs ;
- la Société Mathématique de France (SMF), qui regroupe des mathématiciens professionnels, donc beaucoup d'enseignants-chercheurs de l'université ;
- l'Union des Professeurs de Spéciales (UPS), constituée des professeurs de Mathématiques mais aussi de Sciences Physiques exerçant dans les classes préparatoires préparant aux concours des grandes écoles scientifiques, écoles d'ingénieurs et Ecoles Normales Supérieures.   

Ce groupe (le G.R.I.A.M., Groupe Inter-Associations de Mathématiciens) amorce une analyse de la situation, mettant notamment en cause les programmes de lycée et la nature de l'évaluation des élèves. Il propose des pistes pour adapter l'enseignement des mathématiques aux exigences nouvelles : il réclame de mettre l'accent sur l'autonomie des élèves, et insiste à la fois sur l'importance des activités de recherche, et sur la formation au raisonnement, souhaitant que soit trouvé un équilibre entre “ imagination et rigueur ”. Il réclame aussi la transformation de l'épreuve du Baccalauréat, demandant qu'elle soit conçue de façon à encourager une formation de qualité, alors qu'elle s'est beaucoup standardisée et conduit au bachotage d'une petit nombre d'exercices techniques.

Le GRIAM fait connaître ces réflexions à travers les revues et les sites Internet des diverses associations, mais aussi grâce à l'organisation en mars 1997, d'un débat sur la place et le rôle des mathématiques aujourd'hui au Palais de la Découverte, à Paris. La liste des intervenants ne manque pas d'intérêt, il s'agit de :
- Claude Allègre (géophysicien, invité en tant qu'auteur du livre “ La défaite de Platon ”) ;
- Michel Broué (mathématicien, membre du Conseil National des Programmes) ;
- François Cuzin (biologiste) ;
- Didier Dacunha-Castelle (mathématicien) ;
- Ivar Ekeland (mathématicien) ;
- Luc Ferry (philosophe, Président du Conseil National des Programmes) ;

Les organisateurs ignoraient bien sûr que deux futurs ministres de l'Education étaient sur l'estrade !

Il faut noter ici que le travail de ce groupe, et en particulier ses contacts avec des représentants d'autres disciplines, ont mis à jour une nécessité nouvelle pour les mathématiciens : celle de justifier, non seulement aux yeux des élèves ou des étudiants, mais aussi aux yeux de la société, la nécessité et l'utilité des savoirs qu'ils développent ou qu'ils enseignent. Cette réflexion concertée incite alors le ministère de l'Education, dont des membres éminents ont été liés à ce groupe, à entamer une rénovation de l'enseignement des mathématiques en ciblant son action sur la liaison lycée-université. Il met en place plusieurs commissions auxquelles coopèrent de nouveau les quatre associations, souvent à travers d'anciens membres du GRIAM : un groupe, sous la direction de Rémi Langevin, est chargé de rédiger un rapport sur l'enseignement des mathématiques dans les premières années de l'enseignement supérieur, un autre, sous la direction du doyen de l'Inspection générale de Mathématiques de l'époque, Paul Attali, est chargé de faire des propositions pour rénover l'épreuve de mathématiques au baccalauréat. Mais surtout, un groupe d'experts est nommé pour rédiger de nouveaux programmes de mathématiques pour les lycées.

Les transformations à mettre en œuvre semblent importantes et mettent en cause aussi bien l'enseignement secondaire que l'enseignement supérieur ou même élémentaire, l'enseignement de la filière scientifique, aussi bien que l'enseignement professionnel ou que la formation générale du citoyen, elles concernent aussi la formation des maîtres, initiale ou continue, ainsi que leur recrutement, et la transformation du baccalauréat. Il semble indispensable de coordonner ces diverses réformes, de diriger l'action en lui donnant une direction et des objectifs communs tournés vers le long terme, d'approfondir et d'élargir la réflexion commencée, en lui donnant une légitimité reconnue par la communauté mathématique et enseignante : c'est bien pour montrer la route qu'est créée en 1999 la Commission de Réflexion sur l'Enseignement des Mathématiques.

Les discussions présidant à sa fondation commencent en novembre 98 à l'initiative de Michel Broué, mathématicien à qui sa position de membre du Conseil National des Programmes donne la possibilité d'une intervention politique. Les associations se rencontrent à nouveau et adressent au ministre en janvier 1999 leur demande commune de mettre en place une commission de réflexion “ pour développer un mouvement réfléchi et fort de rénovation de l'enseignement des mathématiques, touchant à la fois l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur ”, pour reprendre les termes d'un courrier de l'APMEP au ministre.

Composition de la commission

La composition de la commission est mûrement réfléchie : sa richesse et son éclectisme seront un atout majeur de sa réussite. La diversité des expériences et des secteurs représentés traduit un désir d'ouverture et de prise en considération de tous les acteurs concernés sans exclusive.

Ayant été fondée à la demande des associations, elle en comprend d'abord des représentants  : certes, ils siègent à titre personnel, mais leurs liens évidents avec les associations leur donnent une légitimité certaine aux yeux de la communauté qu'ils représentent et une bonne connaissance de ses problèmes spécifiques. Leur présence assure une liaison constante entre la commission et les associations et donc avec les diverses composantes concernées par l'enseignement des mathématiques : professeurs du secondaire, enseignants de l'université, chercheurs, professeurs des Classes Préparatoires aux grandes écoles, écoles d'ingénieurs. Plusieurs ont déjà entamé une réflexion commune à l'intérieur du GRIAM et ont déjà appris à travailler ensemble.

La commission réunit ensuite les représentants les plus éminents de tous les groupes auxquels l'institution a officiellement confié l'élaboration et la mise en place des programmes de mathématiques : l'organisme chargé de diriger et de superviser l'écriture des programmes pour l'enseignement primaire et secondaire est en France le CNP (Conseil National des Programmes) : il est chargé à la fois de tous les niveaux, toutes les filières et toutes les disciplines. Il n'écrit pas lui-même les programmes, mais donne des directives à un grand nombre de groupes techniques composés d'experts de chaque discipline, les GEPS (Groupe d'Experts pour les Programmes du Secondaire). Chaque GEPS rédige pour sa discipline des programmes nationaux précisant les objectifs de l'enseignement, le détail des contenus et des capacités attendues, ainsi que des activités recommandées. L'enseignement français est fortement centralisé et hiérarchisé. Les professeurs des écoles secondaires dépendent à la fois de l'autorité de leur chef d'établissement, collège ou lycée et, pour ce qui relève de la pédagogie de leur discipline, d'un inspecteur pédagogique régional, (IPR) chargé de l'évaluation des enseignants d'une académie (le territoire français est divisé en une trentaine d'académies) pour une discipline donnée. Le corps des inspecteurs est lui-même dirigé par les Inspecteurs Généraux, sommet de la hiérarchie pour tout ce qui concerne l'enseignement d'une discipline donnée, et responsables de la mise en œuvre des programmes. C'est ainsi que la commission comprend les membres mathématiciens du CNP, la présidente du GEPS de Mathématiques, et la Doyenne de l'Inspection Générale de Mathématiques.

La commission est aussi très liée au milieu de la recherche en didactique et de la formation des maîtres : elle comprend des chercheurs en Didactique des Mathématiques, et des enseignants de mathématiques engagés dans la formation des professeurs des écoles primaires et secondaires, au sein des I.U.F.M. (les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres qui sont chargés de la formation professionnelle des enseignants, à l'issue de trois années de formation disciplinaire à l'université). Elle s'inspire des travaux menés dans les IREM, (réseau d'Instituts universitaires de Recherche sur l'Enseignement des Mathématiques, lieux de rencontres et de collaboration entre universitaires et professeurs de l'enseignement secondaire) auxquels elle est naturellement liée, puisqu'elle comprend un directeur d'IREM que deux de ses membres siègent au conseil scientifique des IREM ; elle articule d'ailleurs ses réunions avec celles de l'Assemblée des Directeurs d'IREM.

Enfin, la commission veut s'engager, dés sa constitution, sur le terrain de la coopération entre les mathématiques et les autres disciplines, et c'est dans cette optique qu'elle comprend des informaticiens et physiciens de grande envergure, ayant déjà réfléchi par ailleurs aux questions d'enseignement.

Première réunion : 17 avril 1999

La commission de réflexion sur l'enseignement des mathématiques, créée par Monsieur le Ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie, à la demande des principales associations mathématiques, s'est mise en place le 17 avril 1999 et a commencé ses travaux le 5 juin. Elle est présidée par Jean-Pierre Kahane, professeur émérite à l'Université de Paris-Sud, membre de l'Académie des Sciences et est constituée de :

- Michèle Artigue, professeur à l'Université Denis Diderot et à l'IREM de Paris-Jussieu ;
- Roger Balian, physicien au CEA, membre de l'Académie des Sciences ;
- Frédéric Bonnans, maître de conférences à l'Ecole Polytechnique, Directeur de recherche à l'INRIA ;
- Guy Brousseau, professeur honoraire à l'Université de Bordeaux 1 ;
- Michel Broué, professeur à l'Université Denis Diderot et à l'Institut Universitaire de France, membre du Conseil National des Programmes ;
- Claude Deschamps, professeur en classes préparatoires au lycée Louis le Grand à Paris ;
- Jean-Claude Duperret, professeur en collège, à l'IUFM et à l'IREM de Reims ;
- François Dusson, professeur en classes préparatoires à Rouen ;
- Olivier Faugeras, Directeur de recherche à l'INRIA de Sophia Antipolis, membre de l'Académie des Sciences ;
- Sylviane Gasquet, professeur honoraire de l'Enseignement Secondaire, membre du Conseil National des Programmes ;
- Rémi Langevin, professeur à l'Université de Bourgogne ;
- Michel Merle, professeur à l'Université de Nice ;
- Daniel Perrin, professeur à l'IUFM de Versailles et à l'Université de Paris-Sud ;
- Antoine Petit, professeur à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan ;
- Jean-Pierre Richeton, professeur en lycée et à l'IUFM de Strasbourg ;
- Claudine Robert, professeur à l'Université Joseph Fourier et à l'IUFM de Grenoble ;
- Claudine Ruget, Inspecteur Général de Mathématiques, Présidente du jury de l'agrégation de mathématiques.

D'entrée , la commission a tenu à délimiter son champ de travail. Sa mission est de dégager les évolutions à long terme des objectifs et des contenus de l'enseignement des mathématiques, de l'école élémentaire à l'université, et de faire évoluer en conséquence la formation initiale et la formation continue des enseignants de mathématiques, ainsi que les concours de recrutement. Sa réflexion doit s'exercer sur les raisons fondamentales de l'enseignement et sur les évolutions prévisibles ou souhaitables, et non sur la rédaction détaillée des programmes. Elle se propose de travailler sur quelques thèmes fondamentaux comme la place de l'informatique et le renouveau de la géométrie ; elle souhaite communiquer largement avec l'ensemble de la communauté scientifique et avec le corps enseignant et elle rendra publics des rapports d'étape sur les différentes questions à l'étude.

Réunion du 5 juin 1999

Les travaux de la commission ont commencé par un échange le plus libre possible pour permettre à ses membres de faire connaissance et d'exprimer leurs points de vue sur le travail à venir. Une première réflexion est proposée par Jean-Pierre Kahane sur le temps : le temps d'apprendre, le temps d'enseigner, le temps d'explorer et de réfléchir, le temps nécessaire au travail de la commission et le temps scolaire nécessaire au travail des élèves.

Cet temps d’échange et de réflexion a été suivi par l’adoption d'une adresse aux mathématiciens pour les inciter à produire des documents intéressants et accessibles à l'intention des professeurs des lycées et collèges  La commission propose de ne pas se borner aux mathématiciens au sens restreint, mais au contraire de prendre en considération l'ensemble des sciences mathématiques, incluant non seulement mathématiques pures et appliquées, mais les mathématiques issues des autres sciences et pratiques (économie, biologie, industries, services), avec en première place les mathématiques de la mécanique et de la physique, et la composante mathématique de l'informatique. Cette adresse, dont le texte est reproduit ci-dessous, n’a malheureusement pas eu les échos attendus…et pourtant, combien de tels textes pourraient être utiles aux formateurs et enseignants de mathématiques !

Adresse aux mathématiciens

Le besoin se fait sentir d’une meilleure communication entre les chercheurs et tous ceux qui enseignent les mathématiques. Les mathématiques, comme les arts, les lettres et les autres sciences, doivent contribuer à la culture de tous. Nous souhaitons que ceux qui participent à leur progrès aient le souci de les faire mieux connaître, en s'adressant aux enseignants à tous les niveaux, et qu’ils contribuent ainsi à la formation des élèves.
En vue de l’année mathématique 2000, la commission s’adresse aux associations professionnelles, aux sociétés savantes, aux institutions et aux auteurs potentiels pour qu’ils s’associent avec leurs moyens propres à cet objectif.
La commission souhaite que soient produits, publiés, distingués et récompensés éventuellement par des prix, des textes et documents intéressants et accessibles aux professeurs de mathématiques des lycées et collèges. Il peut s’agir d’articles, de livres, de documents audiovisuels ou multimedia, ou de tout autre support. Les sujets peuvent être constitués, selon les cas, de théories, de cas particuliers, d’applications, de problèmes, de synthèses à caractère historique. L’optique devrait être de montrer, sur des exemples, l’utilité des mathématiques dans le monde actuel, et les beautés qu’elles renferment.
Nous souhaitons que soient prises des initiatives variées, qui pourraient associer dès la conception auteurs et lecteurs potentiels, mathématiciens professionnels et amateurs, autres scientifiques et utilisateurs des mathématiques. D'excellents exemples existent déjà, en France comme à l’étranger. Il s’agit donc d’amplifier et d’accélérer un mouvement en cours.

La réunion s'est poursuivie l'après-midi avec une série d'exposés faits par deux invités informaticiens et deux membres de la commission sur la place qu'occupent les mathématiques dans leurs travaux :
- Jean-Daniel Boissonnat (INRIA), invité, a parlé de la géométrie algorithmique : diagrammes de Voronoï, triangulation de Delaunay, géométrie et combinatoire ;
- François Baccelli (ENS), invité, a parlé de la modélisation mathématique des réseaux informatiques, de l'algèbre et des probabilités qui y sont impliquées, et du statut scientifique de la simulation ;
- Olivier Faugeras a parlé du traitement et de l'analyse de l'image, et de ses liens avec la géométrie projective et avec l'algèbre (idéaux de polynômes) ;
- Claudine Ruget a présenté l'agrégation de mathématiques et son évolution récente, avec la troisième épreuve orale de modélisation.

Un large échange de vues et d'informations a suivi, sur la place de l'informatique dans l'enseignement (à l’époque essentiellement classes préparatoires, BTS et premier cycle universitaire), sur le projet de CAPES mathématiques-informatique (enterré !), sur l'option informatique de l'agrégation (critiquée), sur un projet d'agrégation mathématique-informatique, sur le matériel et sa maintenance, sur le rôle des Prag-Ntic (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) et la nécessité d'ingénieurs, sur les calculatrices et leur usage en classe, sur les cursus et les horaires.

Michel Merle, qui dirigeait cette partie de la réunion, a mandat de poursuivre avec une commission spécifique la réflexion sur le thème "informatique et enseignement des mathématiques", avec comme premier objectif de produire un rapport exposant les enjeux et les modalités possibles des formules associant l'informatique aux concours de recrutement. La réunion s'est achevée avec une mise en perspective des travaux à venir. La réflexion sur le thème géométrie sera coordonnée par Daniel Perrin. La réflexion sur le thème statistique sera coordonnée par Claudine Robert. Une réflexion est à engager sur le thème calcul, tout d'abord pour en préciser les contours.

Réunion du 11 septembre 99

La commission a principalement examiné quatre dossiers lors de cette réunion. Les trois premiers avaient pour objectif principal d'informer les membres de la commission dans le cadre de sa mission :
- le dossier sur l'histoire des réformes de l'enseignement des mathématiques répondait au souci de donner une signification historique aux évènements et aux discours qui accompagnent les réformes ;
- le dossier sur le baccalauréat est apparu incontournable : c'est en effet une véritable institution dont l'évolution conditionne en grande partie celle de l'enseignement ;
- le dossier sur les concours de recrutement est tout aussi important, car il concerne les enseignants de demain ;
- le quatrième dossier, sur la géométrie, a permis une réflexion la plus large possible sur ce thème.

L'étude de chacun de ces dossiers a été initiée par une ou plusieurs interventions. Ces interventions sur lesquelles s'appuient la réflexion de la commission ont pour objet principal de donner différents éclairages à l'étude d'un dossier. Leur fonction, leur caractère oral, la liberté d'expression nécessaire au meilleur débat au sein de la commission n'en permettent pas un compte-rendu intégral et détaillé, et nous vous en proposons donc des résumés extrêmement réducteurs, qui ont pour objectif de comprendre les enjeux des différents débats.

Dossier sur l'histoire des réformes
Ce dossier a été initié par deux interventions, celle de Guy Brousseau sur la réforme de 1970, dite des mathématiques modernes, celle de Hélène Gispert (invitée) sur l'histoire des réformes de 1789 à 1960 :
- Guy Brousseau a souligné le caractère profondément original de la (ou plutôt des réformes) de 1970, pensée par les mathématiciens, qui, pour la plupart, étaient d'accord pour soutenir un effort de profonde rénovation de l'enseignement, sur la base d'une réorganisation “ bourbachique ” des fondements de cette discipline, avec comme principale ambition de simplifier l'accès aux mathématiques pour les élèves et pour leurs utilisateurs. Il a alors donné des éléments de réflexion pour expliquer son échec, voire son rejet ;
- l'histoire des réformes de l'enseignement des mathématiques est liée à la question fondamentale suivante, source de beaucoup de tensions : les mathématiques que l'on veut enseigner dans telle ou telle institution scolaire relèvent elles d'un enseignement de culture ou d'un enseignement pratique. Hélène Gispert a montré en quoi cette question est liée à la question politique des rôles et des missions que les gouvernements successifs ont attribué à l'école. Cette intervention a été illustrée par la lecture de deux textes du 19 ème siècle particulièrement intéressants car ils pourraient parfaitement apparaître comme des textes d'actualité aujourd'hui. On y retrouve le débat de fond entre abstrait et concret, entre théorie et pratique, entre culture et utilitaire, débat qui a traversé toutes ces réformes en donnant tour à tour le primat, donc le pouvoir à l'une ou à l'autre de ces idéologies, avec un phénomène de balancier remarquablement régulier !
Le débat qui a suivi a montré toute l'importance qu'il fallait accorder à ce dossier et la commission souhaite en tenir compte dans les autres études.

Dossier sur le baccalauréat
Ce dossier a été initié par deux interventions, l'une de Jean-Pierre Richeton, l'autre de Marc Fort (invité) :
- Jean-Pierre Richeton a commencé par un rapide historique : en 1996/97, une commission calculatrice au baccalauréat a conduit une expérimentation portant sur l'utilisation de la calculatrice aux épreuves de mathématiques du baccalauréat ; en 1997/98, suite à une démarche commune de l'APMEP, de la SMAI, de la SMF et de l'UPS, cette commission, sous la présidence de Paul Attali, a été élargie en une commission baccalauréat de mathématiques qui, tout en poursuivant la réflexion sur les calculatrices, s'est préoccupée de la possibilité de sujets plus ouverts ; en 1998/99, alors que le ministère semble abandonner la perspective d'une calculatrice labellisée, cette commission a concentré son travail sur l'élaboration d'épreuves démarquées de la tradition. Jean-Pierre Richeton a alors fait le compte-rendu d'une expérimentation d'un tel type d'épreuve menée auprès de 5000 élèves de première. L'analyse fait apparaître à la fois l'intérêt des élèves et des enseignants et les difficultés souvent liées à l'impréparation à une telle évaluation. Ce thème de l'évaluation est du reste l'objectif de travail de cette commission pour 1999/2000 ;
- Marc Fort a alors informé la commission sur la mise en place début juillet par la DESCO d'une commission chargée de réfléchir à l'architecture générale du baccalauréat et de commissions chargées de réfléchir à l'organisation des nouvelles épreuves du baccalauréat dans différentes disciplines dont les mathématiques. Il est président de la commission mathématiques.
Le débat qui a suivi a porté sur la finalité du bac et sur l'évolution des modalités de son passage. Il faut toutefois examiner avec la plus grande prudence l'évolution de cet examen, et mesurer les conséquences de tout choix. La commission suivra le travail des commissions qui ont en charge ce dossier.

Dossier sur les concours de recrutement
Ce dossier a été initié par Marie-Thérèse Lacroix-Sonrier (invitée), présidente du CAPES externe de mathématiques, Marc Fort (invité ), président du CAPES interne de mathématiques (Claudine Ruget, présidente de l'agrégation externe de mathématiques avait fait une intervention sur ce concours lors de la réunion précédente) :
- Marie-Thérèse Lacroix-Sonrier a d'abord rappelé les trois étapes du CAPES : l'admissibilité, l'admission, la certification à l'issue du stage IUFM. Cette dernière étape est très peu sélective, puisque seulement 1% des stagiaires sont refusés. Après avoir donné un certain nombre de données chiffrées sur la session 99 que l'on pourra trouver dans le rapport du concours elle a signalé les points sur lesquels travaille actuellement le jury du concours : l'informatique, qui ne doit pas rester une boite noire ; la calculatrice, dont l'utilisation sera imposée dans un certains nombre de sujets d'oral ; l'introduction de la logique pour lutter contre le manque de rigueur constaté chez un certain nombre de candidats ; les probabilités et les statistiques, qui seront de plus en plus présentes dans le concours ; l'interdisciplinarité, insuffisamment développée actuellement. Elle a enfin posé la question de la difficulté de l'épreuve orale dite sur dossier qui pose le problème de l'adéquation entre le public, essentiellement composé d'étudiants, et ce qu'on lui demande ;
- Marc Fort a commencé par un constat : baisse continuelle du nombre de candidats au CAPES Interne, certainement liée à l'arrêt du recrutement des maîtres auxiliaires et aux créations successives du CAPES Spécifique et du CAPES Réservé ; hausse constante de celui des candidats au CAERP, réservé aux enseignants du privé. Une sensible évolution de ce concours a eu lieu l'an dernier, avec de nouveaux programmes donnant une plus grande place aux probabilités (il y avait des probabilités dans l'écrit de la dernière session) et à l'aspect culturel avec l'introduction de l'histoire des mathématiques. Une des lacunes constatées chez un certain nombre de candidats est la méconnaissance des programmes, alors que ce sont des enseignants en exercice. Ce dernier point pose la question de comment faire pour qu'ils soient réellement appliqués (voire connus) par la majorité des enseignants.
Le débat qui a suivi a principalement porté sur deux points concernant le CAPES externe :
- les difficultés constatées dans “ l'épreuve sur dossier ” méritent réflexion : comment introduire au niveau d'un concours de recrutement une épreuve à objectif professionnel ? On constate une grande impuissance à améliorer, voire à déceler les compétences professionnelles, faute d'instruments suffisants. Cela doit-il conduire à l'abandon d'une telle épreuve ? Au niveau de la formation, c'est le premier pas de côté par rapport à la pratique universitaire, le premier moment où les étudiants ont une interrogation professionnelle. Cette dimension doit être prise en compte ;
- la commission a été très sensible aux fluctuations du nombre de postes qui apparaît sur ces vingt dernières années, et qui est source de profonde injustice : les chiffres vont de 23 inscrits pour 1 poste en 1980, en passant par 1,2 inscrits pour 1 poste en 1993, et en remontant à 9,5 inscrits pour 1 poste en 1999. Elle affirme la nécessité d'une prospective et d'un engagement politique sur les nombres de postes mis au concours sur une durée de plusieurs années.

Dossier sur la géométrie
Ce dossier a été initié par Daniel Perrin , à partir d'un document livrant ses réflexions sur la géométrie. Ce document sera la base du premier rapport d'étape de la commission. Daniel Perrin a commencé par les questions de la place de la géométrie dans les mathématiques et de l'évolution de son enseignement. Il a dressé un rapide historique de cette évolution : le point de vue qui a le plus influencé la géométrie jusqu'à une époque relativement récente est celui des grecs centré sur les deux notions de figure et de démonstration, et reposant sur un système d'axiomes ; un autre point de vue plus récent est celui de la géométrie analytique initié par Descartes. L'étape historique suivante est celle de l'introduction des notions vectorielles et affines au 19ème siècle. Daniel Perrin s'est alors davantage arrêté sur le programme d'Erlangen de 1872, avec les groupes de transformations et la théorie des invariants. Jusqu'en 1960, on a un enseignement de géométries de plus en plus riches au cours de la scolarité : euclidienne, affine, projective et anallagmatique. La réforme des mathématiques modernes a évacué une grande partie du contenu de la géométrie, avec l'objectif d'introduire le plus tôt possible l'algèbre linéaire : minoration du rôle des figures, des notions d'angles et d'aires ; disparition des cas d'égalités des triangles ; disparition des géométries riches.
Après un état des lieux actuel, Daniel Perrin a donné un certain nombre de raisons pour lesquelles il lui paraît indispensable d'enseigner encore la géométrie : pour les mathématiques, pour les applications des mathématiques, pour la vision de l'espace, pour l'apprentissage du raisonnement… Le problème est de convaincre les “ autres ” que cet enseignement est intéressant.
Le débat qui a suivi a fait apparaître de nombreuse pistes de réflexion et de travail sur ce dossier. En voici quelques unes, en vrac :
- la géométrie est-elle le lieu par excellence de l'apprentissage de la démonstration (ou plutôt de l'acte de démontrer) ?
- développe-t-elle de façon spécifique des qualités de raisonnement, est-elle un support privilégié d'activité mathématique ?
- son enseignement présente t'il des difficultés spécifiques (changement de registre “ texte-figure ”, statut de la figure,…) ?
- quels sont les outils les plus pertinents pour un premier apprentissage : aires, angles, cas d'égalités des triangles... ?
- qu'apporte la géométrie au niveau de la vision, en particulier de l'espace ?
- le passage du dessin à la figure est il signifiant pour le passage d'une perception naïve à l'abstraction ?
- quels sont les apports de la géométrie en dehors des mathématiques ?
Après un accord général sur le travail de Daniel Perrin, la commission lui propose de le transformer en un rapport d'étape. Elle va essayer de réunir les éléments pour une introduction présentant la géométrie de la façon la plus large possible, dans ses rapports avec la mécanique, la physique, l'informatique, les arts et l'ensemble des activités humaines.

Débat sur l'informatique
L'étude des quatre dossiers précédents n'a permis d'aborder cette dernière question que tardivement. Ce dossier dont la priorité n'a d'égal que la complexité n'a donc pu donner lieu qu'à un débat malheureusement trop court. Il a été initié par Michel Merle qui a fait une rapide synthèse des travaux et réflexions actuels de la commission sur ce dossier.
Des différences d'appréciations se sont fait jour lors de ce débat. Ces différences ne portent pas sur le rôle de l'informatique et des ordinateurs dans les mathématiques et leur enseignement ; à cet égard il semble que soit réalisé un large consensus, ainsi que sur la nécessité que soient renouvelés dans cette optique les contenus et les méthodes des enseignements de mathématiques. En ce qui concerne la culture des enseignants, l'appel aux mathématiciens à produire sur des sujets de recherche actuels des textes ou programmes intéressants et accessibles pour les professeurs du secondaire vaut à fortiori pour les informaticiens. Le point de désaccord concerne les modalités des futurs concours de recrutement dans le secteur des sciences mathématiques.

Réunion du 27 novembre 1999

La commission a examiné lors de cette réunion du 27 novembre trois dossiers : informatique, géométrie et calcul. Elle a d’autre part consacré un temps important à une réflexion sur le sujet statistique-probabilités. Vous trouverez en annexe la contribution écrite d’Edmond Malinvaud à cette réflexion. En fin de réunion, un débat a eu lieu sur l'avenir de la commission.

Dossier sur l'informatique
Ce dossier a été initié par une intervention de Michel Merle, à partir d'un texte regroupant un certain nombre de questions et de réflexions des membres de la commission. Les ordinateurs et l'informatique ont connu un développement explosif en cette deuxième moitié du XX siècle. De la machine de Von Neumann à l'ordinateur personnel puissant et maniable, capable de s'intégrer à un réseau, l'évolution semble fantastique. Elle est pourtant très récente. Les mathématiciens, certains d'entre eux au moins (Von Neumann, Turing,…), ont été des acteurs de cette création, à côté d'autres spécialistes. Aujourd'hui la révolution informatique s'amplifie encore avec l'Internet. Les enjeux économiques annoncés sont énormes. L'enseignement des mathématiques au Lycée et à l'Université peut-il rester à l'écart de ce mouvement ?
Michel Merle a alors posé trois questions pour faire avancer la réflexion :
1) Comment l'irruption des ordinateurs a t'elle influencé l'évolution des mathématiques et la façon de les pratiquer ?
Des éléments de réponse : l'ordinateur a permis, par sa puissance de calcul, d'aborder certains objets sous un jour nouveau ; le traitement par ordinateur pose de nouvelles questions et permet de revisiter certains domaines des mathématiques ; l'informatique a permis l'essor des mathématiques discrètes, de la logique appliquée, de l'algorithmique , la vie des mathématiciens en a été changée ; on peut s'appuyer sur ces constats pour tenter d'esquisser une réponse aux questions suivantes...
2) Comment faire évoluer les programmes pour accompagner cette évolution ?
Des éléments de réponse : introduire des rudiments d'algorithmique, de mathématiques discrètes ; réfléchir aux structures de données ; s'interroger sur la complexité des algorithmes mis en œuvre ; revisiter les contenus actuels.
3) Comment l'usage des ordinateurs peut-il aider ou transformer l'enseignement des mathématiques ?      
Cette question renvoie immédiatement au problème de la formation initiale et continue des enseignants. Une donnée est à prendre en compte : le renouvellement par les recrutements nouveaux est de 3% l'an. A ce rythme on ne peut compter sur les seuls professeurs nouvellement formés pour faire évoluer l'enseignement des mathématiques : il faudra donc envisager un très gros effort au niveau de la “ formation continue ”.
Le tour de table qui a suivi cet exposé a fait apparaître de nombreuses questions de fond. En voici quelques unes en vrac :
- faut-il que l'enseignement aille jusqu'à la maîtrise d'un langage, ou doit-il se contenter de former à la maîtrise d'outils et de logiciels ?
- la réflexion sur l'introduction des nouvelles technologies peut-elle être dissociée de celle sur le temps (rythme scolaire, temps d'apprentissage…) ?
- quels sont les aspects positifs et négatifs que l'introduction de l'ordinateur va induire aussi bien dans l'apprentissage que dans l'évaluation ?
- quelle complémentarité peut-il y avoir dans un apprentissage conjoint mathématique et informatique ?
- quelle spécificité le papier-crayon doit-il garder par rapport à l'utilisation de logiciels ?
- s'il doit y avoir un apprentissage de l'informatique, celui doit-il être spécifique, ou rentrer dans l'horaire mathématique ?
Un consensus de la commission est que l'introduction d'un enseignement d'informatique ne peut s'envisager que par un rajout important d'heures, sinon ce serait certainement au détriment des mathématiques. La complexité de ce dossier informatique a amené la commission à séparer un certain nombre de pistes pour mieux cibler et étudier certaines d'entre elles : les TICE dans l'ensemble des disciplines ; les TICE dans les mathématiques ; les mathématiques nécessaires à l'informatique ; l'informatique, les mathématiques et la recherche ; l'informatique en tant que discipline…

Dossier sur la géométrie
Daniel Perrin avait envoyé à tous les membres de la commission un texte qui est un pré-rapport d'étape, dans lequel il avait déjà intégré la plupart des contributions qu'il avaient reçues. Mais il tient à reprendre ce texte et donc son travail pour y intégrer deux autres dimensions :
- Roger Balian lui ayant envoyé un assez long message où il développe son point de vue de physicien, Daniel Perrin va réorganiser son texte afin d'en élargir la vision, ce qui renforcera son premier paragraphe Pourquoi enseigner la géométrie aujourd'hui ;
- après son second paragraphe “ La géométrie dans l'enseignement secondaire ”, il veut compléter son texte par un troisième paragraphe “ Enseignement de la géométrie demain ” qu'il articulera autour de trois problématiques : quoi enseigner ; comment enseigner ; quelle formation des maîtres. Il veut pour cela demander l'avis et la contribution de praticiens, enseignants de collège et de lycée.
La commission donne mandat à Daniel Perrin pour mener à bien ce travail. Son texte constituera le premier rapport d'étape de la commission. Un groupe de travail suivra plus particulièrement ce dossier.

Dossier sur le Calcul
Ce dossier a été initié par Michèle Artigue qui a travaillé avec Jean-Pierre Kahane pour produire un texte qui a servi de base à son exposé. Elle a d'abord souligné la complexité du thème, puis proposé un certain nombre de pistes possibles pour aborder et structurer le travail de la commission :
- elle souhaite que le travail articule deux dimensions : la dimension épistémologique et la dimension didactique. La réflexion épistémologique est en effet nécessaire mais ne nous informe pas sur les conditions de viabilité des choix qu'elle inspire ;
- elle propose de choisir pour structurer le travail un fil conducteur transversal : la distinction calcul exact - calcul approché, ces deux dimensions étant présentes dès les premiers contacts avec le monde du calcul et les premières approches des notions de nombre, grandeur, mesure et dimension ;
- elle souhaite également accorder une attention particulière à la façon dont l'évolution des instruments de calcul influence à la fois les questions relatives au calcul et les façons de les traiter et à la diversité des formes que prend le calcul suivant les domaines mathématiques concernés ;
- elle insiste enfin sur la nécessité de prendre en compte la diversité des rapports possibles au monde du calcul, sans hiérarchie entre ces derniers, pour penser l'enseignement dans les différents filières.

Réflexion - débat sur statistique-probabilité
Ce sujet a été éclairé par quatre exposés, les trois premiers de trois invités (Marc Yor, probabiliste, Edmond Malinvaud, statisticien et mathématicien économiste, Lucien Birgé, statisticien) et le quatrième d'un membre de la commission (Claudine Robert, statisticienne).
Enseignant de probabilité en licence, maîtrise, DEA, agrégation, Marc Yor a envie de répercuter sa passion pour les probabilités. Il pense que c'est un domaine où enseignement et recherche sont en forte interaction. C'est d'autre part un endroit privilégié pour “ l'acte de modéliser ” , et pour ceci il n'y a aucune raison de mettre en opposition le monde déterministe et le monde aléatoire. A partir de cinq exemples, il a alors montré comment revisiter certains résultats classiques de l'analyse par un éclairage probabiliste ;
Edmond Malinvaud (voir aussi annexe) articule son exposé autour de deux questions :
- pourquoi est-il si difficile d'amener des étudiants à se familiariser avec des raisonnements sur le risque, l'aléatoire, l'induction, l'économie mathématique ? Partant du constat que les étudiants ne sont à l'aise que si le problème est déjà mathématisé, qu'ils restent souvent indécis, désemparés, hésitants si on leur demande le champ de validité de ce qu'ils viennent de faire et que d'une manière générale ils ne savent pas s'y prendre pour modéliser, il en conclut que ces étudiants n'ont pas été familiarisés avec ce type de raisonnement, d'où la nécessité de leur apprendre à travailler sur des “ phases pré-mathématiques ”.
- s'il y a difficulté d'accès, comment faciliter cet accès ? Une première réflexion doit porter sur les programmes en distinguant deux niveaux : des programmes optimaux en vue de la spécialisation attendue : statisticien, actuaire, professeur d'économie… ; un tronc commun où se travailleraient les modes de raisonnement déductifs spécifiques aux probabilités et statistiques, qui ne sont pas très nombreux. Mais au delà des programmes, la question la plus importante est celle de la familiarisation la plus précoce possible, car elle demande du temps. Ce pourrait être un des enjeux du lycée, en la confiant aux professeurs de mathématiques qui sont les mieux armés pour la mener à bien.
Lucien Birgé a commencé par rappeler les trois aspects de la statistique :
- la statistique institutionnelle : recueil, tri, stockage des données ;
- la statistique descriptive : représentation des données, recherche de “ structures ”, analyse exploratoire des données ;
- la statistique inférentielle : elle part du principe que les données sont une réalisation d'un objet aléatoire, d'où la nécessité de connaître des probabilités.
Axant la suite de son exposé sur la statistique inférentielle, il s'intéresse alors à la modélisation statistique, qui repose sur l'hypothèse fondamentale donnée ci-dessus (les données sont une réalisation d'un objet aléatoire) et sur l'hypothèse de travail que la série étudiée est une suite indépendante à densité inconnue. Les statisticiens utilisent alors trois niveaux de modélisation : paramétrique, non paramétrique classique, non paramétrique adaptatif. Le problème principal est de trouver un compromis entre la complexité et la vérité. Lucien Birgé a alors illustré son propos par une étude de cas sur les histogrammes, qu'on peut appréhender à deux niveaux : façon de représenter les données ; modèle statistique paramétrique.
Claudine Robert a commencé par rappeler ce qui était pour elle un des enjeux fondamentaux de l'enseignement de la statistique en lycée : faire comprendre aux élèves la variabilité des distributions de fréquences obtenues par observation et la stabilité de la loi de probabilité choisie pour modéliser, qui est, elle, un objet mathématique. Elle a fait part d'activités menées en Terminale ES dans cet objectif et nous a proposé l'étude de phénomènes surprenants et la façon dont elle les avait modélisés.

La commission a trouvé, dans ces exposés, la confirmation qu'un bon enseignement de statistique ne peut se concevoir sans une bonne maîtrise des probabilités. Mais de manière plus précise, c'est la dialectique statistique-probabilités qui permet de donner un sens profond aux belles activités qui nous ont été proposées. Là encore se pose la question de la formation des enseignants : la plupart n'ont jamais été formés à cette dialectique. On peut leur faire confiance pour s'auto-former si cet aspect des statistiques se développent dans l'enseignement. Mais cette auto-formation sera t'elle suffisante pour arriver au sens profond de cette dialectique.

L’avenir de la commission


Dès la fin de la première année de ses travaux, la CREM s’est posée la question de son maintien devant l’absence de reconnaissance institutionnelle, qui s’est traduit plus particulièrement par la faiblesse et la précarité des moyens de son fonctionnement. C’est pourquoi elle a invité Didier Dacunha-Castelle, conseiller spécial du ministre, à cette dernière réunion de l’année pour aborder ce problème avec lui.

Intervention de Didier Dacunha-Castelle
Didier Dacunha–Castelle nous a rejoint en fin de journée pour examiner avec nous un certain nombre de points concernant le fonctionnement de notre commission et ses missions. Après avoir reconnu que la commission avait démarré de façon tout à fait expérimentale, il nous a fait part de son sentiment sur un certain nombre de points :
- si on ne fait rien, on peut craindre qu’il n’y ait bientôt plus de mathématiques en lycée, bien que toute culture scientifique se fonde sur une bonne culture mathématique. En mathématiques, il n’y a pas eu le même mouvement d’évolution que dans d’autres disciplines, la tâche y étant sans doute plus difficile qu’en biologie ou en physique ;
- l’informatique ne semble pas avoir fait la même percée dans l’enseignement que dans la société, sauf peut-être en mathématiques et à un certain niveau. Ce problème du lien entre mathématiques et informatique peut être formulé en deux questions : comment intégrer l’outil informatique dans l’enseignement des mathématiques ? Quelles mathématiques faut-il faire pour l’informatique ?
- le rôle de notre commission sur ce dossier “ mathématiques-informatique ” doit être un rôle prospectif qui doit permettre d’avancer d’abord sur les concours de recrutement, et ensuite sur une réflexion sur les contenus d’enseignement liée à cette arrivée de l’informatique (par exemple quelle géométrie faut-il garder ?).
- les autres problèmes (horaires, structures,…) ne sont pas du ressort de la commission. Ce sont des choix politiques, comme l’a été l’AI (Aide Individualisée), dont l’objectif est de lutter contre la privatisation (recours à des heures particulières ou à d’autres structures) Cela repose sur le principe que l’école doit être son propre recours.

Débat qui a suivi cette intervention

Si la commission considère tout à fait légitime que la question des horaires et des structures ne soit pas de son ressort, elle ne peut cependant évacuer cette dimension de sa réflexion. Si elle est tout à fait consciente de l’urgence de certains dossiers, comme celui de l’informatique sur lequel elle concentre actuellement une grande partie de son travail, elle rappelle que sa mission première est une réflexion à long terme. Si elle a fait le choix de mener de front une réflexion sur plusieurs dossiers, c’est pour permettre d’en mesurer leur complexité et leur interaction. Pour cela, elle a déjà produit de nombreux textes dont elle étudiera la diffusion possible lors de sa prochaine réunion plénière du 11 mars 2000.
La commission a fonctionné pendant plus de six mois sans aucun moyen. Les demandes réitérées de son président Jean-Pierre Kahane de rencontre avec le Ministre de l’Education Nationale n’ont pas abouti, malgré deux entrevues successivement prévues, mais qui ont du être annulées. C’est finalement avec Didier Dacunha-Castelle, conseiller spécial du ministre, que Jean-Pierre Kahane et Claude Deschamps ont pu résoudre un certain nombre de problèmes matériels. Il en reste quelques uns, tel par exemple la création d’un site Internet.
Les associations fondatrices ont toujours soutenu sans restriction notre commission. Leurs présidents ont envoyé un courrier commun au ministre dans ce sens, démarche qui a visiblement fait avancer notre dossier. La commission tient à les en remercier. L’écho recueilli dans la plupart des milieux liés à l’enseignement des mathématiques montre à la fois la reconnaissance de sa mission et l’attente qui est faite des résultats de ses travaux.
Devant l’absence de réponse du ministère à ses demandes et la précarité de ses moyens de fonctionnement, la commission s’est cependant posée la question de son maintien. Seuls un engagement politique plus marqué et un soutien institutionnel plus fort assureront sa survie à long terme. Seuls des moyens de fonctionnement à la hauteur de ses ambitions lui permettront le travail de profondeur et de qualité qu’on en attend. Chacun des intervenants sollicités a accepté de venir nous aider dans notre réflexion. La plupart des membres de cette commission ont déjà fourni un gros travail et sont prêts à continuer à s’investir dans la mission qui leur a été confiée, à la fois importante et passionnante, délicate et lourde.

Annexe

Communication de E. Malinvaud, le 7 novembre 1999

Comment puis-je servir au mieux votre groupe de réflexion ? Sûrement en faisant appel à mon expérience directe, même si elle est un peu ancienne, plutôt qu'en m'inspirant de ce que j'ai appris du fait de ma participation au Conseil National des Programmes du Ministère pendant cinq ans, ce à quoi je ferai référence dans la troisième partie de ce petit exposé. Pour faire court je dirai que mon expérience directe a porté sur l'enseignement de la statistique économétrique, et sur l'enseignement de l'économie mathématique, cela dans un cas comme dans l'autre à destination d'étudiants sortant de l'Ecole Polytechnique ou d'un cycle scientifique. Ma contribution consiste en une réflexion sur deux questions :

            1 - Pourquoi est-il si difficile d'amener des étudiants bien sélectionnés, et bien formés par ailleurs, à se familiariser avec le raisonnement sur l'aléatoire et le risque, avec le raisonnement inductif sur les données statistiques, et avec même une bonne appréciation du sens des résultats obtenus par l'économie mathématique ?

            2 – Puisqu'il y a dans les trois cas une difficulté d'accès à un champ important de la connaissance moderne, comment faciliter cet accès ? et à quels enseignants cela revient-il ?

Traitant de ces questions au niveau des seconds et troisièmes cycles universitaires, ce que je vais dire cherchera à être pertinent aussi aux niveaux inférieurs. Je m'explique sur ma première question en essayant d'expliciter où est la difficulté.

Dans les trois cas, le raisonnement sur l'aléatoire, l'induction à partir de données statistiques, la recherche des résultats par l'économie mathématique, nos étudiants sont à l'aise dès lors que le professeur leur a entièrement spécifié un problème mathématique à résoudre. L'étudiant n'est pas nécessairement adroit pour la solution du problème, mais il a compris ce qu'il a à faire et il sait identifier quand il a réussi à résoudre le problème. En ce sens, il est à l'aise. Mais uniquement dans ce sens très étroit. Si on lui demande de préciser le champ de pertinence, c'est-à-dire le domaine d'application, du problème mathématique et de la solution qu'il y a apportée, il se sent désemparé et très hésitant. A fortiori en est-il ainsi si on ne lui a défini aucun problème mathématique et qu'on l'a laissé libre du choix du raisonnement face à une situation concrète de risque, ou face à une base de données statistiques susceptible d'éclairer un phénomène concret. Il en va de même de l'étudiant confronté à une assertion floue de théorie économique qu'il faudrait soit invalider soit confirmer.

Dans les trois cas l'étudiant ne sait pas comment s'y prendre pour appréhender la pertinence du modèle mathématique qui lui est offert, a fortiori pour trouver le bon modèle à appliquer. Pourquoi cette incapacité à bien modéliser, ou même simplement à juger de la valeur d'un modèle proposé ? Ce peut être d'abord parce que l'enseignement français a souvent été conçu comme devant être reçu passivement par les étudiants. Mais je crois qu'il y a plus, dans les domaines dont nous parlons. Il y a plus parce que, premièrement, les étudiants n'ont pas été assez familiarisés avec les phénomènes en cause, beaucoup moins familiarisés qu'avec les phénomènes du monde physique, considérés de plus comme certains comme exactement observés. Il y a plus parce que, secondement, la bonne modélisation est moins évidente, donc plus délicate à trouver et moins persuasive, plus perfectible, quand on croira l'avoir trouvée.

Voilà quel est essentiellement mon diagnostic en vue d'expliquer le constat que j'ai fait sur mes étudiants quant à leur difficulté à assimiler nos approches sur toutes les phases prémathématiques de notre travail à nous probabilistes, statisticiens ou économistes. Avant de vous exposer mes réflexions sur les moyens qui permettraient de faire face, du mieux possible à cette difficulté, permettez moi une incidente concernant les programmes de mathématiques. Il est bien entendu possible de faire l'inventaire des modes de raisonnement mathématiques déductifs utilisés dans une discipline, aux divers endroits et niveaux où elle est pratiquée. On peut ainsi concevoir des enseignements particuliers de mathématiques qui servent à former aux divers métiers, notamment à ceux de la recherche et de ses applications. On peut même se proposer de définir les programmes optimaux de mathématique qui formeraient :
- l'un, le spécialiste des statistiques épidémiologiques,
- un autre, le statisticien travaillant dans un centre de recherches biologiques,
- un autre encore, l'actuaire d'une compagnie d'assurance,
- un autre enfin, le professeur d'économie qui, au moins à partir des seconds cycles universitaires, devra familiariser ses étudiants avec des modèles mathématiques particuliers.

Evidemment chacun de ces programmes optimaux, le mieux adapté dans chacun des cas à une finalité professionnelle particulière, comporterait un enseignement de base, visant à communiquer la compétence dans certains modes de raisonnement abstraits fréquemment employés dans de nombreuses disciplines. Il est même probable que, sans s'écarter sensiblement de l'optimalité, on pourrait regrouper en un même “ tronc commun ” les enseignements mathématiques de base de diverses filières professionnelles.

Je ne suis pas un spécialiste et je n'ai pas consacré beaucoup de temps à réfléchir sur ce que pourraient être les programmes mathématiques optimaux pour les métiers que je   connais. Cependant je suis assez convaincu que, s'agissant des besoins en mathématiques déductives, ces programmes optimaux seraient déjà couverts en très grande partie par un tronc commun d'enseignements mathématiques. En d'autres termes les modes de raisonnement déductifs qui seraient nettement spécifiques aux probabilistes, aux statisticiens ou aux économistes ne me semblent pas devoir tenir beaucoup de place. Ce sentiment repose sur deux impressions :
- fondamentalement les modes du raisonnement mathématique ne sont pas tellement nombreux ;
- l'usage que les diverses disciplines, calcul des probabilités, statistique, économie, peuvent avoir de ces modes de raisonnement est au contraire relativement diversifié à l'intérieur de chaque discipline, donc relativement peu spécialisé.
Tout ceci est, vous le comprenez, intuitif plutôt que démontré. Mais je peux citer deux expériences personnelles qui corroborent en quelque sorte mes intuitions :

1 - A 27 ans, ayant eu une bourse pour travailler dans un centre de recherche de l'université de Chicago, j'ai soudain découvert, à ma très grande surprise, que l'on y enseignait des branches des mathématiques dont j'étais ignorant ; mais seconde surprise, quand j'ai suivi les cours correspondants, je me suis aperçu que j'avais de très bonnes bases, acquises dans nos enseignements français vieillots, et qu'apprendre la matière de ces cours modernes était très facile pour moi.

2 - L'économie mathématique fit une percée manifeste au milieu de ce siècle, alors qu'elle avait été précédemment réservée à de petits cercles très marginaux. Tout d'un coup nombre de professeurs et d'étudiants sentirent le besoin de se former aux mathématiques. Des cours furent alors donnés, des ouvrages publiés avec pour objectif l'enseignement des “ mathématiques utiles aux économistes ”. Je considère ces cours et ces livres comme ayant échoué, pour une raison bien simple : ou bien ils s'adaptaient à ce qu'était alors le niveau de formation mathématique de la plupart des économistes intelligents, mais ils en faisaient alors trop peu pour qu'étudiants ou lecteurs aient, grâce à eux, vraiment accès aux publications d'économie mathématique et d'économétrie, ou bien ces cours et ces livres cherchaient à aller jusqu'à une explication sérieuse de certaines des publications en cause et à la présentation des outils abstraits utilisés, mais alors les auteurs n'aboutissaient qu'à des exposés difficiles d'accès, utiles pour un champ très étroit de l'économie mathématique ou de l'économie.

Vous avez sans doute compris où je veux en venir. C'est à la proposition qui suit.

Nous avons certes besoin pour le traitement de l'aléatoire, pour l'inférence à partir des statistiques, pour la modélisation des théories économiques, de jeunes ayant bien appris des mathématiques. Mais les programmes grâce auxquels ils auront appris ces mathématiques importent assez peu. De toute façon, ils n'auront pas tout appris ; cependant, en admettant qu'ils aient acquis de bonnes bases générales, nous avons quasiment la garantie qu'ils sauront compléter leur compétence mathématique si éventuellement le besoin s'en fait sentir dans la poursuite de leur vie professionnelle.

J'en reviens donc à mon constat initial : oui mais le risque existe que, après cette formation mathématique générale, nos étudiants soient trop peu familiarisés avec l'aléatoire, avec l'inductif, avec les phénomènes économiques, le soient trop peu pour se sentir à l'aise dans le choix des modélisations pertinentes et efficaces. Alors qui peut leur donner cette familiarisation ?

La familiarisation exige du temps et un mûrissement progressif de la compréhension. C'est dire qu'il faut commencer assez tôt, dès l'enseignement secondaire même pour les futurs spécialistes. Chacun de ces spécialistes recevra dans sa discipline une formation beaucoup plus avancée que celle dispensée aux lycéens, mais il aura de la peine à l'assimiler alors s'il arrive à l'enseignement supérieur sans aucune préparation. Pour bien comprendre à l'université il faut qu'il dispose déjà en quelque sorte d'une culture de base concernant le traitement des risques, l'utilisation des données statistiques, la conceptualisation des phénomènes économiques. Or de nos jours toute personne qui bénéficie d'une culture générale devrait aussi avoir la culture de base que je viens d'évoquer. En somme les objectifs à viser sont :
- au niveau du lycée et pour tous les lycéens, une première introduction aux probabilités et à l'économie ;
- dans l'enseignement supérieur, des filières spécialisées.

Selon ce schéma, il est inutile, je crois, que nous nous attardions aujourd'hui sur la conception des enseignements supérieurs en cause, qui seront évidemment donnés par des spécialistes des disciplines concernées. Je ne vois qu'une chose importante à dire. Elle concerne la position des professeurs de probabilité et des professeurs de statistiques par rapport aux professeurs de mathématiques déductives pures. Il serait vain de ma part de chercher à mettre en cause l'idée d'une hiérarchie dans les capacités intellectuelles des uns et des autres. En revanche, je dois plaider pour que les chaires de calcul des probabilités, et plus encore celles de statistiques, soient plus nombreusse qu'elles ne le sont aujourd'hui. La répartition des postes marque un évident retard sur le développement rapide des professions concernant le traitement des risques, l'analyse des données et l'induction statistique.

Quant à l'enseignement dans les lycées, nous devons prendre pour données les corps de professeurs tels qu'ils existent. J'ai des idées assez précises sur le corps des professeurs de sciences économiques et sociales. Je pourrais être long à leur sujet. Je dirai simplement que nous devons faire confiance à ces professeurs pour familiariser les lycéens qu'ils auront comme élèves avec une première étude des phénomènes économiques et sociaux. Mais nous ne pouvons pas compter sur eux pour dispenser une formation en probabilité et statistique. Cela ne peut revenir, et dans toutes les filières, qu'aux professeurs de mathématiques.

Je connais beaucoup moins ce corps de professeurs. Mais je m'en fais une idée, selon laquelle beaucoup de ces professeurs ne sont pas eux-mêmes familiarisés du tout avec le traitement des risques et avec l'induction statistique. Dés lors, la première urgence consiste à diffuser cette familiarisation de façon à ce qu'elle atteigne tous les professeurs de mathématiques des collèges et des lycées, au moins tous les jeunes professeurs. J'imagine que réussir cela serait nettement plus important que réformer les programmes, ce à quoi je ne suis évidemment pas hostile et ce pour quoi je trouve fort judicieuses les idées exprimées notamment par Claudine Robert et Jean-Claude Duperret.

 

notice lgale contacter le webmaster