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Nouvel environnement technologique, nouvelles ressources, nouveaux modes de travail

Dernière modification 25/06/2008 16:54

Le projet e-CoLab (expérimentation Collaborative de Laboratoires mathématiques)

Gilles Aldon, Michèle Artigue, Caroline Bardini, Dominique Baroux-Raymond, Jean-Louis Bonnafet, Marie-Claire Combes, Yves Guichard, Françoise Hérault, Marie Nowak, Jacques Salles, Luc Trouche, Lionel Xavier, Ivanete Zuchi

Résumé
L’article présente la recherche collaborative menée par trois équipes (INRP et IREM de Lyon, Montpellier et Paris) expérimentant une nouvelle calculatrice de Texas Instruments qui offre de nouvelles possibilités pour le travail mathématique. La recherche porte sur les conditions de la mutualisation des ressources pédagogiques conçues par les trois équipes, sur les apprentissages réalisés par les élèves et sur l’investissement des élèves dans l’expérimentation.
Mots-clés : calculatrice, communauté de pratique, ressources pédagogiques, modèle de ressources, travail collaboratif.

Introduction

Penser l’intégration de calculatrices dans le cours de mathématiques n’est pas nouveau : la revue Repères s’est faite régulièrement l’écho des travaux qui se menaient sur ce thème dans le réseau des IREM, à propos par exemple des calculatrices graphiques (Trouche 1994), puis des calculatrices symboliques - dotées d’un système de calcul formel (Canet et al 1996). Les contraintes et potentialités des générations successives de calculatrices ont été étudiées à de nombreuses occasions (voir par exemple Trouche et al 2007). Des colloques IREM ont permis de progresser dans la compréhension des processus d’apprentissage et de la complexité du rôle du maître dans ces environnements (Guin 1999 ; Lagrange et al 2003). Enfin un ouvrage (Guin et Trouche 2002) a proposé une mise en perspective de ces études, d’un point de vue pratique et théorique.

Les recherches engagées depuis septembre 2006 sur la dernière calculatrice de Texas Instruments pourraient-elles être un simple prolongement des recherches antérieures ? Il s’agit d’une calculatrice symbolique, appelée TI-nspire CAS (Computer Algebra System). Elle peut paraître, à première vue, comme une calculatrice perfectionnée certes, mais une simple calculatrice de plus. C’est pourtant un objet très innovant, et ce pour plusieurs raisons:

  • sa nature : la calculatrice est en fait l’unité « nomade » d’un logiciel TI-nspire CAS, c’est-à-dire qui peut être installé sur n’importe quel poste informatique ;

  • sa structuration en dossiers, classeurs, activités et pages, chaque classeur étant constitué d’une ou plusieurs activités, qui contiennent une ou plusieurs pages. A chaque page est associé un espace de travail correspondant à une application : Calculs, Graphiques & géométrie, Tableur & listes, Editeur mathématique, Données & Statistiques ;

  • le système de tri et de navigation qui permet de réorganiser un classeur, copier, supprimer des pages, transférer des pages d’une activité à une autre, de circuler entre pages au cours du travail sur un problème donné correspondant à une activité ;

  • la connexion entre les univers graphiques et géométriques qui est à l’Å“uvre dans l’application Graphiques & géométrie, la possibilité d’animer des points sur des objets géométriques et des représentations graphiques, de saisir et déplacer des droites et paraboles et de déformer ces dernières ;

  • la connexion dynamique entre les applications Graphiques & géométrie et Tableur & listes, via la création de variables et la capture de données, ainsi que la possibilité d’utiliser les variables, une fois créées, dans toutes les pages et les applications d’une activité.

On peut faire l’hypothèse que ces innovations offrent, pour l’apprentissage des élèves, comme pour l’action des enseignants, des possibilités nouvelles. Elles pourraient permettre de développer les interactions entre cadres, entre registres de représentation dont les recherches didactiques ont montré l’importance dans les processus de conceptualisation ; elles pourraient enrichir les moyens d’expérimentation et de simulation ; elles pourraient permettre de conserver des traces de l’activité mathématique des élèves avec calculatrice bien plus exploitable que ce qui existait jusqu’alors. Mais on peut aussi faire l’hypothèse que le caractère profondément innovant de cette calculatrice, sa complexité, vont poser des problèmes d’instrumentation non triviaux et partiellement nouveaux, tant du côté des enseignants que des élèves, que l’actualisation des potentialités a priori offertes va requérir des constructions spécifiques et non pas la simple adaptation de stratégies qui se sont révélées productives avec d’autres calculatrices, et qu’il faudra penser ces constructions dans la durée.

C’est pourquoi la première année d’expérimentation, expérimentation menée de plus avec un prototype dont nous nous sommes rapidement aperçus qu’il demandait de sérieuses améliorations, a été, pour les équipes engagées dans le projet, une année exploratoire et délicate à la fois. Les échanges, le partage des tâches entre les équipes, la collaboration, ont été d’autant plus essentielles à la réussite de cette première phase de l’expérimentation.

L’expérimentation repose sur un partenariat de l’INRP avec trois IREM (Lyon, Montpellier et Paris), elle implique 6 classes de seconde dont tous les élèves sont équipés de la calculatrice TI-nspire. Les équipes, sur les trois sites, rassemblent, autour des professeurs des classes pilotes, des animateurs de l’IREM et des enseignants-chercheurs. Elles se réunissent chacune de leur côté et se rencontrent régulièrement pour faire le point, mais l’échange est aussi continu, à distance, via un espace commun de travail sur le site EducMath, qui permet de partager les mémoires de travail, mais aussi de concevoir au fur et à mesure les outils communs nécessaires à l’expérimentation (questionnaires, ressources pour la classe, etc.). Le nom que l’équipe s’est choisi, e-CoLab (pour expérimentation Collaborative de Laboratoires mathématiques) veut témoigner de l’importante de cette collaboration, de la nature du travail mathématique engagé, et de l’aspect hybride des échanges, en présence et à distance.

A cette collaboration très étroite se sont ajoutées d’autres possibilités de croisement d’expérimentation :

  • la première avec un groupe d’une dizaine de classes, expérimentant le même environnement, et piloté par l’Inspection Générale ;

  • la deuxième avec des recherches en cours au niveau européen autour de la même calculatrice (deux rencontres ont eu lieu, à Bruxelles en mars 2007 et à Turin en octobre 2007).

C’est de cette première année d’expérimentation dont nous voulons rendre compte ici, et en évoquer plusieurs aspects : l’émergence d’un modèle commun de ressources, la réalité des classes, le point de vue des élèves et enfin les difficultés et les atouts du travail collaboratif. Nous avons bien le sentiment de nous situer dans l’esprit de ce numéro spécial de Repères, consacré au « travailler ensemble », en présence et à distance, dans un contexte d’exploration, à la fois enthousiaste et prudente, de nouveaux environnements technologiques pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Cet article est le fruit d’un travail des trois groupes engagés dans le projet. Les différentes contributions ont été discutées en amont, puis confrontées tout au long du processus d’écriture pour donner un article témoignant de la communauté de pratique (Wenger 1998) que les trois groupes locaux ont constituée au fil de leurs échanges.

1. De nouvelles ressources, genèse d’un modèle

 Concevoir des activités mathématiques intégrant la calculatrice TI-nspire a relevé d’un triple défi :

  • il s’est bien évidemment agi avant tout de concevoir des ressources pédagogiques permettant de supporter des stratégies à mettre en Å“uvre pour actualiser les potentialités de la calculatrice TI-nspire dans le contexte de l'enseignement français du lycée, en exploitant notamment l’interrelation des différentes applications ;

  • cependant, compte tenu de la courte durée – quelques jours – qui séparait la prise en main de ce nouvel outil par les enseignants et la rentrée des classes, il s’est donc aussi agi d’accompagner son instrumentation encore émergente et d’élaborer des activités mathématiques intégrant la TI-nspire tout en s’appropriant ce nouvel outil, dont les particularités (potentialités mais aussi complexités techniques) ne trouvaient souvent pas d’équivalent avec d’autres calculatrices jusqu’alors exploitées ;

  • finalement, au vu de la singularité de cette expérimentation qui se veut fruit d’une collaboration entre trois équipes, il fallait concevoir des ressources pour ses classes qui soient aussi susceptibles d’être exploitées par les différentes équipes.

Ces trois particularités ont eu une incidence non négligeable sur la conception des ressources. Considérées de façon isolées ou conjuguées, elles viennent, de fait, renseigner à la fois la définition de ce que nous appelons ici « ressource », la structure et les particularités de ses différentes composantes, mais elles viennent surtout mettre en évidence le caractère évolutif des ressources produites, tant sur la forme que sur leur contenu.

Après avoir brièvement proposé une typologie des ressources produites au sein des différentes équipes, nous nous proposons de décrire leur évolution, et ce depuis leurs tous premiers usages. En retraçant la genèse de telles ressources, nous tâcherons de montrer dans quelle mesure ce développement, loin d’être anodin et en grande partie reflet des trois particularités évoquées ci-dessus, a conduit l’ensemble des équipes à élaborer un véritable modèle de ressource, s’appuyant sur l’expérience que le groupe de Montpellier avait vécu au sein du SFoDEM (Guin et al 2007 ; Guin et Trouche, dans ce volume).

1.1 Les ressources : objectifs, formes et contenus

 Deux types de ressources ont été produites au long de la première année du projet e-CoLab : celles, créées et utilisées au début de l’année, vouées essentiellement à familiariser les élèves au nouvel outil technologique qui leur était proposé (présentation de l’artefact – touches, clavier, souris, etc. – et introduction de quelques-unes de ses potentialités), et celles, les plus nombreuses, où l’apprentissage instrumental, bien que toujours présent, n’a pas constitué le noyau de l’activité. Celles-ci, contrairement aux premières, ont été construites autour de (et rajoutons : « pour ») l’activité mathématique en soi. Parmi ces dernières, il est utile de distinguer les ressources conçues pour l’apprentissage de notions mathématiques de celles élaborées dans le but d’évaluer ces apprentissages. Certaines ressources ont revêtu un caractère d’ « activité de recherche » en s’articulant autour de plusieurs notions du programme, d’autres ont été conçues comme des activités d’introduction d’une nouvelle notion. Ainsi, les ressources telles que « L’hélicoptère » (qui propose une approche de la valeur absolue), « Le plus court chemin » (qui consiste en un problème d’optimisation en mobilisant les transformations géométriques) et « Sangaku » (où il s’agit de réinvestir la notion de triangles semblables introduite par ailleurs) s’articulent autour d’un structure bien différente de ressources telles que « A vo(u)s Paris ! » ou « L’enseigne », voulant introduire respectivement la notion de fluctuation d’échantillonnage et la notion de fonction.

Au total, près d’une vingtaine de ressources ont été élaborées au cours de l’année 2006-2007. Nous présenterons, au fil de cet article, plusieurs exemples pour étayer et nourrir l’examen de leur genèse.

1.2 Deux composantes d’une ressource et leur évolution – la genèse d’un duo indissociable

 Si, depuis le début de l’expérimentation, la volonté d’intégrer le nouvel outil au sein de l’activité mathématique était bien présente, les premières ressources élaborées se sont souvent réduites soit uniquement à une fiche élève comportant l’énoncé du problème (dont la résolution sous-entendait néanmoins l’utilisation de la calculatrice), soit uniquement à un fichier informatique chargé sur les unités nomades TI-nspire (fig.1). Et lorsque coexistaient dans la ressource à la fois une fiche élève et un fichier informatique (fig. 2), ces deux documents pouvaient être utilisés de manière quasi indépendante.

 

Figure 1. Les copies d’écran présentant le fichier informatique de la ressource

TI-nspire - Séance 2
Classeur « Moyennes » - Problème 1
Problème de clôture, page 1, aide à la conjecture
Maîtrise de l’outil : pointeur, Application Graphiques et géométrie
  Pour fermer les deux côtés parallèles d’un champ de forme trapézoïdale, un fermier a acheté une barrière en bois d’une certaine longueur. Il a pu clôturer les deux côtés parallèles du champ et il lui reste encore la moitié de la longueur placée. Il décide alors d’utiliser la partie de barrière restante pour partager le champ en deux parties trapézoïdales.
Où faut-il qu’il la positionne pour utiliser exactement la longueur restante ?
A l’ouverture du fichier la position du point M répond-elle au problème posé ? Justifiez votre réponse.
Déterminez la position du point M permettant de résoudre le problème du fermier.
On obtient alors : MN =

 Figure 2. Une fiche élève et un fichier informatique indépendants

Les potentialités de mise en relation des différentes applications de la calculatrice ont cependant conduit au développement d’une unité « fiche élève - fichier tns », où un véritable duo émergeait entre l’activité mathématique et l’instrument (fig. 3).

 
 

 

Figure 3. Extrait de la fiche élève de la ressource « L’enseigne » illustrant le duo « fiche élève- fichier tns »


Les différentes composantes de la fiche élève se révèlent particulièrement illustratives de l’articulation entre la fiche élève et le fichier tns prévue lors de la conception de la ressource.

La colonne située à gauche, intitulée « Index », précise, pour chaque phase de la fiche élève, la page en relation du fichier TI-nspire correspondant. On observe dans d’autres cas (Annexe 1), que l’activité mathématique, annoncée dans la colonne centrale de la fiche, peut aussi renvoyer à un apprentissage de la syntaxe de la calculatrice. La colonne située à droite, intitulée « Manipulations et conseils » (qui apparaît dès la page 2 de la fiche élève de « l’enseigne », par exemple), donne le plus souvent une aide technique pour la manipulation de la calculatrice (Annexe 2). Elle s’est avérée essentielle pour développer l’autonomie des élèves et concentrer l’activité sur les enjeux mathématiques ciblés par les enseignants (§2).

Non seulement la fiche élève a évolué en ce sens où elle a intégré, de façon indissociable, le fichier informatique qui lui était associé, mais certains volets de la fiche élève ont eux aussi subi quelques modifications à mesure que l’outil technique était apprivoisé. En particulier, il est apparu utile de renseigner, à l’intérieur même de la fiche élève, les savoirs mathématiques autour desquels l’activité avait été conçue, dans la mesure où les fiches se complexifiaient, multipliant les savoirs nouveaux ciblés par l’enseignant. Dans le souci de rendre l’objet d’apprentissage plus « transparent » aux élèves, mais aussi dans le but d’accroître l’autonomie des élèves, l’institutionnalisation des connaissances, par exemple, y a pris place. Elle est présentée progressivement à l’intérieur de la fiche élève, au fur et à mesure que les connaissances émergent de l’activité (ce sont les plages d’institutionnalisation). Une variable didactique importante est alors le choix de renseigner, ou non, ces plages (fig. 4).

Figure 4. Plage pour l’institutionnalisation à renseigner à l’issu d’un débat collectif


L’évolution de telles ressources, ici trop sommairement retracée, doit être comprise comme un processus continu, fruit d’échanges entre les membres de l’équipe, localement le plus souvent en présentiel et globalement à distance en utilisant l’espace de travail créé sur EducMath (§ 4) ; mais elle apparaît surtout comme une trace temporaire et locale de la réalisation des activités en classe. C’est la mise en commun -- auprès des différents groupes d’e-CoLab et auprès des élèves -- qui les ont faites (et qui les font toujours) se développer de la sorte (on trouvera § 2 des pistes de prolongements possibles pour certaines ressources).

 

1.3 Mutualiser les ressources : vers un modèle de ressources

 

Le fait de travailler en collaboration avec d’autres équipes, le besoin d’échanger et de partager le travail effectué a aussi rendu indispensable l’émergence de composantes annexes au duo « fiche élève – fichier tns ». En effet, comme le soulignent Guin et Trouche (dans cette revue) :

 

Une ressource, pour être utilisable par des enseignants, ne peut se réduire à la simple description d’une situation d’apprentissage : elle doit aussi expliciter l’apport des TIC à l’acquisition des savoirs et savoir-faire visés, intégrer la description de l’environnement technologique dans lequel elle peut être mise en Å“uvre, ainsi que des propositions, en matière d’organisation du temps et de l’espace, pour faciliter cette mise en Å“uvre. Elle doit ensuite témoigner de mises en Å“uvre effectives. […] C’est aussi une condition préalable à une mutualisation des ressources au sein d’une communauté.

En s’appuyant sur l’expérience du SFoDEM, des fiches professeur ont ainsi été crées (Annexe 3), permettant notamment aux auteurs de la ressource de préciser les objectifs de la séquence et d’étayer leurs choix pédagogiques. De même, des fiches scénario (Annexe 4) ont été élaborées, destinées à renseigner tout enseignant désireux d’expérimenter dans sa classe une ressource dont il n’est pas l’auteur sur les choix didactiques qui ont été effectués, les variables didactiques sur lesquelles il peut « jouer », les réponses attendues des élèves, les différentes étapes du déroulement de l’activité, etc.

Des traces de productions d’élèves (écrites ou informatiques) ont également été recueillies et s’avèrent de précieuses aides pour une meilleure interprétation a posteriori du déroulement des activités (détaillées dans les comptes-rendus d’observation) ainsi que pour l’évolution même des ressources (§ 2).

 

Toutes ces différentes composantes « annexes » aux ressources n’en sont pas moins essentielles dans un travail collaboratif comme e-CoLab. En effet, ces documents se sont révélés essentiels pour partager des ressources et les enrichir de l’expérience de tous les acteurs engagés (professeurs dans les différents sites et élèves).

Dans la section suivante, nous mettrons en particulier en évidence le rôle des comptes-rendus d’observations pour l’évolution des ressources en examinant l’expérimentation menée autour de deux ressources crées par l’équipe de Montpellier et adaptées par l’équipe de Paris.

2. La mise en Å“uvre des ressources dans les classes

Dans cette partie, nous approchons le travail collaboratif mené entre les différentes équipes et au sein de chacune d’elles, à travers la mise en Å“uvre des ressources dans les classes. Comme cela a été souligné dans ce qui précède, cette collaboration a été essentielle dans la mise au point des progressions et des séances, les propositions argumentées des uns, leurs comptes-rendus d’observations alimentant les réflexions des autres et l’adaptation des ressources proposées à leur propre projet didactique et contexte. Elle l’a été aussi pour faire face à certaines difficultés rencontrées, liées au fait que la calculatrice utilisée pendant la première année était encore un prototype. Devant faire des choix, nous avons décidé d’illustrer ce travail collaboratif en nous centrant sur deux dimensions importantes qui nous semblent avoir été travaillées de façon productive dans cette collaboration, citées dans l’introduction de la section précédente : l’articulation entre progression mathématique et progression instrumentale d’une part et l’exploitation des possibilités nouvelles d’interaction dynamique entre applications offertes par la calculatrice d’autre part. Chacune de ces dimensions est illustrée par un exemple. Dans les deux cas, les situations proposées aux élèves ont pour origine une proposition de l’équipe de Montpellier et les observations réalisées l’ont été dans l’équipe de Paris, après adaptation. 

2.1 Articulation entre progression mathématique et progression instrumentale : la ressource « Descartes »

 La ressource Descartes élaborée par l’équipe de Montpellier nous a paru a priori intéressante pour mettre en place une entrée dans la géométrie dynamique de la calculatrice, articulée avec un retour sur les configurations du plan et les grands théorèmes du collège. L’utilisation de sources historiques pour organiser la rencontre avec la modernité technologique (fig. 5) était séduisante. Elle offrait, de plus, l’avantage de relier le travail qui venait d’être fait sur les nombres et la géométrie. L’équipe de Paris, très sensible aux questions d’instrumentation, à l’articulation entre travail papier-crayon et travail calculatrice et au partage de responsabilités possible entre enseignants et élèves, a analysé la proposition de Montpellier en essayant de l’optimiser de ce point de vue. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de cette analyse et des modifications auxquelles elle a conduit (ceci constitue le CV de la ressource – cf. l’article de Guin et Trouche, « Un assistant méthodologique pour étayer le travail documentaire des professeurs : le cédérom SFoDEM 2007 », dans cette revue) mais voudrions pointer quelques caractéristiques de la ressource qui en résultent :

  • une appropriation progressive et volontairement limitée de l’application Géométrie ;
  • un jeu entre le travail sur différents supports avec la volonté de garder des traces exploitables sur chaque support ;
  • une attention à la problématisation du travail de l’élève et à la dévolution progressive des responsabilités de preuve.

Nous précisons chacun de ces points ci-après avant d’en venir à la réalisation effective.

Une appropriation progressive et volontairement limitée de l’application Géométrie

Dans cette situation, plusieurs constructions géométriques interviennent, permettant de réaliser des produits et quotients de longueur, de construire également la racine carrée d’une longueur donnée. Pour la première construction proposée, celle du produit, la figure géométrique est fournie aux élèves ainsi que les affichages de mesures nécessaires pour vérifier expérimentalement qu’elle fournit bien le produit annoncé (fig. 5). Les élèves ont juste à utiliser l’outil pointeur pour déplacer les points mobiles et tester la validité de la construction.

 

 

Figure 5. Première partie de la ressource Descartes (extraits de la fiche élève et du fichier tns associé)

 Dans un deuxième temps, pour le quotient, la figure fournie contient seulement le support des deux demi-droites [BD) et [BE). Les élèves doivent compléter la construction et sont guidés pas à pas dans l’utilisation successive des outils « point sur », « segment », « droite parallèle », « point d’intersection », « mesure » et « calcul ». Dans un troisième temps, on leur demande d’adapter cette construction au calcul de l’inverse d’une longueur. Enfin, pour la racine carrée, ils disposent de la figure de Descartes et doivent organiser eux-mêmes la construction (fig. 6). Des indications sont simplement données pour les deux outils nouveaux : « milieu » et « cercle ».

 

 

Figure 6. Dernière partie de la ressource Descartes (extrait de la fiche élève)

 

Un jeu entre le travail sur différents supports avec la volonté de garder des traces exploitables sur chaque support

Les élèves disposent d’une fiche élève conforme aux standards progressivement mis au point (§ 1), d’un fichier tns et le travail demandé utilise alternativement les deux supports (c’est l’idée du « duo » présenté au § 1.2). La construction du produit est d’abord faite sur papier dans un cas particulier avant que l’on ne la teste plus généralement sur sa version calculatrice. Et c’est aussi le cas pour ce qui concerne la racine carrée. Des justifications sont à écrire sur cette fiche qui comporte aussi la reproduction des textes de Descartes qu’il nous a semblé intéressant de donner aux élèves « tels que ». Le fichier tns est, lui, structuré en quatre pages : une par construction, et permet donc de garder la trace de toutes les constructions effectuées.

Une attention à la problématisation du travail de l’élève et à la dévolution progressive des responsabilités de preuve.

L’activité proposée ne consiste pas en la résolution d’un problème géométrique au sens usuel du terme, mais dans la découverte et la compréhension de procédures de construction historiques. Il n’est pas question, bien sûr, de mettre en doute les constructions de Descartes mais il s’agit de se demander comment les visualiser de façon dynamique sur la calculatrice, adapter un tracé à une situation voisine et, bien sûr, comprendre ce qui fait que ces constructions marchent. La fiche élève et le scénario de la séquence, alternant travail en groupes et travail collectif, sont conçus pour permettre la dévolution de ces questions aux élèves. De plus, s’agissant d’un premier travail en géométrie dans la classe, la dévolution des responsabilités de preuve est progressive. Pour la première construction, on demande à l’élève d’expliquer le phénomène et c’est collectivement que la preuve correspondante est produite. Il doit ensuite l’adapter de façon autonome pour montrer pourquoi la construction du quotient marche. Pour la racine carrée, il est prévu un démarrage collectif amenant à mettre en évidence les trois triangles rectangles et les trois possibilités associées d’utiliser le théorème de Pythagore. Le reste du travail est à la charge des élèves.

La réalisation effective

A Paris, la ressource a été expérimentée successivement dans les deux classes expérimentales, les informations recueillies sur la première servant à « corriger le tir » pour la seconde. Encore une fois, nous ne pouvons rentrer dans les détails de ces réalisations (ceci fait l’objet des comptes-rendus d’observation annexés aux ressources – cf. § 1), mais voudrions souligner certains points.

Deux séances ont été nécessaires dans les deux classes. La première séance a fonctionné comme prévu : le contraste entre histoire et modernité a eu l’effet escompté et les élèves ont été d’emblée très intéressés. La plupart avaient déjà exploré seuls l’application Géométrie de la calculatrice. L’utilisation du pointeur, le déplacement des points n’ont pas posé problème. Le théorème de Thalès a été identifié sans difficulté et la première démonstration produite collectivement comme prévu. Les indications données pour la seconde construction se sont révélées suffisamment claires, mais tous n’avaient pas fini à la fin de la séance et il leur a été demandé de terminer la figure chez eux. La deuxième séance a été plus laborieuse et les enseignantes ont dû gérer divers problèmes instrumentaux : comment « attraper » les variables pour calculer le quotient ? Pourquoi le calcul demandé ne s’affiche-t-il pas ? Pourquoi la valeur affichée du quotient n’est-elle pas celle attendue ? Des points ont été créés par inadvertance qui se superposaient plus ou moins aux points tracés et pouvaient fausser les mesures, des segments trop courts, étaient difficiles à manipuler sur la calculatrice. La question de l’inverse a été traitée de ce fait collectivement dans la deuxième classe après que les élèves aient trouvé la stratégie. Les approximations numériques ont posé, elles, des questions intéressantes : la construction est-elle ou non valide si les valeurs affichées diffèrent sur leur dernière décimale ? Enfin, tous les élèves n’étaient pas prêts à assumer de façon autonome la construction de la racine carrée avec les seules indications données et là encore un segment de longueur 1 compliquait les manipulations. Dans la seconde classe, voyant certains élèves perdre pied, l’enseignante a décidé de rétroprojeter, pour toute la classe, l’écran de la calculatrice d’un élève, qui pilotait ainsi le travail collectif (cf. la notion d’élève sherpa introduite dans Guin et Trouche 2002). Ceci a rétabli la confiance et tous ont terminé la construction. La dernière démonstration, amorcée collectivement, a été donnée à rédiger en devoir maison.

Au final, ces deux séances se sont révélées très riches dans les deux classes tant sur le plan instrumental que mathématique, autour d’une ressource bien évidemment susceptible d’être encore optimisée.

2.2 Exploitation des possibilités d’interaction dynamiques entre applications : une situation « banale » renouvelée par la TI

Premier apport de la mutualisation

L’équipe de Paris s’est, de nouveau, inspirée d’une ressource (Aires égales) élaborée par l’équipe de Montpellier : partant d’une fiche élève dans un contexte de contrôle d’une heure, l’équipe de Paris a choisi d’élaborer une séance de recherche. Le support en est un problème algébrique d’origine géométrique. Il s’agit de déterminer une longueur pour que les aires de deux sous-figures d’une figure géométrique dépendant de cette longueur soient égales (fig. 7). Les expressions des deux aires en fonction de cette longueur sont des expressions du premier et du second degré (elles pourraient être toutes deux du second degré sans que cela ne modifie le type de problème). La solution est unique et a une valeur irrationnelle. On est donc hors du champ des équations que les élèves observés sont capables de résoudre de façon autonome.

Une fiche guide le travail des élèves suivant les étapes suivantes : exploration géométrique et première estimation de la solution, raffinement de l’exploration avec l’aide du tableur pour aboutir à un encadrement de la solution à 0,01 près, utilisation du calcul formel pour obtenir une solution exacte et preuve algébrique correspondante en papier/crayon guidée par la donnée indirecte de la forme canonique

 

Figure 7. Aspects graphiques et numériques d’un problème

Les « lignes de force » de l’observation

Nous avons essayé de dépasser le niveau descriptif des premiers comptes-rendus et cherché à identifier quelques questions qui permettraient de donner des lignes de force à l’observation. Ces questions n’avaient pas été toutes identifiées a priori, mais elles nous ont semblé importantes, au vu de l’observation, pour comprendre la ressource, identifier ses potentialités, aider l’enseignant à anticiper ce qui pouvait se passer, préparer ses interventions et adapter éventuellement la ressource à ses propres objectifs.

Les questions choisies portent sur les points suivants :

  • l’engagement des élèves dans la résolution du problème ;
  • le rapport avec la calculatrice ;
  • la complexité de la tâche ;
  • l’articulation entre les différentes approches du problème ;
  • Le travail de l’enseignant.

Progresser dans la mutualisation

A partir de l’analyse de cette séance et du bilan fait en classe par l’enseignante, durant une heure, après la situation de recherche, nous avons essayé de dégager des éléments permettant de progresser dans la mutualisation. Nous avons repris pour cela les questions ci-dessus.

  • L’engagement des élèves dans la résolution de ce problème

Dans le groupe plus particulièrement observé mais aussi dans les autres groupes, les élèves se sont engagés dans le travail qui leur était proposé et leur engagement s’est maintenu pendant les deux heures qu’a duré la séance. Cependant, dans l’utilisation faite par l’équipe de Montpellier comme dans celle faite dans l’équipe de Paris, la résolution est une résolution qui se veut le plus possible autonome. Il serait sans aucun doute aussi intéressant de disposer pour ce problème d’un scénario associé à une gestion de classe plus usuelle, faisant alterner des phases de recherche des élèves et des discussions collectives orchestrées par l’enseignant, et d’avoir un compte-rendu d’observation associé à un tel scénario.

  • Le rapport avec la calculatrice

L’observation de cette séance montre que la calculatrice est visiblement, à cette époque de l’année (février) un élément non marginal de l’espace de travail mathématique des élèves et que son utilisation est coordonnée avec celle du papier-crayon, mais les équilibres sont variables selon les élèves. Le niveau d’appropriation est lui aussi variable selon les élèves et il est, semble-t-il, encore limité au moment de l’année où cette séance a lieu (nous reviendrons sur ce point au § 3 à travers l’analyse de questionnaires et entretiens). Par exemple, les élèves n’ont utilisé le calcul formel que lorsque cela était explicitement demandé : fonction « Résoudre » par exemple. Les connaissances instrumentales sur d’autres éléments du calcul formel, permettant par exemple de vérifier des calculs et des factorisations, ou de tester des simplifications, n’étaient visiblement pas encore disponibles. Au vu de ces observations, nous avons envisagé une « variante » de la ressource qu’il serait possible de travailler et de mutualiser : ce problème ou un problème de même type serait posé sans trajectoire imposée, adressée à des élèves en fin de Seconde par exemple, en posant simplement la question de savoir comment varient les deux aires et s’il existe une ou des valeurs pour lesquelles elles sont égales. On pourrait alors peut-être étudier quelles sont les connaissances mathématiques et instrumentales disponibles et comment elles interagissent.

  • La complexité de la tâche

L’observation de la séance, et d’un groupe de quatre élèves en particulier, met particulièrement bien en évidence la complexité de la tâche proposée pour ces élèves, une complexité dont l’analyse a priori succincte qui avait été faite à la fois sur le plan mathématique et sur le plan instrumental ne rendait pas bien compte.

Sur le plan mathématique, on voit bien par exemple tout ce que met en jeu le calcul de deux aires qui pourtant paraît particulièrement anodin, la simplification des expressions, les problèmes posés par le passage d’estimations à des encadrements, les problèmes posés par l’exploitation des résultats du calcul formel et l’exploitation de l’indication donnée devant permettre de se ramener à la forme canonique de l’expression pour résoudre l’équation. Lors du bilan en classe, l’accent a été mis sur la différence des deux tâches « obtenir une solution approchée d’une équation A(x) = B(x) » et « obtenir un encadrement de cette solution ».

Sur le plan instrumental, la figure étant donnée, l’exploration géométrique ne pose pas de problèmes mais l’utilisation du tableur dans la deuxième phase demande réellement des connaissances, que les élèves utilisent la recopie ou qu’ils adaptent à cette situation les formules colonnes qu’ils ont préalablement utilisées en classe. L’exploitation des possibilités offertes par le calcul formel qui pourrait les aider à différents moments de la séance n’est pas faite, et l’articulation entre calcul exact et approché, nécessaire pour écarter la solution de l’équation extérieure à l’intervalle, doit être initiée par l’enseignante. Lors du bilan, une comparaison est faite entre une résolution tableur et des résolutions graphiques.

En analysant ainsi la complexité, on met à jour une richesse du travail mathématique potentiellement engagé dans la résolution de ce problème avec la calculatrice que la banalité du problème et l’habitude de sa résolution dans l’univers papier-crayon cachaient. De multiples pistes d’exploitation apparaissent entre lesquelles l’enseignant devra sans doute choisir en fonction de son projet, du temps consacré à cette séance, de sa place dans la progression, etc. L’expliciter nous semble aussi permettre de progresser dans la mutualisation.

  • L’articulation entre les différentes approches du problème

La fiche proposée vise à croiser les approches de ce problème et, pour son concepteur, ces approches se complètent, s’enrichissent mutuellement. Mais ces articulations restent implicites et l’on peut se demander si les élèves les reconstruisent et arrivent à donner un sens global à la démarche suivie. Comme l’on pouvait s’y attendre, les élèves ne font pas spontanément ce cheminement, et tendent à considérer chaque sous-tâche comme une tâche isolée. Là encore, c’est à l’enseignant de restituer les liens manquants, en particulier en cas d’incohérence. On voit à ce propos émerger d’autres questions qui seront mutualisées : « Quelles relations les élèves vont-ils établir entre ces différentes approches ? » et « Quelles médiations de l’enseignant pour permettre ces relations ? ».

  • Le travail de l’enseignante 

 Même si la tâche proposée a un réel potentiel pour susciter l’activité autonome des élèves, le travail de l’enseignante ne se limite pas à des actions de dévolution et d’institutionnalisation (Brousseau 1997). Un bon fonctionnement de cette séance nécessite de sa part de nombreuses médiations. Le travail collaboratif des trois équipes a permis une aide non négligeable pour le travail en amont de préparation de cette séance mais, à ce niveau, les médiations de l’enseignante et leurs effets possibles ont été assez peu travaillés. Elles l’ont été en revanche a posteriori et l’analyse du travail de l’enseignante, pendant la séance mais aussi pendant la séance de bilan introduite, ont contribué à enrichir cette ressource et à la rendre de nouveau « mutualisable ».

2.3 Un premier bilan des observations

Nous avons évoqué ici uniquement deux observations. Cela ne donne qu’une vision très partielle des apports des diverses observations réalisées par des membres de l’équipe e-CoLab, dès le début de l’expérimentation. Leur premier objectif était d’obtenir un recueil de données afin de mieux comprendre les potentialités offertes par la TI-nspire pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Mais elles s’inscrivaient aussi dans le projet commun d’une contribution au travail collectif sur les ressources : les équipes concevaient des ressources, utilisaient leurs propres ressources mais aussi celles élaborées par les autres équipes, en les adaptant au besoin. Elles s’interrogeaient sur leurs évolutions possibles. C’est cette dimension qui est plus particulièrement l’objet de cet article et nous voudrions souligner à quel point les observations ont contribué à ce travail collectif. Comme nous avons essayé de le montrer, la préparation des observations a conduit à un travail de fond sur les ressources dans leurs différentes composantes, qu’une ressource soit prise telle que ou qu’elle subisse des adaptations. De plus, chacune des observations a permis de faire émerger de nouvelles utilisations mais aussi de nouvelles questions et de nouvelles pistes à explorer. Elle a permis de mieux percevoir l’activité des élèves, celle de l’enseignant, et le partage réel des responsabilités au sein de la classe suivant les phases de la réalisation que ne peut le faire un enseignant seul dans sa classe.

Pour contribuer au travail collectif sur les ressources (§ 1), il s’agissait de trouver les moyens d’exprimer ces apports dans les ressources elles-mêmes, en travaillant sur les comptes-rendus d’observation. Essentiellement descriptifs et chronologiques, les premiers comptes-rendus ne nous satisfaisaient pas. Progressivement, nous avons mis au point une structuration conçue de la façon suivante : 

  1. Contexte
  2. Questions spécifiques à l’observation
  3. Analyse a priori des tâches proposées
  4. Description synthétique du déroulement
  5. Analyse structurée autour des questions identifiées en 2
  6. Synthèse et suggestions concernant la ressource concernée, ses usages, ses améliorations, ses enrichissements possibles 

Cette structure nous semble permettre de dégager des lignes de force dans une observation (au sens indiqué plus haut) et, ce faisant, aider un enseignant qui souhaite utiliser la ressource à mieux tirer parti de l’observation pour faire sens de la ressource, identifier ses potentialités, anticiper les difficultés mathématiques ou instrumentales qu’il pourrait rencontrer dans l’utilisation et ses interventions, penser l’adaptation de la ressource à son contexte propre. Les retours obtenus semblent montrer que c’est effectivement le cas, au moins au sein de l’équipe e-CoLab.

Or si les observations, comme celles décrites ci-dessus qui suggèrent des pistes pour l’examen de l’activité mathématique des élèves se sont révélées des outils indispensables pour la progression commune du travail d’e-CoLab, elles ne pouvaient rendre compte d’autres éléments également indispensables dans un projet pour lequel la question de l’intégration d’un nouvel outil technologique était centrale. En effet, outre un retour sur l’activité mathématique des élèves, celui sur l’activité instrumentée renseignant sur le rapport des élèves à cet outil était indispensable. La section suivante y sera dédiée, à travers l’examen du point de vue des élèves face à cette nouvelle expérience mathématique.

3. Les points de vue des élèves

Durant l’expérimentation, nous nous sommes intéressés au point de vue des élèves concernant l’usage de la calculatrice ; pour ce faire, nous avons élaboré un questionnaire (disponible sur EducMath) ; les élèves participant à l’expérimentation ont répondu au questionnaire au mois de décembre 2006 (les élèves avaient la calculatrice depuis les vacances de Toussaint) et au mois de juin 2007, ce qui nous a permis de noter des évolutions concernant les opinions des élèves vis à vis de l’artefact, mais aussi vis à vis de l’usage dans et en dehors du cours de mathématiques.

Nous avons également interviewé en utilisant des techniques de l’entretien d’explicitation (Vermersch 1990) à la fin de l’année quelques élèves choisis par les enseignants de façon à avoir des élèves en réussite en mathématiques, ou moins, en réussite vis-à-vis de l’outil technologique, ou moins. Ces élèves avaient déjà utilisé la calculatrice pendant toute l’année scolaire et l´objet de l´interview portait essentiellement sur les aspects liés aux usages de la calculatrice (impression personnelle, utilisation, instrumentalisation, organisation).

Dans cette partie, nous allons présenter les points les plus marquants qui ressortent de l’analyse de ces questionnaires et de ces interviews.

L´accès aux outils

Sur les questionnaires remplis, plus de 96% des élèves disposent d´un ordinateur à la maison et s'en servent presque tous les jours à 75% ; beaucoup d'élèves déclarent s'en servir pour le travail scolaire, mais bien sûr également pour les loisirs et la communication. A priori, les élèves avaient auparavant peu utilisé en classe des logiciels de géométrie dynamique (59,9%) et encore moins des logiciels de calcul formel (80,7%) .

Dans les entretiens, les élèves ont dit avoir accès à l’ordinateur chez eux et ils donnent des éléments de comparaison entre l’ordinateur et la calculatrice, en précisant les avantages des deux outils. Un des avantages de la calculatrice souligné par les élèves est lié à l’ultra portabilité, et aux applications liées de façon dynamique ; l’ordinateur, en revanche est préféré pour la facilité de manipulation de la souris et pour l´accès à Internet, comme l’illustre cet extrait de commentaire :

«J´ai une préférence pour la TI plutôt que pour l´ordinateur. On peut faire des graphiques, utiliser « Cabri ». La calculatrice est petite, j´aime bien manipuler, on peut l´emmener partout. Mon seul regret, par rapport à l´ordinateur, c´est de ne pas pouvoir envoyer des mails » (entretien, janvier 2007)

Instrumentalisation et instrumentation

On peut observer dans les réponses aux questions de la rubrique « rapport entre calculatrices et papier- crayon » dans le questionnaire que l´utilisation de la calculatrice est faite parallèlement avec l´environnement papier-crayon. L'influence des enseignants et les consignes données dans les activités de classe ou d'évaluation sont mises en évidence dans les questionnaires et les entretiens. Les élèves qui ont été interviewés, en parlant de leur première approche de la calculatrice, signalent clairement que ces premiers contacts ont été difficiles du fait de la nouveauté et de la complexité des commandes de cette calculatrice et ces difficultés ont été dépassées pendant l’année. Selon les élèves cette facilité et la maîtrise qu’ils montrent s’expliquent par l’emploi très régulier de la calculatrice en classe de mathématiques, les aides données par les enseignants et les conseils disponibles sur la fiche élève (dans la colonne « Manipulation et conseils » – § 1) :

« Ben c'est simple, notre professeur de mathématiques, il a montré les principales, les principaux endroits pour changer de dossier, faire un dossier et tout, des choses comme ça, et puis après c'était très simple : insérer une page, aller au menu principal, aller à un classeur, supprimer et tout… » (entretien, mai 2007)

« Au début, elle était compliquée quand même, je n’arrivais pas à m’en servir et tout, et avec le temps… Maintenant, ça va c’est facile […]. Le prof, les camarades nous aidaient et la feuille qu’il nous a donnée pour nous aider… Enregistrer, faire le tableur et choses comme ça…» (entretien, mai 2007) 

La facilité pour créer des répertoires des documents a permis aux élèves d’organiser de façon personnalisée leurs propres répertoires.

« Et ben c'est simple, j'ai fait pour toutes les matières, insérer un classeur pour toutes les matières, anglais, français, même celles qui servaient pas et comme ça pour m'amuser » (entretien, mai 2007)

« Oui, en fait, j’ai nommé le dossier pour m’y retrouver, parce que je l’utilise en physique pour le calcul, en SVT aussi et par rapport à la matière, le graphique, le tableur... j’ai organisé comme ça » (entretien, mai 2007)

On peut voir que le lien entre l’apprentissage des mathématiques et l’utilisation de la calculatrice est une question difficile à formuler et l’analyse des réponses des élèves est délicate, les réponses étant parfois contradictoires dans un même entretien ; on peut cependant souligner quelques éléments parmi les réponses des élèves qui peuvent nous donner quelques éléments, notamment sur des aspects de motivation :

« Non, c'est... ça peut être quelque chose d'intéressant, parce qu'on arrive à faire des graphiques en peu de temps ; par exemple, à la main s’il faut faire un graphique ça prend un peu de temps, mais à la calculatrice, je trouve que c'est un peu plus simple, parce que on peut changer les tailles, on peut voir en changeant les formules, enfin on peut tout, on peut même superposer les, les... enfin on peut créer d'autres pages, ouais, on peut faire plein de choses avec, c'est intéressant quoi … Non, euh, moi, je ne vois pas trop de différences, si ce n'est que ça permet d'aller un peu plus rapidement sur un problème, par exemple, où il faut faire des courbes, c'est un peu plus rapide, parce que la courbe elle se trace toute seule... Par rapport à ça... Mais, sinon, non je ne vois pas de différence » (entretien, mai 2007).

« En fait je n’ai pas un très bon niveau en math, mais après, avec la calculatrice, ça m’a motivé un petit peu plus quand même… Parce que je n’étais pas très motivé… Ça me permet d’apprendre des maths. C’est une façon d’apprendre les maths un petit peu... En fait, elle me permet de comprendre des choses que je n’avais pas compris au début de l’année quand on ne l’avait pas encore utilisée » (entretien, mai 2007).

« Car c’est la première fois que je pouvais avoir accès aux maths en comprenant presque tout » (questionnaire, juin 2007)

Utilisation de la calculatrice

L’analyse des questionnaires et des entretiens avec les élèves met en évidence que ceux-ci n’utilisent pas souvent la calculatrice chez eux ou dans d’autres disciplines :

« Juste pour le calcul simple... choses banales… dans l’autre matière, on n’a fait pas… juste le calcul » (entretien, mai 2007)

« C’est une division et choses comme ça, qui c’est dur à faire la main » (entretien, mai 2007)

En cours de mathématiques, la calculatrice a été fréquemment utilisée, même s'il y a un tassement qui peut s'expliquer par le fait que, dans la phase d'apprentissage, il était nécessaire de l'utiliser presque à tous les cours, alors, qu'au fur et à mesure de l'année, la calculatrice a plus été considérée comme un outil disponible dans la classe :

« Ben, elle a servi à trouver un problème ; donc après on a déduit. Déjà, ce qui est intéressant, c'est que, par rapport au dessin initial, on peut changer les points ; enfin on peut faire bouger les points, ça fait que les mesures changent et donc on voit […] et donc, après, comme c'est tout relié au nuage de points ou à des courbes, on peut voir les courbes qui changent et tout, donc c'est ça qui est pas mal » (entretien, mai 2007)

« Par exemple la figure géométrique, on peut voir des évolutions qu’on ne peut pas voir sur la feuille… sur la feuille il faut faire plusieurs dessins pour voir les évolutions… sur la calculatrice on peut changer différentes choses en fait… qui permettent de voir l’évolution de la figure chaque fois » (entretien, mai 2007)

Le degré de satisfaction est mis en évidence par l’évolution des opinions favorables ou très favorables, de 72,5 % en décembre à 82,2% en juin. Les raisons de satisfaction portent sur plusieurs facteurs tels que : la participation à une expérimentation, les possibilités et capacités de la calculatrice, l’aspect plus vague exprimé par une phrase du type « c’est intéressant » et l’aide à l´apprentissage des mathématiques ; le graphique ci-dessous montre l’évolution de quelques unes de ces réponses les plus significatives ; ainsi, si un peu moins de 5% des élèves interrogés avaient mis en avant en décembre l’aide à l’apprentissage des mathématiques, un peu plus de 27% d’entre eux y faisait référence en juin (graph. 1).

 

Graphique 1. Evolution des points de vue des élèves, de décembre 2006 à juin 2007

 

Les remarques des élèves appuient ce graphique : 

« Malgré mes difficultés en math, j’ai trouvé cette expérience très enrichissante, elle permet d´acquérir des connaissances mathématiques, autrement que par une feuille et un stylo, cela est motivant !!! » (questionnaire, juin 2007) 

« Parce que cela m’a permis de mieux comprendre certains subtilités en math. Elle m´a également permis de découvrir un nouveau moyen de découvrir les mathématiques » (questionnaire, juin 2007)

Difficultés

Les points négatifs mis en évidence par les élèves portent plutôt sur l’interface qui ne nous donnent que peu d’information du fait de l’utilisation l’an dernier d’un prototype qui, on l’a déjà souligné, demandait des améliorations qui ont été prises en compte dans la version actuelle de la calculatrice. Les difficultés d’instrumentalisation sont souvent minimisées par les élèves dans les entretiens : 

« …elle est accessible, elle est bien... on peut la comprendre facilement... Moi, je trouve qu'on peut la comprendre facilement » (entretien mai 2007) 

Cependant elles sont bien présentes dans leurs réponses aux questionnaires : au mois de décembre 21,6% des élèves déclarent que la difficulté d’utilisation de la calculatrice est un élément gênant pour son intégration dans le cours de mathématiques. Cependant, ce pourcentage diminue notablement au cours de l’année, puisqu’à la même question, seulement 12,4% des élèves soulignent cette difficulté d’utilisation au mois de juin.

Evolutions

Il est à noter une forte progression du sentiment que la calculatrice est une aide à l´apprentissage des mathématiques. Pendant le premier semestre d´expérimentation, les avis favorables des élèves vis-à-vis de la calculatrice étaient liés aux aspects ergonomiques et numériques : 

« J´aime bien le fait qu´il y ait des lettres. L´Ã©cran est grand, les calculs et graphiques clairs. On peut faire beaucoup de choses… elle a beaucoup de fonctions et les classeurs façon ordinateurs sont très bien. Elle possède toutes les fonctions possibles » (questionnaire décembre) 

Alors que, dans le deuxième semestre, l’accent est beaucoup plus mis sur les possibilités en calcul formel et sur les nouvelles potentialités : 

« Elle a la possibilité de créer des figures géométriques. De faire du calcul formel. De tracer des courbes » (questionnaire juin) 

La découverte des nouvelles potentialités est intimement liée à l´intégration de la calculatrice dans la classe de mathématiques. On peut faire l’hypothèse que l´intégration de la calculatrice favorise une réelle prise de conscience des apports de la calculatrice à l´apprentissage des mathématiques en même temps que la manipulation des principales fonctionnalités devient de plus en plus familière. Ce qui nous renvoie à la création des ressources qui doivent prendre en compte cette délicate instrumentalisation.

4. Les difficultés, les outils et les atouts du travail collaboratif

 Comme il a déjà été mentionné, les trois équipes du projet e-CoLab ont travaillé en commun en utilisant un espace de travail du site EducMath. Le fonctionnement de l’espace de travail, son organisation et son évolution ont été construits en parallèle avec son usage jusqu’à l’émergence d’un modèle (fig. 9), qui facilite la communication en proposant une organisation claire et une interface ergonomique. L’échange et le partage de documents étaient ainsi facilités par le biais de cet espace (fig. 8).

 

 

Figure 8. Extrait de quelques rubriques de l’espace de travail

La construction progressive de l’espace, s’appuyant sur les manques, les redondances et les imperfections d’une première structure a permis de prendre en compte les difficultés d’utilisation et les besoins exprimés au fur et à mesure de la construction collective des ressources, mais aussi des outils utilisés pour l’observation des expérimentations.

En s’appuyant sur l’expérience de ce travail, on peut classer les difficultés d’utilisation de l’espace en deux catégories bien distinctes :

  • d’une part, la difficulté à partager un travail que l’on sait n’être pas achevé : s’il est facile de partager lorsqu’on est en face les uns des autres, ce même partage est beaucoup plus délicat lorsqu’il s’agit de « publier », même dans un espace privé, une partie de son travail. Les habitudes de travail en commun, les non dits fréquents entre collègues habitués à travailler ensemble sont autant d’obstacles à la compréhension mutuelle et obligent à une clarification qui, si elle peut sembler lourde et difficile, procure une avancée dans la description et le partage d’une ressource comme on l’a bien noté dans la première section de cet article ;

  • d’autre part, l’ergonomie générale d’un espace de travail, même si elle a été pensée a priori dans un objectif précis de travail ne peut faire l’économie d’une mise à l’épreuve de la réalité des échanges. La facilité d’utilisation, une interface à la fois complète et rapidement utilisable ne se décrètent pas et l’expérience montre la nécessité d’une co-construction pour rendre opérationnel un tel espace de travail.

Chacune des trois équipes pouvait utiliser un espace propre de « ressources en devenir » pour proposer un germe de ressource repris, critiqué et enrichi par les collègues jusqu’à arriver à une situation suffisamment stable pour être proposée à l’ensemble de l’équipe. L’utilisation en classe permet de l’affiner et de l’enrichir des réactions des élèves, des effets des variables didactiques et de la distance instrumentale, comme il est indiqué pour la ressource « Descartes » (§ 2.1). Il est bien entendu que dans le cas de notre expérimentation, le travail à distance était un préalable indispensable et obligatoire pour construire les ressources et le travail collaboratif a permis d’abord une analyse a priori fine des situations proposées et en parallèle a permis la mise en place d’une structure commune de ressource (§ 1).

Deux exemples significatifs et mettant en avant des atouts de ce travail peuvent être montrés, d’une part pour la construction d’un outil d’observation lié aux questions de recherche et, d’autre part, pour la réalisation, mise au point et augmentation d’une ressource :

  • le questionnaire, dont les résultats sont évoqués dans le paragraphe précédent, a donné l’occasion d’une construction collective à partir d’un germe proposé par une équipe, puis repris, augmenté, critiqué, et finalisé par l’ensemble des acteurs. Pour cet exemple, le travail collaboratif a permis des allers-retours rapides pour sa construction et une analyse croisée des questions en fonction des populations visées. De plus, la construction collective et les versions conservées dans l’espace ont facilité la mise en place d’un canevas d’entretien qui s’appuyait sur le questionnaire et les remarques successives qui ont conduit à son élaboration.

  • une illustration qui peut être donnée pour la construction de ressource est l’exemple de « A vo(u)s paris », déjà citée dans le corps de cet article. A l’origine proposée par l’équipe de Paris, la ressource s’est affinée en fonction d’une part des remarques de tous, mais aussi en fonction des comptes-rendus d’observation dans les premières classes. La présence de cette histoire de la ressource facilite également la mise à jour pour « transférer » l’activité depuis la version prototypique de la TI-nspire vers la version commerciale actuelle ; il est bien sûr possible d’imaginer cette transposition vers d’autres logiciels et l’ensemble des traces successives du travail réalisé et des raisons des choix opérés sont une aide non négligeable à cette transposition. 

La version actuelle de l’espace de travail (fig. 9), encore en évolution prend en compte les remarques précédentes et est construit suivant le schéma ci dessous qui, non seulement est une carte de l’espace de travail mais qui permet à tout moment de savoir où l’on se situe dans cet espace.

 

Figure 9. L’arborescence structurant l’espace commun de travail sur EducMath

Le présent article, mais aussi le rapport intermédiaire du travail de l’équipe e-CoLab (Aldon et al 2007) sont des exemples de réalisations rendues possibles par l’utilisation d’un tel espace.

5. Conclusion

 La question du « collectif » dans le domaine de l’éducation n’est pas nouvelle. Du point de vue de l’apprenant, la traduction des travaux de Vygotski a certainement joué un rôle non négligeable dans le foisonnement de recherches où la caractéristique individuelle de l’apprenant, mise en avant dans l’épistémologie génétique de Piaget, cède sa place à la considération de l’apprenant comme sujet épistémique fruit de ses interactions sociales. Et si l’on retrouve dans la didactique des mathématiques française des éléments des cadres théoriques à la fois de Piaget et de Vygotski considérés comme directement pertinents (Brun 1994 ; Rogalski 2006), l’apport de l’environnement social dans le processus d’apprentissage et la suggestion d’un collectif épistémique semblent largement admis dans la communauté, leur héritage se manifestant dans de nombreuses théories didactiques (Brousseau 1986).

 

Avec le vertigineux développement des TIC et notamment avec l’apparition de nouveaux moyens de communication, l’intérêt pour le travail collectif dans le monde éducatif s’est multiplié, et de nombreuses recherches ont témoigné d’une mise à jour de l’enseignement des mathématiques sous ce prisme, la revue Repères étant notamment particulièrement sensible à ce questionnement, toujours d’actualité (Kuntz 2007).

 

Si le présent article a lui aussi traité de l’articulation entre travail collectif et nouvelles technologies, celle-ci s’y est trouvée exploitée à différents niveaux, en mettant surtout en exergue le travail d’une communauté de Humans-with-Media (Borba et Villarreal 2005) pour laquelle, prolongeant l’idée de collectivité épistémique, l’apprentissage –au sens large du terme- se produit à travers et tout au long de processus d’interactions.

En effet, il s’est tout d’abord agit ici de relater le travail entrepris par trois équipes (Lyon, Montpellier et Paris) autour d’un projet commun : celui de l’étude de l’intégration de la calculatrice TI-nspire dans des classes de seconde.

Nous avons vu que de par les particularités (citées en introduction) qui la distinguent des autres calculatrices, et comme cela avait été a priori envisagé, l’intégration de ce nouvel outil n’est pas allé de soi et a demandé un travail en amont considérable de la part des enseignants pour permettre à la fois une rapide appropriation de leur part, de celle des élèves, mais surtout pour optimiser l’exploitation des potentialités offertes par ce nouvel outil dans l’activité mathématique. A en juger les impressions des élèves ayant participé à cette expérience, nous pouvons estimer que le triple défi annoncé dans la section 1 a été relevé avec un certain succès.

Sur le plan instrumental d’abord, les difficultés rencontrées par les élèves lors de leurs premières manipulations avec ce nouvel outil semblent avoir été rapidement surmontées (§ 3). En effet, conscients de la complexité de l’outil, et au vu de leur propre appropriation de l’artefact, les enseignants, ne sous-estimant pas les difficultés d’instrumentation, ont ainsi accordé une place importante dédiée à l’aide et à l’explicitation instrumentale dans les ressources créées (§ 2).

Sur le plan de l’activité mathématique ensuite, outre le souci permanent de proposer des ressources susceptibles de révéler la richesse d’un travail mathématique que la banalité du problème et l’habitude de sa résolution dans l’univers papier-crayon pourraient cacher, l’exploitation de l’articulation entre les différents cadres -point auquel les enseignants étaient particulièrement sensibles- semble avoir porté ses fruits : bon nombre d’élèves y faisant notamment référence pour illustrer le sentiment qu’ils ont de la calculatrice en tant qu’aide à l´apprentissage des mathématiques.

Or – et cela nous renvoie à présent au second volet de l’articulation entre collectivité et nouvelles technologies : le Humans dans Humans-with-Media – le travail, dans sa forme actuelle, et le bilan que l’on en dresse, n’auraient pu voir le jour sans qu’un authentique esprit collaboratif ne lui fut sous-jacent.

 

De fait, le projet e-CoLab ne se limite pas à l’examen d’une question commune sur trois sites différents, ponctuée de simples échanges et partages d’expériences. Il s’agit de vivre un projet collectivement, ou plutôt de faire du projet un produit collectif. En d’autres termes, il s’est agit de construire, ensemble, cette riche expérience ; d’accepter les innombrables défis que cela représentait et, collectivement les relever. Et relever les défis revenait - et c’est ce point que nous avons cherché à mettre en valeur dans cet article - à construire, ensemble, les outils nécessaires.

Nous avons en effet vu que le travail collaboratif s’est révélé une condition sine qua non pour l’aboutissement des ressources telles que nous les avons présentées. Ces ressources, au caractère profondément évolutif, sont fruit d’échanges entre équipes, de suggestions proposées par leurs différents membres, de comptes-rendus d’expérimentations ayant eu lieu sur différents sites (avec leurs singularités), mais aussi de la progressive instrumentation des différents acteurs.

C’est parce que les équipes de Lyon, Montpellier et Paris étaient toutes porteuses d’un même projet (et par là même que la mutualisation de cette expérience en constituait son noyau), qu’un modèle de ressources a progressivement été mis en place, dont les composantes se voulaient elles aussi évolutives. Nous avons notamment ici montré dans quelle mesure ce travail collectif a marqué l’évolution des ressources (§ 1) et a aussi été à l’origine du développement des comptes-rendus d’observations (§ 2), eux-mêmes venant alimenter l’évolution des ressources, et ainsi de suite…

Or l’outil permettant la mutualisation à distance (§ 4) a lui aussi été bâti collectivement et en fonction des différents résultats qui apparaissaient progressivement. A la fois un outil pour le travail dans e-CoLab, l’espace de travail s’est, comme le suggère cet article, avéré un de ses objets d’étude, venant illustrer la nature quelque part cyclique de la notion de Humans-with-Media que nous avons ici tenté de mettre en lumière.

Par le biais de cet article, nous avons cherché à évoquer, tout en pointant les difficultés que peut représenter un travail collectif tel que celui vécu dans e-CoLab, toutes les richesses et potentialités de celui-ci. Les exemples relatifs aux différents volets du projet que nous avons ici choisi d’exploiter suggèrent que cette communauté témoigne d’une authentique collectivité épistémique : c’est de fait le réseau de contributions qui est à l’origine de la production de savoirs, au sens large du terme.

Alice Parizeau, dans Blizzard sur Québec (Parizeau, 1987), affirme : « Quand on étudie l'histoire, on s'aperçoit que ce sont les individus qui font avancer les collectivités ». Au vu de notre expérience dans e-CoLab, nous aurions tendance à dire que « ce sont les collectivités qui font avancer les individus ». Ainsi, aux quatre dimensions auxquelles ce numéro spécial est consacré : Apprendre, se former, expérimenter, créer des ressources ENSEMBLE nous rajoutons une cinquième, à notre sens produit des précédentes : évoluer ENSEMBLE.

Bibliographie

  • Aldon G., Artigue M., Bardini C., Trouche L. (dir.) (2007), Rapport intermédiaire de l’expérimentation de l’environnement TI-nspire : la recherche e-CoLab, INRP.
  • Borba M., Villarreal M. (2005), Humans-with-Media and the Reorganization of Mathematical Thinking - Information and Communication Technologies, Modeling, Visualization and Experimentation, Springer Netherlands.
  • Brousseau G. (1986), Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques, Recherches en Didactique des Mathématiques 7-2, 33-115.
  • Brun J. (1994), Evolution des rapports entre la psychologie du développement cognitif et la didactique des mathématiques. In M. Artigue, R. Gras, C. Laborde, P. Tavignot, (Eds), 20 ans de didactique des mathématiques en France. Hommage à Guy Brousseau et Gérard Vergnaud. La pensée Sauvage, 67-83.
  • Canet J.-F., Delgoulet J., Guin D., Trouche L. (1996), Un outil personnel puissant qui nécessite un apprentissage et ne dispense pas toujours de réfléchir, Repères-IREM 25, 65-81.
  • Guin D. (dir.) (1999), Calculatrices symboliques et géométriques dans l'enseignement des mathématiques, Actes du colloque francophone européen de La Grande-Motte, IREM de Montpellier
  • Guin D., Joab. M., Trouche L. (dir.), Conception collaborative de ressources pour l’enseignement des mathématiques, l’expérience du SFoDEM (2000-2006), INRP et IREM (Université Montpellier 2).
  • Guin D., Trouche L. (dir.) (2002), Calculatrices symboliques : transformer un outil un instrument du travail mathématique, un problème didactique, La Pensée Sauvage, Grenoble.
  • Kuntz G. (2007), Des mathématiques en ligne pour renouveler l'enseignement des mathématiques ? Repères-IREM 66, 104-113.
  • Lagrange J.-B., Artigue M., Guin D., Laborde C., Lenne D., Trouche L. (dir) (2003), Intégration des Technologies dans l'Enseignement des Mathématiques, Ecole, Collège, Lycée, Université, Actes du colloque ITEM, en ligne à l’adresse http://archive-edutice.ccsd.cnrs.fr/ITEM2003/fr/
  • Parizeau A. (1987), Blizzard sur Québec, Montréal, ed. Amérique
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  • Vermersch P. (1990), Questionner l'action : l'entretien d'explicitation, Psychologie Française 35/3.
  • Wenger E. (1998), Communities of practice : Learning, meaning and identity, Cambridge University Press.

Références :

  • L’ « hélicoptère »

  • « Le cavalier »

  • « Sangaku »

  • « A vo(u)s Paris »

  • « L’Enseigne »

Annexe 1

Un exemple d’apprentissage de la syntaxe de la machine inclus dans la fiche élève.

 

 

 

Annexe 2

Un exemple d'aide technique donnée dans la fiche élève

 

Annexe 3

 

Cette séance s’inscrit dans la progression d’une classe de seconde, après avoir traité les statistiques descriptives. Les élèves doivent savoir recueillir des données.

I Objectifs de la séance

  • Observer la variabilité des résultats dans la reproduction d’une expérience aléatoire et l’exprimer en termes de fluctuation d’échantillonnage en passant aux fréquences.

  • Observer que l’ampleur des fluctuations diminue lorsque la taille de l’échantillon augmente. Approcher le concept de loi de probabilité, comme donnant du sens à cette situation, même si le concept de probabilité n’est pas formellement au programme.

  • Approcher avec un langage simple les techniques de simulation sur la calculatrice et la programmation associée.

II Nos choix

Historiquement, l’homme s’est familiarisé à l’aléatoire à travers les jeux de hasard, d’où notre choix de mener cette séance sur le thème du jeu. L’idée du pari est liée à la fois à cette thématique et avec notre objectif d’approcher le concept de probabilité. Le second jeu est d’ailleurs connu pour avoir donné lieu à un article de d’Alembert dans l’Encyclopédie Méthodique (article Croix ou Pile) où il présente différentes mathématisations possibles.

Les mots « probabilité » ou « chance » font partie du vocabulaire des élèves de seconde. Ils recouvrent donc un champ de connaissance « intuitive » du concept de probabilité. Les nombreux travaux de recherche qui ont été menés sur cette connaissance intuitive des probabilités montrent l’existence de nombreuses conceptions erronées mais que l’on peut faire l’hypothèse que les élèves de seconde, dans des situations simples comme le lancer de dés supposés non truqués, ne mettent pas en doute l’équiprobabilité de sortie des différentes faces. Afin de donner du sens à notre démarche auprès des élèves, nous avons donc évité une expérience du type « jet d’une pièce ou d’un dé » et délibérément choisi une expérience pour laquelle le modèle échappe à leur intuition, tout en nous appuyant sur cette intuition première pour que la simulation qui sert de base à l’expérience soit crédible. D’où le choix de nous intéresser à la différence des valeurs affichées dans le lancement de deux dés.

…………..

Annexe 4

  Une fiche scénario

Ci-dessous un exemple de scénario concernant la séance 1 de la ressource « A vo(u)s Paris ! »

SEANCE 1    
Ce que fait le professeur Ce que font les élèves Temps
Dévolution du problème

On lance deux dés cubiques, parfaitement équilibrés, à six faces numérotées de 1 à 6. On note ensuite le numéro obtenu sur la face supérieure de chaque dé, puis on effectue la différence de ces nombres (en ôtant le plus petit au plus grand pour obtenir un nombre positif).

Poser la question : « Sur quelle différence parier ? »

Noter les paris au tableau sans les commenter.

Avant même de jouer « réellement », parier sur une différence.

Noter les paris de la classe sur la fiche élève.

5 min.

 

3 min.

Déroulement de la séance

I Jeu en binômes

si la séance est réalisée en classe entière ou individuellement si la séance est en module. Au moment de la synthèse collective, faire émerger quelles sont les seules valeurs possibles de la différence et réinvestir ce qui a été fait en statistique descriptive pour organiser les résultats sous forme de distribution. Noter les résultats des différents binômes au tableau sous cette forme.

Posez les questions :

« changez –vous votre pari ? »

« pour être vraiment sûr, que proposez-vous de faire ?»

(on espère voir apparaître l’idée d’augmenter la taille de l’échantillon)

Réaliser l’expérience (jouer) dix fois en binôme.



Recopier les distributions sur la fiche élève.

 

Réponse de l’élève sur la fiche

5 min.

 

 

7 min.

 

 

8 min.

II Utilisation de la TI-nspire

Chargement du fichier « A-vo(u)s-Paris » si non fait avant la séance

« Inciter » les élèves à changer nettement la taille des échantillons

III mise en commun des résultats précédents

Faire émerger l’idée que pour comparer des échantillons de taille différente, il est possible de « passer » aux fréquences

IV Explication du travail à réaliser à la maison

Les élèves choisissent la taille des échantillons, font les simulations avec la fonction échantillon et notent les résultats sur la fiche élève.

 

 

 

 

15min.

 

8 min.

 

4 min.

 

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