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La parole à

Dernière modification 15/02/2010 10:19

Mathématiques et enseignement

par Daniel Perrin
professeur à l'IUFM de Cergy-Pontoise
université de Cergy-Pontoise

L’assemblée des directeurs d’IREM (ADIREM) a décidé de proposer cette année un colloque exceptionnel, notamment pour célébrer le vingtième anniversaire de la revue Repères-IREM. Ce colloque aura lieu au CIRM (Centre International de Rencontres Mathématiques, à Luminy près de Marseille) du 15 au 19 mars 2010. Le titre de ce colloque est :  Les mathématiciens et l’enseignement de leur discipline en France. Il comprend neuf conférences, trois tables rondes et une vingtaine d’ateliers. Le lecteur en trouvera le programme sur ce site.

Le titre même du colloque mérite quelques explications. Le mot mathématicien peut être pris au sens restrictif de chercheur : celui qui produit des mathématiques nouvelles. Ce n’est pas le sens que nous avons souhaité lui donner, l’ouvrant à tous ceux dont le métier est lié à l’enseignement des mathématiques, chercheurs ou enseignants-chercheurs en mathématiques pures ou appliquées, en didactique, en épistémologie et en histoire des sciences, mais aussi enseignants des écoles, des collèges et des lycées, inspecteurs, etc. En effet, il nous a semblé que, plus qu’une fonction particulière, ce terme de mathématicien désigne un rapport à la discipline, une façon de penser les mathématiques à tous les niveaux, qui consiste pour chacun, face à une situation même élémentaire, à se poser ses propres questions et à tenter d’y apporter ses propres réponses. C’est un peu ce qu’Yves Chevallard désigne, s’agissant des enseignants du primaire, sous le vocable de « mathématiciens d’Ecole ». Il nous semble aussi qu’il y a, en dépit des différences de tous ordres, une profonde unité de cette communauté mathématique, organisée autour du développement et de l’enseignement de cette discipline.

Si l’on accepte ces principes, ils posent aussitôt nombre de questions. En effet, les mathématiques se développent actuellement selon un processus qui ressemble fort à une exponentielle. Une estimation grossière indique qu’il y a plus de 100000 chercheurs en mathématiques de par le monde et on dit couramment qu'il s'est produit plus de mathématiques depuis la dernière guerre mondiale que depuis l'origine des temps jusqu'à la dernière guerre. Pour donner une idée de ce phénomène, il y a, dans une bibliothèque importante comme celle d'Orsay, plus de 400 revues de mathématiques qui publient chacune plus de 1000 pages de mathématiques nouvelles par an. Il est clair qu’aucun mathématicien actuel, fut-il le plus brillant, ne peut avoir une vision globale de sa discipline comme pouvait encore l’avoir Henri Poincaré il y a un siècle. De plus, l’écart entre le niveau de la recherche, de plus en plus spécialisée, et celui des généralistes que sont les professeurs, s’accentue de plus en plus. Face à cette difficulté, il est essentiel qu’il y ait, à tous les niveaux, des médiateurs, qui puissent – sinon expliquer le travail des chercheurs – du moins en donner un aperçu et il faut qu’existent pour cela des lieux où les uns et les autres puissent se rencontrer.

Par bonheur, en mathématiques, ces lieux existent et ce sont les IREM (Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques). Il y a maintenant plus de 40 ans que les IREM sont apparus  et qu’ils sont un lieu privilégié où les mathématiciens de tous les ordres d’enseignement peuvent se rencontrer et travailler ensemble. Ce travail a d’ailleurs produit depuis l’origine une grande quantité de ressources pour les professeurs. Cette production a parfois été un peu anarchique et l’un des objectifs de la revue Repères, fondée en 1990, a justement été de faire un tri et une sélection parmi ces documents. Ce travail des IREM a été essentiel notamment pour accompagner les nombreux changements de programmes, en particulier quand ils impliquaient l’apparition de domaines qui ne faisaient pas partie de la formation habituelle des professeurs (probabilités et statistiques, graphes, utilisation des TICE et tout récemment algorithmique). Le colloque donnera un aperçu de ce foisonnement et du travail considérable de la revue Repères.

Les IREM, fidèles en cela à la deuxième lettre de leur sigle, ont aussi été le lieu qui a vu naître et se développer un nouveau domaine de recherche : la didactique des mathématiques. L’échec de la réforme dite des « mathématiques modernes » n’y est certes pas étranger. La communauté a pris conscience en effet à cette occasion des dangers qu’il y avait, même avec les meilleures intentions du monde, à appliquer des réformes insuffisamment préparées à un système éducatif complexe.  En un peu plus de trente ans, et malgré certaines réticences initiales, la didactique a su se faire une place au sein de la communauté mathématique. On en verra apparaître certains aspects dans ce colloque.

D’autres actions des IREM sont encore à noter. A côté de l’enseignement secondaire standard, les IREM n’ont pas oublié l’enseignement primaire, ni l’enseignement technique et professionnel, via les travaux des commissions Inter-IREM correspondantes. Ils ont aussi été un lieu d’échange avec les autres disciplines, tant il est vrai que, face aux campagnes de dénigrement dont les mathématiques sont périodiquement victimes de la part de politiques en mal de démagogie ou de journalistes en quête de scoops, il faut répéter sans relâche, et en multipliant les exemples, que les mathématiques sont utiles et utiles à tous.

Enfin, les IREM ont joué un rôle essentiel dans la formation des maîtres, souvent en liaison avec les IUFM (même si les relations entre ces deux institutions n’ont pas toujours été faciles). En particulier, ils sont intervenus de façon essentielle dans la formation continue. Au moment où se prépare une réforme catastrophique de la formation des maîtres, ils restent un des rares points d’ancrage solides auxquels nous pouvons nous raccrocher.

Nous espérons que le colloque du CIRM sera l’occasion de réaffirmer avec force la vocation des IREM à poursuivre la réflexion sur l’enseignement des mathématiques, sous toutes ses formes et à tous les niveaux, et qu’il leur donnera un nouvel élan pour les décennies à venir.

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1 Les IREM étaient une revendication ancienne de l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), mais c’est à la faveur des événements de mai 1968 qu’ils ont vu le jour. L’auteur de ces lignes se souvient d’un jour de l’été 1968 où, délégué des agrégatifs grévistes, il a vu Edgar Faure, alors ministre de l’Education Nationale, reprendre au vol cette suggestion pour inciter les agrégatifs à passer l’oral du concours

 

2 Voilà ce que dit à ce sujet le rapport sur la géométrie de la commission Kahane, ici inspiré par Guy Brousseau : il semble évident que la communauté mathématique, dans son ensemble, a surestimé ses connaissances sur les conditions de la diffusion des mathématiques et sous-estimé les problèmes culturels, épistémologiques et didactiques que son projet soulevait. Aujourd'hui encore, les quelques connaissances qu'a apportées la recherche en didactique des mathématiques sur ce type de phénomènes sont encore trop limitées et insuffisamment connues.

 

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