ICMI-16, 2006
ICMI 16, impressions d'après colloque, Trondheim (Norvège), 28 juin-2 juillet 2006
Télécharger le document (format pdf, 874Ko) Présentation du colloqueImpression des quatre participants français à la 16ème étude ICMI, qui s'est déroulée du 28 juin au 2 juillet en Norvège, sur le thème Challenging Mathematics in and beyond the Classroom : Voici une photo du grand mobile qui orne l'entrée du dernier bâtiment de l'Université de Trondheim. Un bon exercice est de mesurer les périodes de rotation du « croissant extérieur » et des « flûtes andines » intérieures, que fait chanter le vent. Il ne faut pas le faire indépendamment, mais en situant la petite période par rapport à la grande ; c'est à la fois un exercice de physique, d'astronomie (par analogie) et de mathématiques, pouvant aller jusqu'aux fractions continues et mouvements presque-périodiques. |
Introduction
Les études d’ICMI (International Commission on Mathematical Instruction) se succèdent à un rythme soutenu, sur des sujets souvent intéressants, sans vraiment attirer l’attention des enseignants, français, même fortement engagés dans l’enseignement des mathématiques. La seizième étude d’ICMI, qui vient de se tenir en Norvège avait pourtant un thème dans lequel la France connaît de brillantes réalisations : « Challenging Mathematics in and beyond the Classroom ». Que l’on songe aux innombrables rallyes ou compétitions mathématiques, à Math.en.Jeans, à Animath ou à Maths à Modeler, aux travaux sur l’Histoire des mathématiques ou sur l’astronomie, aux réflexions et aux réalisations des IREM et de l’APMEP pour ré-enchanter les mathématiques, oui vraiment ce thème avait de quoi séduire tous ceux qui en France tentent de promouvoir des mathématiques stimulantes et porteuses de défis. Et pourtant, deux communications seulement, parmi les quarante retenues par ICMI 16, sont issues de France…
Est-ce la barrière de la langue (ICMI parle anglais), la publicité insuffisante faite aux appels à communication, est-ce l’idée que tout cela concerne surtout les chercheurs (ils n’ont pas été au rendez-vous…), ou la difficulté française à penser en termes de mondialisation ? Tout cela explique sans doute la discrète présence française à Trondheim, en contraste avec ses belles réalisations. Il a semblé aux quatre participants français à ICMI 16 qu’il convenait de faire écho à cette manifestation et d’en expliquer l’intérêt, afin d’encourager tous ceux qui créent en France des mathématiques de qualité, à proposer des communications pour des études à venir. Car ces rencontres sont de remarquables occasions d’échanges et d’enrichissement pour les participants. Et les ouvrages publiés lors de chaque étude laissent des traces pour les chercheurs du monde entier.
Pour que la participation française s’accroisse et se diversifie, il est indispensable que revues et sites diffusent (et rappellent) les thèmes des études et les appels à contribution dès leur lancement. Avec les dates limites de soumission… Que les responsables d’instituts ou d’associations sollicitent leurs membres pour qu’ils fassent connaître leurs travaux et les proposent sous forme écrite, dans le format exigé. En attendant ces initiatives, les participants français à ICMI 16 livrent ici leurs impressions. Ils espèrent que leur expérience conduira d’autres à tenter l’aventure. Mais auparavant, Jean-Pierre Kahane, ancien président d’ICMI, situe les « études d’ICMI » dans l’histoire de cette organisation.
Petite histoire d'ICMI et de ses études
La Commission Internationale de l’Enseignement Mathématique (CIEM, en anglais ICMI) a deux actes de naissance. Curieusement, elle est née avant l’Union Mathématique Internationale (UMI, en anglais IMU) dont elle est une commission. Dès 1900, sous l’impulsion de son premier président, Félix Klein, elle menait des enquêtes sur les formes variées de l’enseignement des mathématiques à tous les niveaux (lycées et enseignement supérieur en priorité) dans tous les pays d’Europe, et elle en publiait les résultats dans la revue suisse « L’Enseignement Mathématique », qualifiée d’ « organe officiel de la CIEM ». En 1908, quand l’UMI fut créée, sa première commission, la CIEM était déjà en place ; sa seconde naissance comme commission de l’UMI, a donc eu lieu à Rome en 1908, à l’occasion du quatrième congrès international des mathématiciens.
Elle a traversé depuis lors, des fortunes diverses. Extrêmement active jusqu’à la première guerre mondiale, elle semble avoir été somnolente entre les deux guerres. Elle a été remise en selle, avec une assise élargie, après le congrès international de mathématiciens de Harvard en 1950, mais elle a été peu impliquée dans les débats des années 1950 et 60 sur la réforme de l’enseignement mathématique, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur, profondément remanié au cours des années 50, ou des enseignements élémentaires et secondaires, lors de la vogue des « mathématiques modernes ». Elle a repris vigueur après les congrès internationaux de l’enseignement mathématique, dont le premier eut lieu à Lyon en 1969, et qui depuis 1972 se tiennent tous les quatre ans, avec une audience et un succès croissants.
En même temps, elle s’est structurée. Elle a changé de nom et s’appelle aujourd’hui ICMI, International Commission on Mathematical Education, de même que l’Union Mathématique Internationale est désormais désignée comme IMU, International Mathematical Union. Son comité exécutif est élu par l’assemblée générale de l’IMU, mais elle a ses propres assemblées générales, qui sont des émanations des sous-commissions nationales ; en France, la sous-commission nationale, qui a été créée au début des années 70, est la CFEM, Commission Française de l’Enseignement Mathématique. Le délégué national, (« national representative ») est en principe le président de cette sous-commission. Les membres de l’ICMI ne sont pas des individus, mais des pays, comme c’est le cas pour l’IMU. En fait, la composition de l’ICMI déborde de celle de l’IMU, et comporte actuellement 81 pays.
Les congrès restent l’activité la plus spectaculaire ; ce sont les ICME, International Congress on Mathematical Education, qui regroupent plusieurs milliers de participants. Les groupes affiliés à l’ICMI (psychologie, histoire, compétitions, femmes) ont aussi leurs congrès, ainsi que les structures régionales (Asie du Sud-Est, Amérique latine, et actuellement, par assimilation à une région, l’espace francophone).
Le regard de Martine Janvier.
Mon engagement dans ICMI 16 ne s’est pas limité à la conférence de Trondheim. Il aura duré au moins trois années, au cours desquelles j’ai découvert un comité international qui réfléchit à ce que sont (et seront) les mathématiques enseignées dans nos classes. Ce comité et ses travaux sont malheureusement très largement inconnus des enseignants de terrain dont je fais partie. Il me semble qu’il est assez inhabituel qu’une professeure de mathématiques « de base » soit invitée à participer à l’IPC (International Program Committee) d’une étude ICMI. Je manque d’informations sur ce sujet pour l’affirmer, mais les difficultés rencontrées me confortent dans cette impression ! Des difficultés, certes (et je vais en parler), mais aussi beaucoup de découvertes, de rencontres, d’apprentissage, que les travaux pour préparer et réaliser ICMI 16 m’ont permis de faire et que je souhaiterais partager avec le plus grand nombre possible de collègues.
Quand j’ai accepté de faire partie du comité international de programme (IPC) de cette étude, je ne savais rien d’ICMI. Mon rôle de secrétaire de l’association CIJM (Comité International des Jeux Mathématiques) me permettait d’être informée des activités proposées par des enseignants qui cherchent à installer une dynamique dans l’enseignement des mathématiques. C’est ainsi qu’en France, en Italie, en Belgique, en Ukraine… depuis une vingtaine d’années, des « compétitions » sont organisées pour offrir aux jeunes des rencontres mathématiques dans un cadre moins contraignant que le cours habituel (mais en liaison avec l’enseignement classique). Une trentaine de ces organisateurs de rallyes, tournois ou championnats se sont réunis pour partager leurs expériences et leurs pratiques, pour travailler ensemble, créant ce Comité International de Jeux Mathématiques. De plus, la participation aux travaux menés dans des groupes de recherche IREM, l’intérêt que je portais à des expériences telles que Math en Jeans en France ou Math expo en Belgique, m’incitaient à témoigner de ce foisonnement de « bonnes idées », même si je savais que ma méconnaissance de la langue anglaise rendrait pénible ma participation aux discussions internationales.
Un peu impressionnée, j’ai donc rencontré une première fois mes « collègues » de l’IPC à Modène en octobre 2003. Nous avons préparé un brouillon du document de discussion, en achoppant sur le terme Challenging mathematics, qui me semblait très difficile à exprimer en français. Je me suis très vite aperçue que dans les autres langues, la difficulté était la même : toute traduction de cette expression est réductrice. Nous avons donc discuté longuement pour être certains de penser le même concept, à défaut de trouver le mot juste. Vaste travail : comment ne rien oublier sans tomber dans l’énumération fastidieuse des actions qui relèvent des Challenging mathematics ? Puis, de brouillons en brouillons, Ed Barbeau et Peter Taylor ont amélioré le document de discussion ; le point final a été mis au cours du congrès ICME 10 de Copenhague. Ce texte a été traduit en plusieurs langues ; je me suis chargée de la version française qui a été publiée sur le site de la CFEM, en invitant les lecteurs à proposer des contributions pour la conférence finale. Tous les membres du CIJM ont été informés ; parmi ses membres seuls Lucia Grugnetti et François Jaquet pour le Rallye Mathématique Transalpin ont envoyé une contribution qui a d’ailleurs été acceptée. Inquiète du manque de réactivité française (il est vrai que mon absence de notoriété pour la plupart des universitaires ne favorisait pas les réactions) j’ai demandé l’aide de Michèle Artigue ; deux contributions nouvelles ont été proposées : celles de Cécile Ouvrier-Buffet et de Gérard Kuntz .
Autre responsabilité, les membres de l’IPC étaient chargés d’évaluer les contributions, de suggérer des réorientations aux auteurs, d’accepter ou de refuser leur participation aux rencontres de Trondheim. C’est peut-être là que l’obstacle de la langue a été le plus important pour moi. Pour deux ou trois contributions, l’adhésion me semblait immédiate ; pour d’autres j’avais beaucoup de mal à trouver une certitude et la responsabilité me semblait très lourde. Heureusement, la décision finale était collective ! J’évoquais plus haut les difficultés rencontrées par le « professeur λ » pour participer à cette aventure. Il est difficile, voire impossible, pour un professeur de Sciences de l’enseignement Secondaire, de recevoir de l’Education Nationale une formation complémentaire en langue anglaise ; il est aussi très difficile de trouver un financement et d’obtenir un ordre de mission lorsqu’on n’appartient pas à une Université ! Les solutions existent mais il faut de la pugnacité, certains diront de l’entêtement … ou de l’inconscience, pour les trouver !
Une fois ces obstacles surmontés, chacun des cinq jours de travail à Trondheim a apporté son lot de rencontres, d’échanges et de découvertes. Les discussions informelles ont été particulièrement utiles : sur le chemin de l’Université, les conversations ont permis de mieux se connaître et d’imaginer des projets communs. La formule de répartition en groupes et en sous-groupes permettait une meilleure compréhension entre les personnes. Pourtant les difficultés que nous avons maintenant pour écrire un compte-rendu pour le sous-groupe auquel je participais, prouvent que l’unanimité n’était qu’apparente et qu’il restait beaucoup de non-dits ou de malentendus. Notre sous-groupe avait pour mission de faire le point sur l’aspect Dans la classe, du point de vue de l’élève. Puis une mise en commun nous réunissait avec le reste du groupe chargé de l’aspect Dans la classe, du point de vue du professeur.
Quelles que soient leurs origines, géographiques ou professionnelles, toutes les personnes réunies avaient, me semble-t-il, un but commun : chercher et développer des méthodes pour que les mathématiques contribuent au développement personnel et intellectuel des individus. Dans cette diversité, ce foisonnement, transparait une même volonté de proposer, à quelque niveau d’enseignement que ce soit, un travail ambitieux et exigeant mais « ouvert », qui laisse à chacun le plaisir de chercher. Volonté aussi de ne pas céder à la tentation du « minimalisme » : maintenir un niveau d’exigence n’est pas pratiquer l’élitisme contrairement à ce qu’affirment certains, c’est au contraire croire en la capacité de l’enfant à se dépasser. Au terme de la conférence, où nous avions évoqué tant de pratiques, d’activités, d’expériences, le terme « challenging mathematics » prenait véritablement sens. L’élève est mis en situation de recherche à partir d’une question dont l’énoncé ne présente pas de difficulté de compréhension ; on attend de lui qu’il élabore (seul ou en groupe) une stratégie ; qu’il soit en mesure de formuler des conjectures et des résultats ; qu’il les défende et qu’il argumente en faveur des solutions proposées.
La principale innovation des années 1980 a été la série des études (« ICMI Studies »), sous la responsabilité du président et du secrétaire de l’ICMI (successivement Kahane et Howson, Guzman et Niss, Bass et Hodgson). Il s’agit dans tous les cas, d’un sujet parvenu à maturité au plan international ; la première étude, sur l’influence des ordinateurs et de l’informatique sur les mathématiciens et leur enseignement, reste une référence. Le schéma est toujours le même : un comité international, un document préparatoire (« discussion document »), un courrier abondant, une réunion restreinte (quelques dizaines de participants), et un document final édité comme livre. Les premiers livres, édités par la Cambridge University Press, furent épuisés rapidement. Une nouvelle série porte l’acronyme significatif de NISS : c’est la New ICMI Study Series, qui porte la marque de son initiateur, Mogens Niss. C’est dans ce cadre qu’a été préparée et réalisée la réunion de Trondheim (ICMI 16) et que s’élabore le document final.
Dans cette configuration le rôle du professeur ne consiste plus (prioritairement) à transmettre des connaissances : il devient l’assistant, le conseiller, l’observateur de ses élèves. Ce rôle n’est pas confortable, car il impose de s’adapter aux solutions proposées (parfois imprévues), de réorienter les recherches, de vaincre les découragements ; il nécessite une gestion du temps, une souplesse d’organisation et une grande attention à la cohérence des activités proposées. Cette façon de procéder constitue aussi un challenge pour l’enseignant !
Au cours des nombreuses discussions que nous avons eues entre Français (nous ne nous connaissions pas ou peu avant cette rencontre de Trondheim), chacun a eu l’occasion d’évoquer la richesse des situations « stimulantes » qui sont proposées en France et qui constituent autant de laboratoires pédagogiques, institutionnalisés ou non, ambitieux ou discrets, en milieu scolaire ou à l’adresse du grand public. Par une brève prise de parole en début de conférence j’ai eu l’occasion d’évoquer les rallyes, tournois et autres compétitions qui animent – parfois agitent mais d’une agitation salutaire- les écoles françaises pendant l’année scolaire, le grand rendez-vous annuel que constitue maintenant le « Salon de la Culture et des Jeux Mathématiques » à Paris, les quelques magazines et publications dédiées aux mathématiques, les clubs de Math en Jeans. Au contact de Jean-Pierre Kahane, j’ai redécouvert les actions menées par l’association Animath, ses Olympiades, ses promenades mathématiques et beaucoup d’autres actions de grande qualité menées en direction des élèves ou des étudiants ; Enfin l’ambitieux projet de laboratoire de mathématiques dans chaque collège et lycée.
La conférence est finie, le « study volume » est en préparation, j’ai retrouvé mes élèves ! Retour du général au particulier… Faire évoluer notre enseignement des mathématiques n’est pas simple ; il faut s’attaquer à bien des résistances, faire preuve de beaucoup d’optimisme. Les moments de réflexion que représentent les études ICMI ne peuvent qu’être salutaires ; il faut les faire connaître !
Le regard de Cécile Ouvrier-Buffet.
Conduire une telle étude sur les « challenges » mathématiques est d’une réelle difficulté, je n’en mesurais pas a priori toutes les implications. En effet, la seule définition d’un « challenge » constitue déjà un casse-tête ! Il serait possible d’en proposer plusieurs, sous forme de questions : un challenge est-il un processus accompagné d’un changement de « niveau » de connaissances, un processus d’apprentissage non traditionnel, une expérience typique dans le « monde réel » ou s’apparente-t-il au problem solving, cher aux Anglo-Saxons ? Ces questions ont été examinées en ouverture de la rencontre de Trondheim. Le dispositif de répartition en groupes a déjà été présenté, je n’y reviendrai pas. Je préfère rapporter ici les questionnements que j’ai ressentis comme majeurs lors des discussions du sous-groupe auquel j’ai participé (il était consacré au thème: « les challenges dans la classe, du point de vue de l’élève ») et tenter de les examiner du point de vue de la didactique.
Je suis allée à cette étude pour présenter les situations de recherche de l’équipe Maths à Modeler. Cette équipe est composée de chercheurs en mathématiques discrètes et de didacticiens. Il existe dans la recherche actuelle des problèmes non résolus, faciles d’accès, qui peuvent permettre, dès les niveaux élémentaires, d’entrer dans une démarche mathématique. L’équipe Maths à Modeler a montré que l’on peut faire des mathématiques à partir de vrais problèmes issus de la recherche. L’organisation des ateliers « Maths à Modeler » est calquée sur la pratique des chercheurs en mathématiques. Cette pratique s’inscrit dans le long terme, et propose, via des ateliers dans les classes, des modalités permettant un compromis entre la nécessité de la durée et les contraintes liées au fonctionnement de la classe. Les didacticiens de l’équipe ont travaillé à la définition de la « situation-recherche » ainsi que sur les modalités de l’implémentation en classe de telles situations. L’enseignant guide la conduite des séances, mais n’est pas le garant de la validité des résultats, il n’est pas le détenteur du savoir. Au cours des ateliers, les élèves sont gestionnaires de leur propre recherche : un résultat faux est souvent aussi productif qu’un résultat exact, une question peut être aussi importante qu’une réponse... Hors cadre scolaire, les situations-recherche vivent également dans les Fêtes de la Science et dans d’autres évènements de vulgarisation scientifique.
Les discussions de Trondheim ont soulevé les difficultés didactiques des différents types de challenges (dans le cadre scolaire et en dehors), que ce soient les situations-recherche, les rallyes, les laboratoires de mathématiques, les musées scientifiques. Les challenges se déroulant sur un temps long nécessitent, pour le didacticien, un cadre théorique permettant de les étudier, de les comparer et de mettre en évidence les différentes pratiques issues de ces challenges. Un tel cadre théorique existe-t-il ? Des pistes sont proposées, telles l’approche vygotskienne ou l’ingénierie didactique de Brousseau, mais la construction de ces cadres théoriques reste à poursuivre. Se posent alors des questions évidentes, mais cruciales : quels sont les obstacles à la mise en Å“uvre de ces challenges ? Quels sont les types de connaissances en jeu et les types de situations rencontrées ? Comment évaluer un challenge pratiqué en classe ? Cette évaluation est-elle possible, pertinente, réalisable ? Comment collecter les données, alors qu’à chaque contexte peuvent correspondre des postures différentes des protagonistes du challenge ?
Les études de cas qui seront proposées dans le volume d’ICMI 16 éclaireront ces questions et feront ressortir la variété des challenges, les contextes dans lesquels ils peuvent être proposés, leurs caractéristiques épistémologiques et leurs réalisations didactiques. Pour revenir à l’évaluation d’un challenge réalisé en classe, il n’est bien évidemment pas question d’évaluer des performances, mais des processus ; c’est ce qui en fait la difficulté. Dans des configurations telles que les situations-recherche de Maths à Modeler ou de Math.en.Jeans, le rôle de l’écrit et des présentations orales est fondamental. Pour un meilleur suivi de l’activité, un journal de recherche par groupe permet de fixer la mémoire et de baliser l’évolution de la recherche d’une séance à l’autre. Cela peut se faire sous forme de textes, de dessins, de schémas, etc. Ce journal est une composante privée du groupe d’élèves, mais aussi une pratique réflexive sur leur activité de recherche.
Les objectifs prioritaires des challenges mathématiques se dessinent clairement : accroître la culture scientifique du plus grand nombre, stimuler l’intérêt et la curiosité des élèves, les réconcilier avec les mathématiques et les sciences… La réflexion et la recherche didactique à leur sujet méritent d’être poursuivies et amplifiées. De nombreux travaux sont en cours, pour mieux comprendre la complexité des situations observées et mieux atteindre les objectifs espérés. Si la seizième étude ICMI peut sembler « mineure », quand on la compare aux précédentes, le véritable défi sera d’en proposer des prolongements, afin que la question des challenges mathématiques « in and beyond the classroom » devienne une étude ICMI de grande envergure.
Le regard de Jean-Pierre Kahane.
Comme je n'aurai pas le temps de faire un rapport, voici quelques impressions personnelles.
Organisation impeccable, temps agréable, jolie ville, promenade plaisante chaque jour pour aller de l'hôtel à l'Université et retour, bonne ambiance dans le groupe où j'étais (et apparemment dans l'ensemble). Sujet intéressant, à faces multiples. Il faudrait développer chacun de ces points. L'organisation reposait sur le Centre norvégien pour l'enseignement mathématique. Ce centre est de création récente. J'en avais entendu parler en 2002, à l'occasion d'une enquête sur les mathématiques en Norvège, comme d'un important projet, pourvu au départ de 6 millions de couronnes norvégiennes pour quatre ans et de quatre postes permanents, dont celui de la directrice, Ingvill Stedoy (alors Holden). Nous avons reçu un tout petit dépliant sur ce centre, et nous avons eu un aperçu de son action sur le terrain avec l'excursion à la forteresse de Trondheim ; si j'ai bien compris, l'activité culturelle et touristique de la forteresse Kristiansen repose actuellement sur son lien organique avec le centre. Cependant je trouve dommage que nous n'ayons pas eu d'exposé sur ce qu'est le centre et sur sa responsabilité nationale, et que nous n'ayons eu aucun rapport avec le département de mathématiques de l'Université, qui est l'un des plus brillants de Norvège.
Une occasion de contacts intéressants, que j'ai manquée, a été la dernière étape de la compétition inter-scandinave « Kapp Abel ».
La formule de la 16ème étude ICMI était originale, avec la répartition en petits groupes chargés de rapports partiels. La vue d'ensemble était supposée acquise avec les contributions préalables et les analyses qu'en avait faites Edward Barbeau . Mon sentiment est que le travail en groupes a ses limites, et qu'il a occupé trop de temps. Sur un sujet de cette richesse, quelques exposés d'ensemble, du type de celui de Sossinsky sur l'expérience soviétique et russe, auraient été bienvenus. En particulier, l'expérience française qui est très diverse, aurait été un bon sujet pour un exposé général ; il n'est pas trop tard pour faire, à l'intention des Français d'abord, un tableau de tout ce qui se fait en France en matière de jeux, de compétitions, de rallies, de clubs, d'activités hors classe etc. et de la manière dont une telle approche des mathématiques peut être tentée dans la classe elle-même.
J'avais été invité à faire un exposé introductif, et ce n'était pas la place pour dire ce qui se faisait en France. J'ai choisi comme thème la dialectique entre compétition et coopération, en insistant sur la primauté de la coopération dans l'avenir. Les organisateurs, en me demandant d'introduire le colloque, pensaient peut-être au rôle que j'avais eu comme président de la CIEM pour le lancement des premières études, et plus encore sans doute au rapport que j'avais fait en 1996 au congrès SEAMS 7 de Hanoi (in abstentia) sur les compétitions mathématiques, qui avait été traduit en anglais et imprimé dans le bulletin de la CIEM.
C'est l'occasion pour moi de dire un mot sur l'aspect linguistique. Autant il est indifférent pour moi de parler ou d'écrire en anglais ou en français quand il s'agit de recherche mathématique, autant ce ne l'est pas quand il s'agit d'enseignement. Dans mon rapport de Hanoi je m'étendais sur la signification des concours à la française, qui ne se réduisent pas à des compétitions, et inversement aux compétitions qui n'ont pas le caractère de concours. Dans la traduction anglaise c'est gommé. Inversement, les "challenging mathematics" avaient visiblement au cours du colloque au moins deux significations souvent mal distinguées : des mathématiques stimulantes, et des défis mathématiques. C'est une question qui se rencontre dans toutes les études et congrès de la CIEM, à l'exception des congrès francophones qui ont démarré en 2000 à Grenoble, et que Bernard Hodgson a fait homologuer à l'égal des congrès régionaux.
Mon regret est que l'on n'ait pas plus développé l'aspect proprement mathématique des "challenging mathematics", comme l'auraient fait, disons, George Polya ou Paul Erdös. Il n'y a pas eu beaucoup de défis entre participants : celui que nous a proposé Alexei Sossinsky, un joli problème de pavage , ne semble avoir attiré beaucoup d'attention. Pourtant, si nous invitons nos élèves à se casser la tête en leur expliquant que c'est délectable, ne serait-il pas bon que nous nous livrions à l'exercice quand l'occasion se présente ?
Le regard de Gérard Kuntz.
Cinquante auteurs tissent la trame d’un livre « collaboratif »…
Dans la plupart des colloques, l’essentiel du temps est consacré à écouter une longue suite de communications, et, dans le meilleur des cas, à en discuter brièvement. ICMI 16 a inversé les priorités. Les organisateurs de la rencontre avaient compris qu’on ne déplace pas des personnes très occupées, pour écouter des discours qu’elles peuvent lire chez elles, grâce aux technologies, dans d’excellentes conditions. La quarantaine de communications retenues (et améliorées grâce aux suggestions des re-lecteurs) était en ligne plusieurs semaines avant la rencontre de Trondheim. Les participants avaient été invités à en prendre connaissance avant de se rendre en Norvège. Les cinq jours de colloque (à l’exception des deux conférences plénières ) pouvaient être consacrés entièrement aux échanges sur le thème choisi et préparé très soigneusement, « Challenging Mathematics in and beyond the Classroom ».
Les participants furent répartis en trois groupes d’une quinzaine de personnes (ces groupes se sont eux-mêmes subdivisés), appelés à définir et à proposer des mathématiques stimulantes, selon trois points de vue : « à l’intérieur de la classe, du point de vue des élèves » ; « à l’intérieur de la classe, du point de vue des enseignants » ; « au-delà de la salle de classe ». De façon un peu mystérieuse, je me suis retrouvé « hors de la salle de classe », alors que ma communication se situait prioritairement « en classe ». Sans doute, les responsables des journées d’études avaient-ils pressenti que les TIC bousculent les frontières et que les utilisateurs d’Internet ont beaucoup de peine à préciser où ils se situent, en classe ou au-delà … Des discussions menées à Trondheim naîtra dans quelques mois un ouvrage, dont le titre reprend celui des journées d’études. Chaque groupe va produire trois chapitres de vingt pages environ, sur un aspect particulier. Différents coordonnateurs (des sous-groupes, des groupes et de l’ensemble) ont été désignés et un calendrier a été établi.
La richesse de ce type de rencontre réside dans la confrontation des points de vue des experts réunis, pour qu’ils élargissent leurs horizons, définissent des priorités, précisent leurs convergences et évaluent leurs désaccords. Il aurait été plus simple de juxtaposer les quarante contributions initiales dans un ouvrage, mais il y aurait justement manqué la densité des échanges, les propositions nouvelles et les synthèses qui en sont issues.
Au cours des deux premières journées d’échanges au sein de mon groupe, je suis intervenu chaque fois que les TIC pouvaient apporter une aide, des outils ou une nouvelle façon d’envisager les mathématiques « au-delà de la classe ». Plusieurs collègues ayant soutenu mes positions (il y avait dans le groupe un regard bienveillant sur les TIC), il fut décidé de créer un sous-groupe consacré tout entier à ce sujet. S’y trouvaient réunis une Norvégienne, un Canadien (d’origine russe), un Russe, un Serbe et moi. Il fallut d’abord partager nos expériences dans le domaine des TIC et constater qu’elles étaient voisines, en dépit de situations culturelles et économiques très contrastées : certains logiciels (géométrie dynamique, tableurs, grapheurs, calcul formel …) permettent un profond renouvellement de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. Ils y introduisent une importante dimension expérimentale. Ils rendent possible une écriture plus brève des énoncés, laissant la charge des conjectures aux utilisateurs de ces nouveaux outils. Leur intégration reste cependant marginale, dans les activités en classe et au-delà … Très peu d’énoncés en tiennent compte dans les rallyes ou les olympiades. Les résistances face à ces outils restent importantes parmi les enseignants. Trop d’élèves les utilisent pour…échapper aux mathématiques.
Nous avons longuement évoqué les Espaces Numériques de Travail (ENT), qui offrent aux enseignants et aux élèves une structure riche et complexe pour faire évoluer leurs pratiques. On y trouve l’ensemble des outils logiciels qui viennent d’être évoqués, des bases de données (de connaissances mathématiques, d’énoncés de problèmes avec différentes solutions commentées, de conférences de mathématiciens etc.) et un espace d’échanges et de communication (par écrit, « chat » ou vidéo). Les ENT font voler en éclat les structures traditionnelles et les frontières. Elles sont aussi performantes en apprentissage initial (en classe) qu’en formation continue, dans le cadre des « compétitions mathématiques », rallyes ou olympiades, ou pour intéresser le grand public aux mathématiques (sites ludiques, expositions etc.). Seuls changent les contenus des bases de données, les outils mis à disposition et la densité des échanges, en fonction du public et des buts poursuivis. Les ENT exigent de nouvelles attitudes et modifient les comportements des usagers. Le travail fondamental des enseignants consiste à créer et à faire évoluer de bonnes bases de données, où les utilisateurs puisent leurs ressources. Ils participent aux échanges, ils les relancent quand ils s’enlisent, ils y introduisent des questions, stimulent l’intérêt des participants, répondent à certaines questions (en évitant cependant de « tuer les problèmes » par des réponses précipitées). Dans ce contexte, l’apprentissage ne consiste plus à écouter passivement des exposés. L’usager cherche les informations dont il a besoin dans les bases de données et fait effort pour les assimiler par un travail personnel et par des échanges avec les autres élèves (en « direct » ou sur l’espace de communication). La résolution de problèmes devient, elle aussi, « collaborative ».
Nous avons bien sûr évoqué l’apprentissage des mathématiques en environnement Internet , l’usage de sites remarquables pour la découverte de nouvelles notions ou pour résoudre des problèmes, les dispositions intellectuelles indispensables pour en tirer parti. Nous avons aussi constaté dans nos différents pays les détournements d’usages des technologies, les « copier/coller » sans travail sur les informations en ligne et diverses autres manipulations illusoires. Il faut apprendre à résister à ces pratiques dévastatrices qui servent d’alibi à de nombreux enseignants pour refuser tout usage des TIC.
Les nouveaux dispositifs techniques réintroduisent les enseignants eux-mêmes dans un processus d’apprentissage qu’ils avaient oublié, leurs études supérieures achevées. Ils quittent ainsi la position confortable de « ceux qui savent » pour celle, inconfortable, de « ceux qui apprennent chaque jour des choses nouvelles » (c’est la situation de leurs élèves !). Ils deviennent ainsi plus aptes à comprendre leurs difficultés et ils gagnent en crédibilité lorsqu’ils parlent du « plaisir d’apprendre »… Outils logiciels, ENT et travail en environnement multimédia sont les trois thèmes du chapitre que nous allons écrire en commun et à distance.
Car les contacts (chaleureux) qui ont été établis en Norvège rendent possible ensuite, la rédaction en commun du chapitre dont nous avons la charge. A la lumière de nos expériences particulières à propos des TIC, nous allons dire, chacun pour sa part, comment ces outils techniques peuvent ré-enchanter les mathématiques et les rendre attractives. En dehors de la classe, mais aussi en classe, car nous avons convenu que ces distinctions n’ont guère de sens avec les TIC. Notre collègue canadien fera la synthèse de nos écrits respectifs. Puis grâce au courrier électronique, plusieurs aller et retours permettront d’améliorer et d’enrichir cette synthèse. Elle sera alors proposée au responsable du groupe « beyond the classroom » qui assemblera et liera les trois chapitres attendus de la part de ce groupe.
Quand les deux autres groupes auront fait de même, les responsables du projet rendront l’ensemble homogène et prêt à publier. Dix-huit mois sont prévus pour conduire le projet à bonne fin… Les TIC rendent possible l’écriture « collaborative » du livre à venir. Un livre où les cinquante auteurs livreront leur expérience, modifiée, approfondie, réévaluée à la lumière des débats de Trondheim. C’est bien le moins que les TIC, sans lesquelles ce processus complexe serait impossible, aient une place visible dans le corps même de l’ouvrage. Au travail des sous-groupes et des groupes, il faut ajouter les nombreux contacts informels lors des pauses ou en soirée. Ce fut l’occasion d’échanges fructueux et d’esquisses de projets. C’est ce qui fait (aussi), le charme et l’intérêt d’une telle rencontre, qui ne restera pas sans suites …
Prospective.
Tandis que s’élabore le document final d’ICMI 16, voici qu’ICMI 17 se profile déjà à l’horizon. L’étude se tiendra à Hanoi en décembre 2006. Son thème est alléchant : « Mathematical Education and Digital Technologies: Rethinking the terrain ». C’est la seconde étude de cette nature. La première, réalisée en 1985, s'intitulait « L'influence des ordinateurs et de l'informatique sur les Mathématiques et leur Enseignement ». On le voit, le thème intéresse et interroge de façon insistante enseignants et chercheurs dans le monde entier. Jean-Baptiste Lagrange sera un des deux co-présidents d’ICMI 17. Cela signifie-t-il que la présence française sera plus importante et plus dense à Hanoi qu’à Trondheim ? On peut l’espérer , tant les travaux dans ce domaine sont considérables, en qualité et en quantité, dans notre pays. Il en est de même pour ICMI 18 (6-13 juillet 2008, Monterrey, Mexique) dont le thème a été abondamment traité en France ces dernières années : « Statistics Education in School Mathematics: Challenges for Teaching and Teacher Education ». Le document préparatoire vient de paraître. Il devrait susciter de nombreuses propositions françaises…
On peut surtout espérer que les documents issus de ces différentes études seront lus, commentés et exploités dans nos instances et traduits…dans nos classes ! Dans ces rencontres internationales, on prend conscience de l’extrême importance des sites Internet pour diffuser les idées et les expériences dans le monde . On prend aussi conscience (même si on le regrette) que l’anglais est, dans ce domaine, un passage obligé. Aurons-nous l’intelligence, la vision planétaire et la modestie de nos collègues norvégiens qui proposent systématiquement une version anglaise de leurs sites ?