Burton, 2004
Mathematicians as Enquirers, Learning about Learning Mathematics, présenté par Carl Winslow (Copenhague)
Référence : Burton, L.: 2004, Mathematicians as Enquirers, Learning about Learning Mathematics: Springer, 276 p., ISBN : 1-4020-7859-5 L'auteur de cette note de lecture a publié une note plus développée, dont la référence est : Communiquer avec l'auteur de la note de lecture :
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Pour la recherche en didactique des mathématiques – dans le monde francophone comme ailleurs – une hypothèse fondamentale est que la construction de connaissances mathématiques, au-delà de l’apprentissage de procédures à automatiser, passe par le travail sur des questions mathématiques qui puissent représenter pour l’élève de vrais problèmes. Ce travail peut, comme Brousseau (1998) le dit, ressembler « par moments » au travail du mathématicien : les découvertes de celui-ci passeraient aussi par une construction de connaissances tout à fait expérimentales et personnelles liées à un contexte qui peut être très partiel par rapport au savoir visé. On peut donc dire que, implicitement ou (comme chez Brousseau) explicitement, les délices intellectuels du mathématicien chercheur représentent, « par moments », un modèle de l’expérience mathématique que nous cherchons à offrir aux élèves.
Mais au fait, que savons nous du processus de découverte des mathématiciens ? Les explications fournies par certains livres de mathématiciens célèbres, par exemple ceux de Hadamard («Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique ») ou de Halmos («I want to be a mathematician »), ne s’accordent pas trop et ils ne prétendent d’ailleurs d’offrir plus que des témoignages tout à fait personnels. Les écrits autobiographiques de mathématiciens ne sont d’ailleurs pas les moins colorés d’expérience personnelle.
Voici donc un livre qui cherche à nous offrir un image un peu plus « scientifique » de ce que les mathématiciens ont à dire sur l’apprentissage conçu comme découverte (ou inversement – pour l’auteure aussi, les deux sont a priori très proches). Leone Burton présente dans son livre le résultat d’une enquête de taille impressionnante – 70 entretiens avec autant de mathématiciens britanniques et irlandais, chacun d’une durée d’environ une heure et demie. Les entretiens sont organisés autour de questions plus et moins ouvertes qui visent à cerner l’expérience des répondants par rapport à certains aspects de l’activité mathématique :
1. Les relations externes de cette activité avec d’autres formes d’interaction humaine et culturelle ;
2.Les relations internes, sa connectivité (les mathématiques constitués par une continuité de problèmes, méthodes etc., ou contrairement un agrégat de savoirs isolés) ;
3. L’esthétique associée à cette activité ;
4. Le rôle de l’intuition et les connaissances toutes personnelles, surtout dans les phases “créatives” du travail du mathématicien ;
5. La multitude d’approches, par ex. l’existence de styles différents de pensée mathématique (« thinking styles »).
Ces catégories sont bien sûr précisées dans le livre et servent comme cadre théorique pour organiser les entretiens et leur présentation. Bien évidement, elles constituent avant tout une hypothèse dans le sens que l’auteure s’attend à ce que ces catégories d’expériences de l’activité mathématiques correspondent vraiment à ce qu’en disent ses répondants.
Malgré des surprises mineures, l’auteure trouve en gros que ses hypothèses sont vérifiées :
Knowing is understood [par les mathematicians interviewés, CW] as socio-culturally based, as being aesthetic and intuitive, heterogeneous and holistically inter-connected. Knowing and feelings play on, and support each other. (p. 198)
Pour l’auteure – comme pour nous – l’intérêt de ces conclusions est que cette vue de la connaissance mathématique et de sa construction est très loin des discours de manuels et d’autres textes mathématiques – et aussi très loin de l’expérience qu’ont beaucoup d’élèves des mathématiques scolaires :
the gap between mathematicians’ views of mathematical knowing and that encountered by learners is monstrous (p. 198).
Le point est donc que ce que disent les mathématiciens sur leur propre « apprentissage » en tant que chercheurs est très différent de ce que les enseignants (y compris à l’université) offrent normalement comme expérience à leurs élèves ou leurs étudiants :
If the mathematicians’ learning through their research is well described by my model, mathematics comes to be known in ways more closely related [que l’activité scolaire habituelle, CW] to an heterogeneous, inclusive, accessible and holistic epistemology. (p. 14)
Comme l’auteure ne manque pas de le noter, cette vue de l’apprentissage est bien proche de celle développée (et en diverses manières « confirmées ») par la recherche portant sur l’enseignement mathématique. Et la différence entre cette vue et l’expérience mathématique de la plupart d’élèves sert, pour l’auteur, à expliquer une bonne partie des échecs et des difficultés associés aux mathématiques par beaucoup trop d’élèves.
Il va sans dire que le livre contient beaucoup plus d’éléments – y compris des centaines de citations choisies des entretiens – qu’on ne peut faire passer dans un bref résumé comme celui-ci. Mais je pense qu’il y a assez d’intérêt et d’originalité du projet déjà décrit pour recommander la lecture du livre. Ceci dit, il est clair que ce livre ne représente qu’un premier pas vers la description du travail d’un mathématicien qui soit moins imprégnée de stéréotypies et de mythes, et vers l’exploitation raisonnée, par la didactique, de cette description. Une note de lecture plus élaborée (et critique) paraîtra en Journal of Mathematics Teacher Education sous peu., elle sera signalée dans ce site.
Références
Brousseau G. (1998), Théorie des situations didactiques, Grenoble : La Pensée Sauvage
Hadamard J. (1975), Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique, nouvelle édition, 1993, Paris : Jacques Gabay
Halmos P. R. (1985), I want to be a mathematician, Springer-Verlag Telos (november 1987)