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Pour une réflexion sereine sur les résultats en mathématiques de l’évaluation en début de CE2, à propos de l’apprentissage des nombres et du calcul

Dernière modification 08/10/2014 08:49

Salin Marie-Hélène, Maître de Conférences, Université de Bordeaux. Peltier-Barbier Marie-Lise, Maître de Conférences, L.D.A.R. Université D. Diderot Paris 7. Briand Joël, Maître de Conférences, Université de Bordeaux. Charnay Roland, Agrégé de mathématiques, ancien co-responsable du groupe ERMEL, responsable scientifique du site TFM (Télé Formation Mathématique)

Débat sur les premiers apprentissages scolaires du nombre sur le site de la CFEM

Aujourd’hui, les résultats d’évaluations nationales ou internationales donnent lieu à un flot de réactions qui se limitent souvent à des analyses partielles, parfois partiales, sans nuances, des constats effectués. Il en va ainsi du sort réservé à la dernière publication de la DEPP à propos d’une enquête sur « l’évolution des acquis des élèves en début de CE2 entre 1999 et 2013 ». En chÅ“ur, la presse s’est fait l’écho d’une baisse de niveau là où la note évoque seulement « des performances globales en baisse » et pour les mathématiques « des progrès significatifs pour la soustraction mais davantage de difficultés face à des problèmes numériques ».

 

Baisse ou stagnation des performances en mathématiques ?

Si les résultats annoncés par la dernière note d’information de la DEPP peuvent paraître violents pour les professeurs, les analyses et interprétations qui en sont faites par divers commentateurs peuvent l’être tout autant. Ces analyses, qui trop souvent cherchent à désigner « un coupable »  (programmes, chercheurs en didactique des mathématiques, documents produits par le Ministère, etc.), déstabilisent vraisemblablement davantage les enseignants (« qui faut-il croire ? les programmes ? tel chercheur, tel autre ? tel manuel, tel autre ? ») que la simple lecture du texte de la DEPP lui-même. Au lieu d’encourager les professeurs d’école à s’intéresser à l’enseignement des mathématiques, à améliorer, si nécessaire, leurs connaissances en mathématiques et en didactique, à modifier éventuellement leurs pratiques d’enseignement des mathématiques, ces analyses, critiquant sans nuances des manières d’enseigner, les conduisent souvent à se sentir agressés et à se méfier de toute proposition d’accompagnement ou d’autoformation.

La note de la DEPP indique, page 2, que les résultats en mathématiques sont globalement « en léger recul : le taux de réussite moyen passe de 64 % à 62 % », donc une baisse de 2 %. Si on se reporte à une précision donnée en petits caractères en page 4, on lit que les modalités de correction des items, réalisés dans des conditions différentes en 1999 et en 2013, conduiraient « à surestimer les scores de 1999 de l’ordre de 2 points de pourcentage de réussite », ce qui signifie que là où certains voient un léger recul et d’autres une baisse, il y aurait essentiellement une stagnation. Bien entendu, personne ne peut se satisfaire de résultats médiocres qui seraient en stagnation et tout doit être fait pour viser une amélioration, notamment pour les élèves qui obtiennent les résultats les plus faibles.

L’argumentation selon laquelle la baisse des résultats en mathématiques serait due à un changement dans l’approche des nombres au cours des 30 dernières années mériterait d’être examinée et discutée, de manière approfondie. Plusieurs thèses consacrées à l'étude de l'enseignement de la numération devraient pouvoir y contribuer (1) . Une première remarque peut être faite : le tableau de l’évolution des scores (page 3 de la note) fait apparaître une hausse significative pour le calcul de soustractions (mental et posé) et une baisse également significative dans quatre domaines (comparer et ranger les nombres, résoudre des problèmes numériques, organiser et gérer des données dans un tableau, reproduire des figures géométriques). Pouvait-on s’attendre à un autre résultat dans la mesure où les programmes 2008 furent largement interprétés comme un encouragement à l’acquisition précoce des mécanismes opératoires, au détriment sans doute d'autres aspects de l'enseignement des mathématiques au cycle 2 ? Nous y reviendrons plus tard.

Un accroissement général du nombre d’élèves en difficulté.

Si on observe les résultats des évaluations (nationales et internationales) depuis une trentaine d’années, on observe que la baisse des performances est générale et qu’elle concerne surtout les élèves en grande difficulté dont le nombre est en augmentation sensible. Ce phénomène ne concerne pas uniquement les mathématiques et incite à penser que l’école parvient mal à aider des élèves dont les conditions de vie et l’environnement social et culturel se sont dégradés. De nombreuses recherches  (2) portent sur l’enseignement des mathématiques et des autres disciplines dans les zones dites sensibles dans lesquelles se concentre souvent la population d’élèves en difficulté scolaire. Ces recherches permettent de mieux comprendre la nature de ces difficultés et de mettre en évidence l’efficacité de choix pédagogiques articulant de manière forte réflexion et acquisition d'automatismes.

On peut également se demander quel est l’impact des difficultés en lecture de certains élèves, dans les différentes disciplines, et notamment en mathématiques, sur leur compréhension des consignes ou sur celle des problèmes présentés sous forme d’énoncés écrits. Cette interrogation rejoint celle que formule Michel Fayol qui, interrogé par le Café Pédagogique, répond : « Personnellement j'ai une hypothèse et j'ai demandé à la DEPP de la vérifier. Je me demande si les mauvais résultats en résolution de problème ne sont pas liés aux mauvais résultats en lecture ». En fait, c’est tout un faisceau de causes qui conduit certains élèves à échouer dans la tâche de résolution de problème (3). Travailler la lecture est naturellement indispensable. Ce ne doit toutefois pas être un préalable à l’activité de résolution de problèmes à énoncés textuels. Ces deux composantes de la tâche sont intimement liées.

Peut-on rendre l’enseignement des premiers nombres dès l’école maternelle responsable des difficultés des élèves ?

Bien sûr que non, mais il est vrai qu’un enseignement des nombres réduit à l’apprentissage et à la mémorisation de la comptine numérique serait source de problèmes. Comme pour tous les concepts familiers, la construction des premiers nombres est en fait complexe (4) . A l’école maternelle il s’agit tout d’abord de mémoriser une information : le plus souvent, une quantité. Pour de petites collections, la perception globale suffit. Au-delà, il faut disposer d’autres outils : l’utilisation des doigts, une comptine si elle est opérationnelle, un écrit pour mémoriser, tout en maîtrisant l’énumération (5)  pour faire un inventaire exhaustif de la collection. Connaître la comptine n'est pas un gage de compréhension du nombre. Ce constat n’est pas nouveau. Il suffit de relire Claire Meljac (6)  dans son ouvrage « Décrire, agir compter». L’auteure s’interrogeait déjà en 1979 sur ce que signifiait ce comptage-numérotage. Le comptage est bien sûr une procédure de dénombrement possible. Nous l’utilisons journellement. Mais son usage par imitation, sous forme de comptine, ne garantit en rien son opérationnalité.

Dans de nombreuses classes d’école maternelle les enseignants proposent des situations dans lesquelles les élèves, petit à petit, vont être confrontés à différentes fonctions du nombre et être conduits à élaborer des moyens oraux et écrits, certes primitifs, pour garder en mémoire des informations numériques. En d’autres termes, un concept naît (le nombre, ou plutôt les premiers nombres) ; on sait qu’il est d’abord fragile (non conservation des quantités à cet âge), mais il se consolide grâce à la variation des contextes et par un travail réflexif sur les écrits proposés. Plus tard, l’écriture définitive des premiers nombres constituera un code commun qui sera adopté pour des raisons sociales. Le travail sur ce code (numération) ne commence qu’au CP. C’est un enjeu majeur du cycle 2.

Ce travail s’enrichit de connaissances arithmétiques traitées oralement en maternelle comme « deux ici et un là, ça fait trois » ou « deux ici et deux là, ça fait quatre ». Quant aux décompositions-recompositions de nombres à l’aide de nombres plus petits, en particulier à l’aide de 5 et de 10, elles sont enseignées dans les premiers mois du CP. La construction du nombre se poursuit tout au long de la scolarité obligatoire. L’étude des opérations arithmétiques prend appui sur une bonne compréhension de la numération. Les élèves en difficulté élective sur les opérations sont pratiquement toujours des élèves qui ne se sont pas appropriés le principe de la numération décimale de position. Ce qui nous conduit à réexaminer les orientations ministérielles.

Les orientations ministérielles

Le ministère communique ses orientations par plusieurs canaux : programmes, évaluations nationales, regroupements des inspecteurs, interventions dans les médias…  Concernant les mathématiques, ces orientations ont été marquées par une inflexion notable des priorités avec la mise en application des programmes 2008 : renforcement des mécanismes, alourdissement des contenus à enseigner (parfois proposés aux élèves de façon prématurée), diminution de la place accordée à la réflexion et à l’initiative des élèves. Ces programmes de 2008 n’incitent pas les enseignants à envisager les mathématiques comme une discipline dans laquelle il s’agit de réfléchir. On peut voir là un lien avec les résultats obtenus dans l’étude de la DEPP : les exercices qui demandent de la réflexion (résolution de problèmes, reproduction de figures géométriques, lecture des données d’un tableau) sont moins bien réussis qu’auparavant. Mais rendre les programmes 2008 seuls responsables de cette baisse de performances serait par trop réducteur.

Arrêtons-nous sur la question de la résolution de problèmes arithmétiques (7) . Les résultats analysés par la DEPP, entre 1999 et 2013, proposent une comparaison de résultats d’élèves qui n’ont pas « vécu » les mêmes programmes. Il est dommage que cela ne soit pas pointé dans les limites de la note de la DEPP. Le programme de 2002 avait fait, en effet, de la résolution de problèmes un enjeu fondamental et encourageait les maîtres à des pratiques innovantes dans ce domaine, en incitant les élèves à élaborer des résolutions originales lorsqu’une connaissance est en cours d’acquisition ou lorsque, après avoir été apprise, elle n’est pas immédiatement disponible. En 2008, on est revenu à une conception traditionnelle du problème comme application d’une connaissance (il faut trouver la bonne opération). Il semblerait nécessaire de réaffirmer dans les futurs programmes que la résolution de problèmes arithmétiques a plusieurs finalités : développer une posture de recherche, mobiliser des connaissances diverses pour résoudre des tâches complexes, mais aussi et c’est fondamental, participer à la construction du sens de la numération et des différentes opérations arithmétiques.

La baisse importante de performance pour le problème cité par la DEPP (de 32 % à 18 %) peut-être analysé dans ce cadre. Rappelons son énoncé : « La directrice de l’école a 87 lettres à envoyer. Elle doit mettre un timbre sur chaque lettre. Les timbres sont vendus par carnets de dix timbres. Combien de carnets doit-elle acheter ? ». Si les carnets de timbres étaient de 8 et non de 10, ce problème serait considéré comme un problème de division, opération inaccessible à la majorité des élèves de début de CE2 (jusqu'en 2008 la division n’était pas enseignée au CE1 ; dans le dernier programme une "première approche" en est faite à ce niveau). Par contre, puisque les carnets sont de 10 timbres, une résolution efficace se situe dans le cadre de la numération décimale et consiste à lire 87 comme 8 dizaines et 7 unités puis à interpréter le mot dizaine comme « groupement de 10 » et, donc ici, comme « carnet de dix timbres ». Ce sont ces connaissances sur la numération que les élèves en début de CE2 sont censés pouvoir mobiliser. 

Or, si on se reporte aux progressions pour le CP et le CE1 annexées au programme de 2008 et qui servent de référence aux enseignants, on constate que cet aspect de la numération décimale, pourtant le plus important, n’est même pas mentionné. Dans ce texte, connaître les nombres c’est « savoir les écrire et les nommer », comprendre la valeur des chiffres en fonction de leur rang n’y figure pas ! Si les élèves ne savent pas interpréter les chiffres de 87, il leur reste la possibilité de chercher, à l’aide de la multiplication ou de l’addition répétée, combien il y a de fois 10 dans 87. Mais pour cela, il faut avoir été habitué à prendre des initiatives, à chercher par soi-même, à essayer une solution, à la rejeter pour une autre ou l’adapter.

Pour conclure

Faut-il améliorer l’enseignement des nombres et du calcul ? Sans aucun doute et, pour cela, tous les travaux de recherche, tout comme la connaissance des pratiques des enseignants, doivent être sollicités. Faut-il simplement revenir au programme de 1945 à partir duquel un enseignement souvent répétitif des nombres, l’un après l’autre, était proposé ? Sans doute pas, car cela reviendrait précisément à faire fi des avancées dans différents domaines de recherche (didactique, psychologie, sciences de l'éducation, neuropsychologie...), et à considérer que les changements sociétaux très importants depuis cette époque n'ont aucune incidence sur l'enseignement des mathématiques. 

Les résultats obtenus par les élèves en mathématiques (et surtout les écarts de résultats entre élèves), à l’issue de l’école primaire et de la scolarité obligatoire, ne sont pas satisfaisants. Les causes de ce phénomène sont multiples et les tentations sont fortes d’en faire des effets d’annonce nécessairement réducteurs. Une réflexion sereine à la fois sur l’analyse des causes et sur les améliorations souhaitables conduirait à examiner deux aspects : la rédaction des programmes, la formation initiale et continue des professeurs et celle des formateurs.

Du côté des programmes, il serait raisonnable de revenir à une perspective à la fois réaliste dans les contenus et ambitieuse dans les démarches, en mettant en évidence les savoirs fondamentaux, et la nécessité de les structurer pour progresser dans les apprentissages. Les programmes futurs devraient aider les enseignants à repérer ce qui est essentiel, incontournable. Ils devraient les éclairer sur le fait que les connaissances se construisent en réseau, sur un temps long et de façon spiralaire.

Du côté de la formation, il est nécessaire de mieux mettre à la disposition des enseignants du premier degré les outils de pensée et d’action apportés par les nombreuses recherches en didactique sur l’enseignement des mathématiques à l’école primaire. Actuellement, les épreuves du concours de recrutement des professeurs des écoles peuvent laisser croire que des connaissances mathématiques du niveau du « collège » sont adaptées pour enseigner à l’école. Or une analyse des besoins indispensables pour penser cet enseignement montre que ce sont des connaissances spécifiques tant du point de vue mathématique que didactique qui sont nécessaires à acquérir pour un exercice professionnel du métier et par conséquent pour la réussite des élèves.

 

Texte cosigné par :

Catherine Houdement, Maître de Conférences, habilitée à diriger les recherches, Laboratoire de Didactique André Revuz (LDAR), Universités Paris Diderot et Rouen, membre du Conseil Scientifique des IREM.

Claire Margolinas, Maître de Conférences, habilitée à diriger les recherches, Laboratoire ACTé, Clermont-Université.

Cécile Ouvrier-Buffet, Maître de conférences, habilitée à diriger les recherches, ESPE de Créteil, membre du laboratoire LDAR, membre de la commission enseignement de la SMF.

 

Notes :

 1 Tempier Frédérick (2013) La numération décimale de position à l’école primaire. Une ingénierie didactique pour le développement d’une ressource. Thèse Université Paris 7. 

    Chambris Christine (2008) : Relations entre les grandeurs et les nombres dans les mathématiques de l'école primaire. Évolution de l'enseignement au cours du 20ème siècle. Connaissances des élèves actuels. Thèse Université  Paris 7.

2  Bonnéry Stéphane (2007) Comprendre l'échec scolaire. Elèves en difficultés et dispositifs pédagogiques La dispute ed. ; http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/2008/89_elem_bonnery.aspx  ; 2008.

  Charles-Pézard Monique, Butlen Denis et Masselot Pascale. (2012) Professeurs des écoles débutants en ZEP. Quelles pratiques ? Quelle formation ?  La Pensée Sauvage, ed. 

  Peltier-Barbier Marie-Lise ; Butlen Denis ; Masselot Pascale ; Ngono Bernadette ; Pézard Monique ; Robert Aline ; Vergnes Danielle (2004) Dur d’enseigner en ZEP. La Pensée Sauvage ed.

3  Rebière Maryse (2011) S’intéresser au langage dans l’enseignement des mathématiques, pourquoi faire ? in Bronner & alii. Questions vives en didactique des mathématiques : problèmes de la profession d’enseignant, rôle du langage XVIe école d’été de didactique des mathématiques La Pensée Sauvage ed 219-232

4  Margolinas Claire, Floriane Wozniak (2012) Le Nombre a l’École Maternelle : Approche didactique De Boeck ed.

5  Briand Joël (1993) L'énumération dans le mesurage des collections : un dysfonctionnement dans la transposition didactique » Thèse université Bordeaux .

6  Meljac Claire (1979) Décrire, agir et compter PUF ed. 

7  Houdement Catherine (2011) Connaissances cachées en résolution de problèmes arithmétiques ordinaires à l’école. Annales de Didactique et de Sciences Cognitives, n°16.

   Houdement Catherine (2009) Une place pour les problèmes pour chercher.  Annales de Didactique et de Sciences Cognitives,n°14, 31-60.

 

 

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