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3. Echanges sur les usages dans une communauté-MEP

Dernière modification 22/05/2008 09:11

 3.1 Présentation de la communauté « liste ECUM »

La liste de diffusion mise en place par le groupe ECUM en novembre 2006 n'est pas uniquement un moyen physique de communication entre professeurs de mathématiques utilisateurs de MEP. C'est aussi le support d'une communauté délocalisée de 49 abonnés (au 30/06/07), contactés par les membres du groupe, dotée d'un espace partagé. Nous désignerons cette communauté par l'expression “ liste ECUM ” . Nous réservons l'expression “ liste de diffusion ” aux moyens de communication associés : les messages, et tout l'espace partagé, qui contient non seulement les archives (la mémoire des messages échangés) mais aussi un dossier commun intitulé “documents” dans lequel les abonnés peuvent déposer des documents (fiches élèves, comptes rendus détaillés d'utilisation,...). 

Dans un contexte d'intégration des TICE dans l'enseignement des mathématiques, autour d'un logiciel libre dont le développement est issu d'un travail collaboratif, l'objectif de la liste de diffusion tel que présenté aux abonnés est de favoriser les échanges entre des utilisateurs de MEP dans un esprit de partage : comment mieux connaître cette ressource ? Comment intégrer son utilisation au mieux dans des séquences de cours ? Comment mettre en commun différentes expérimentations afin de permettre à chacun de progresser dans ses usages et de permettre aussi, éventuellement, de faire évoluer le logiciel ? Après tout, il serait intéressant de voir si l'esprit d'échanges qui a présidé lors de l'élaboration du logiciel MEP persiste lors de ses usages en classe. 

Initialement, les abonnés de cette liste étaient les six membres du groupe de recherche ECUM (qui constitue déjà une communauté de pratique), les collègues volontaires des collèges des membres du groupe ECUM et les collègues volontaires enseignants de collèges dont plusieurs enseignants étaient inscrits à la version MEP réseau du serveur académique. Ensuite des colistiers ont été inscrits tout au long du temps de fonctionnement de la liste. Ce sont les membres du groupe ECUM qui proposaient l'inscription à des collègues, à la suite de stages de formation continue, ou dans les rencontres organisées par le groupe. En particulier, aucune inscription ne s'est faite par simple contact distant, mais toujours à la suite d'un échange présentiel. 

Un point important concerne notre rôle dans le fonctionnement de cette liste. Nous nous sommes placés dans une logique de recherche-action : nous sommes “acteurs” et nous intervenons donc sur la liste mais nous sommes aussi “observateurs” et nous analysons le fonctionnement de cette liste. De plus nos messages ont de manière évidente un rôle pour impulser la liste, lancer ou relancer des discussions. Comme participants, nous nous efforçons cependant de le faire de manière aussi spontanée que les autres collègues. La seule proposition qui a été faite au titre de la recherche que nous menons est celle d'identifier les messages qui concernent une utilisation de MEP (l'intitulé J'y suis allé(e) a été proposé pour annoncer ces messages). En revanche aucune précision n'a été donnée quant à la forme et au contenu de ces comptes rendus d'utilisation.  

3.2 Quelle analyse des messages ? 

Nous nous proposons de présenter ici quelques données concernant les messages échangés au cours des 7 premiers mois de fonctionnement de la liste ECUM, de fin novembre 2006 à fin juin 2007 ; il y a eu pour cette période 68 messages échangés. Le premier point de vue à partir duquel un message peut être analysé est celui du (ou des) thème(s) qu'il aborde. Ainsi dans le message 1 ci-dessous, on identifie rapidement un thème mathématique (fonctions affines et linéaires en 3 e – thème seulement évoqué ici) et plusieurs thèmes pédagogiques (l'organisation en groupes de niveau, le travail en binômes, la mise en place d'un contrat de travail). Nous ne développerons pas ici ce premier type d'analyse car il éclaire assez peu la question de l'émergence d'une communauté de pratique qui nous intéresse (voir cependant en annexe 2 la synthèse des thèmes abordés pour la période retenue). 

Extrait d'un message réponse du 07/12/06 – Séance en 3 e 

Cette année je n'ai pas encore été sur MEP avec les 3 e , j'y vais déjà avec les 4 e et les 6 e . Comme il faut être sévère au début, je préfère étaler un peu (surtout que j'ai une de mes 4 e qui est à cadrer). Je vais y aller la semaine prochaine sur les fonctions affines et linéraires.

Essaie peut-être de les faire travailler en groupe de niveau et tu aides les élèves les plus faibles. Il faut expliquer aux élèves pourquoi c'est agréable de travailler par deux. Cela nécessite une discussion préalable avec la classe, une adhésion de la classe à cette méthode de travail. Il faut un contrat de travail et si ils ne le respectent pas c'est l'isolement avec soit un travail de recherche ou sinon un travail de copie de leçon. Il faut compter au moins 20 min de discussion. Il faut qu'ils progressent, au départ avec ton aide puis avec un élève.

Dans la 4 e difficile que j'ai ils ont compris que c'était plaisant de travailler à deux (j'y vais une fois tous les quinze jours). As-tu vu le contrat que je donnais, je l'ai mis sur la liste dans un de mes mails ? sinon je te le joins. Moi je trouve très difficle de faire deux choses en même temps, tu as dû déjà voir mon avis sur la question il y a 15 jours ?


Message 1 : Quelles caractéristiques d'un message retenir pour l'analyse ?


Nous nous attarderons, en revanche, sur les deux autres points de vue retenus au cours de notre travail : celui des usages et celui des échanges. L'analyse des usages consiste à étudier comment les colistiers “parlent” de l'emploi qu'ils font de MEP. Dans le message 1, l'auteur du message s'efforce d'énoncer certains des principes généraux auxquels il se réfère pour son usage de MEP. Nous montrons dans la suite qu'il existe différentes façons de parler de ses manières de faire et que la mise en place d'une communauté de pratique est sans doute liée, en partie, à ces questions d'énonciation.

L'analyse des échanges implique de tenir compte d'une dynamique et donc d'étudier les interactions entre les messages. Une approche classique à ce niveau est de s'intéresser aux fils de discussion. Nous nous centrerons plus, dans le cas présent, sur certains messages particuliers que nous avons appelés les appels à coopération et sur les réponses qu'ils suscitent. Le message 1 correspond à un tel message réponse ; il fait suite au compte rendu, par un colistier, d'une séance MEP peu concluante en 3 e et qui se termine par « Qui pourrait m'aider ? (avant que je n'abandonne avec les 3 e ...) » 

3.3 Messages , usages généraux, et descriptions d'utilisations.

 Les messages sur les “manières de faire” : une première distinction

La plupart des messages échangés sur la liste ECUM sont relatifs à des “manières de faire” pour l'emploi de MEP en classe. Dans ce paragraphe, nous nous intéressons uniquement à ce type de messages. Nous allons d'emblée en distinguer deux sortes :

•  les messages de description d'une utilisation précise de MEP : ces messages mentionnent explicitement une utilisation donnée de MEP en classe qui s'est effectivement déroulée. Les messages intitulés à notre demande “J”y suis allé(e)” appartiennent bien entendu à cette catégorie ;

• les messages d' évocation d'un usage général de MEP. Ces messages donnent des principes généraux, qui peuvent correspondre à des choix pédagogiques, ou à des contraintes matérielles. Mais ils ne mentionnent pas un exemple précis d'utilisation effective.

Dans la distinction que nous introduisons ici, nous avons recours au terme “utilisation” pour mentionner un emploi ponctuel de MEP, et au terme “usage” pour désigner une pratique plus générale, régulière. Ceci correspond à la distinction évoquée par Gueudet et Trouche (à paraître), mais nous n'approfondirons pas ce point ici. Evidemment, un même message peut mentionner une utilisation précise, et faire aussi référence à un usage plus général. Dans ce cas, nous classons ce message dans la catégorie des messages de description d'une utilisation précise.

Illustrons cette distinction par des exemples. Le message 1 cité ci-dessus évoque clairement un usage général de MEP : « Il faut expliquer aux élèves pourquoi c'est agréable de travailler par deux [...]   » , par exemple, est une remarque de cette nature. Même si elle découle d'expériences effectives, elle pose un principe général, qui n'est pas relié à une utilisation en particulier. Le message 2 ci-dessous en revanche fait lui référence à une utilisation bien précise :

Extrait d'un message du 06/06/07- Une séance différenciée

J'ai testé, il y a déjà un mois, une séance différenciée en classe de sixième sur le thème des quadrilatères.
Objectif : reconnaître, les propriétés, constructions.

Constitution de groupes de niveaux :

 G1 : Elèves en difficulté.

 G2 : Elèves moyens.

 G3 : Elèves autonomes, demandeurs et forts.

 Les effectifs cumulés des groupes 1 et 3 représentent la moitié de la classe.

Déroulement des deux séances :

Séance 1 : Le groupe G1 travaille sur MEP. Je leur ai affecté un menu n°1. De même, le groupe G3 travaille aussi sur MEP mais sur un menu n°3 différent. Pendant ce temps-là, le groupe G2 travaille sur fiches papier. Une fiche spéciale pour ce groupe.

Séance n°2 : Permutation des groupes. J'ai affecté un menu n°2 aux élèves du groupe G2 qui travaillent cette fois-ci sur MEP. Les deux autres groupes travaillent sur fiches papier : Une fiche spéciale pour G1 et une autre fiche pour G3.

[…] PS : Mes fiches sont disponibles pour ceux qui seraient intéressés.

Message 2 : description d'une utilisation précise de MEP, séance différenciée, sixième.

Ce message 2 est clairement un message de description d'une utilisation précise. Cette distinction nous amène à un premier constat d'ordre numérique. Nous nous référons aux 68 messages échangés entre novembre 2006 et juin 2007. Parmi ces messages, 52 concernent des manières de faire liées à des emplois de MEP plus ou moins récents. Il s'agit plus précisément de :

•  32 messages de description d'une utilisation précise ; 22 de ces 32 messages émanent de membres du groupe ECUM (69%) ;

•  20 messages d 'évocation d'un usage général ; 9 de ces 20 messages émanent de membres du groupe ECUM (45%).

Ainsi nous pouvons d'emblée remarquer que notre demande de rendre compte des utilisations effectives de MEP en classe n'a guère été suivie...sauf par nous-mêmes, bien entendu. Et pourtant les rencontres dans les établissements nous ont montré que des utilisations nombreuses avaient eu lieu, et même que les descriptions fournies par les membres de ECUM avaient été utilisées par certains enseignants. Nous allons nous pencher plus en détail sur le contenu et la forme des messages de description d'une utilisation précise pour analyser ce phénomène. Dans la suite de ce paragraphe nous nous intéressons donc seulement aux 32 messages de description d'une utilisation précise.

Les messages de « description d'une utilisation précise »

De nombreuses caractéristiques peuvent être retenues pour l'analyse de ces messages. Avec quel degré de précision sont décrits les contenus mathématiques, les organisations didactiques, les supports employés ; y a-t-il des descriptions de ce que les élèves ont fait, des prévisions d'adaptations ultérieures.... Nous n'allons pas tenter ici de développer tous les critères possibles ; nous avons choisi de retenir ce qui nous semble significatif en termes de différences entre les descriptions faites par les membres du groupe ECUM et celles qui émanent des autres colistiers.

Une première différence tient à la forme choisie pour les descriptions, au modèle adopté. Seuls les membres de ECUM donnent des descriptions très structurées de séquences. Certaines adoptent le canevas développé par le groupe IREM précédent (annexe 1). D'autres n'ont pas recours à ce canevas, mais font une présentation systématique qui constitue un véritable scénario d'usage comme c'est le cas dans le message donné en annexe 3.

Une deuxième différence porte sur les documents joints aux messages. Une seule collègue, non membre de ECUM, a joint un support à l'un de ses messages de description d'une utilisation précise (en tout, 8 messages de ce type ont des documents joints). De plus, ce support est une fiche élève qui n'est pas accompagnée, dans le corps du message ou en dehors, par une description donnant des renseignements sur l'organisation didactique adoptée.

Enfin un troisième point qui nous semble significatif porte sur le lien entre le contenu du message et le déroulement effectif en classe. Certains messages évoquent ce qui s'est passé en classe : le comportement des élèves, des problèmes techniques, des difficultés imprévues... Alors que d'autres se contentent de descriptions plus “abstraites” , donnant la durée, le contenu, et d'autres éléments qui pouvaient être prévus a priori.

On note ainsi 18 messages qui relatent des aspects qui ne pouvaient pas être prévus a priori. 15 de ces 18 messages émanent de membres du groupe ECUM (voir message 3 ci-dessous).

Extrait d'un message du 07/12/06 – Séance en 3 e

«  […] Bilan :

Côté ordi : peu de questions (plus de soucis avec le multiplié dont ils ne peuvent pas se servir) peu d'exercices abordés aussi, la plupart en sont restés aux révisions de quatrième

Côté feuilles : c'est la débâcle ! Aucun travail un tant soit peu autonome, et pourtant tout est indiqué sur la fiche […] »

Message 3 : message avec un descriptif de ce qui s'est effectivement passé.

Il nous semble que ces choix de contenu sont révélateurs d'une réticence des colistiers, qui préfèrent des descriptions plus allusives, à deux titres : peu de détails pour une séquence (ou parfois même pour plusieurs séquences évoquées à la fois dans une même description), pas de détails sur le « ce qui s'est passé, ce que « j'ai ressenti  ». Ces caractéristiques ne vont pas dans le sens d'un engagement dans une communauté de pratique. Nous reviendrons au §3.5 sur les conclusions que nous tirons de ces observations ; nous allons tout d'abord nous pencher sur l'aspect des échanges.

3.4 Les appels à coopération

Ce que nous appelons les appels à coopération sont les messages qui comportent une question s'adressant à l'ensemble des colistiers. Ces messages sont au nombre de 12 pour la période considérée et se répartissent de la manière suivante :

Objet de la

question

Un problème technique

Un contenu MEP

Une séance MEP

en vue

Une utilisation précise décrite

Un usage général évoqué

Nombre d'appels

1

3

2

4

2

Nombre d'appels ayant obtenu au moins une réponse

 
1

 
2

 
2

 
4

 
1

Nombre total de réponses obtenues

 
2

 
4

 
6

 
7

 
5

Tableau 2 : différents types d'appels à coopération.

 Notons que le plus fort taux de réponses (5 messages réponse, dernière colonne) correspond à un message qui évoquait un usage général. Ceci va dans le sens de remarques faites plus haut : lorsqu'on évoque un usage général, on s'expose moins ; et c'est peut-être également plus rapide, le manque de temps pour participer à une liste a souvent été évoqué lors des rencontres que nous avons réalisées. Nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement aux trois colonnes centrales de ce tableau. A propos des appels concernant un contenu MEP , on notera d'abord le fait que les auteurs de ces trois messages sont des membres du groupe ECUM. Ensuite on constate que l'appel qui n'a reçu aucune réponse est celui-ci :

Extrait d'un message du 15/06/06 – Racines carrées en 3 e

[… ] Je compte demander aux développeurs de MEP une petite amélioration d'une des aides de ce chapitre "Simplifications" appelées dans les exercices 3N2S4ex2 et 3N2S4ex3.

[ … Description précise de l'aide en question …]

De mon point de vue, il est inutile d'envisager toutes les décompositions, et ça n'a pas de sens pour notre situation. Je souhaiterai qu'on ne fasse pas apparaître toutes les décompositions de 45 mais seulement celle utilisant un carré parfait.

Je propose donc de laisser la correction avec étapes intermédiaires mais avec l'explication suivante:

« Pour répondre à ce type de consigne, le but est de voir 45 comme étant le multiple d'un carré parfait (cliquer ici pour faire apparaître la liste des carrés parfaits).

45 est-il multiple de 4?    non : 45 = 4 x 11 +1

45 est-il multiple de 9?   oui :   45 =  9 x 5      

terminer de la même manière que dans l'aide actuelle"

[…] Qu'en pensez-vous?

Etes-vous pour ce changement? Contre? Avez-vous une autre proposition?

Message 4 : appel à coopération à propos d'un contenu MEP

Ce message pose pourtant une question précise et qui concerne tous les utilisateurs potentiels des exercices cités. Notons qu'un autre, en revanche, sur la notation cos -1 (ou sin -1 ou tan -1 ) pour le calcul d'un angle en 3 e a fait l'objet de 3 réponses. A propos des appels concernant une séance MEP en vue , maintenant, le message suivant a reçu 2 réponses mais pour signaler des non utilisations de MEP sur ce thème et à ce niveau.

Extrait d'un message du 11/12/06 – Gestions de données en 4 e

« […] Je compte aborder le chapitre "pourcentage-proportionnalité-grandeurs quotients" et j'ai quelques interrogations : Dans quel ordre abordez-vous ces notions ? Est-ce que vous "découpez" en plusieurs séquences ? (pour ma part, je comptais couper en deux). Comment et à quel moment dans la (les) séquence(s) intégrez-vous MEP ? […]»

Message 5 : appel à coopération à propos d'une séance MEP en vue

 Ceci n'encourage évidemment pas à lancer de nouveaux appels mais est significatif également du fait que beaucoup de colistiers ont encore une expérience limitée en matière d'intégration de MEP à leur enseignement. Enfin, à propos des appels concernant une utilisation précise décrite dans le message (par exemple le message de l'annexe 3), deux faits méritent d'être notés : d'abord les auteurs de ces quatre messages sont des membres du groupe ECUM, ensuite les réponses sont peu nombreuses (4 pour l'un des messages et une pour chacun des autres).

Comment interpréter ces données ? On peut avancer l'idée, tout d'abord, qu'au sein d'une communauté de pratique, ces trois sortes d'appels à coopération susciteraient certainement la participation de plusieurs membres en vue d'élaborer en commun des solutions aux problèmes posés. Cela consisterait soit à préparer une demande auprès des développeurs de MEP (pour les contenus à améliorer), soit à faire des suggestions pour construire de manière collaborative un scénario d'usage (dans le cas d'une séance en vue), soit encore à réagir à une proposition de scénario (surtout lorsqu'elle est aussi explicite que celle de l'annexe 3) en posant des questions afin de pouvoir profiter au mieux de l'expérience proposée à la mutualisation. Or, ce n'est pas ce que l'on observe pour l'instant. Pour autant, certains faits nous conduisent à penser que ce n'est pas un manque d'intérêt vis-à-vis du contenu des messages qui est en cause. Lors des rencontres, les colistiers évoquent plusieurs raisons pour leurs réticences (au-delà du manque de temps, fréquemment cité).

Les membres de ECUM sont considérés comme des experts dans l'utilisation de MEP, il est donc très délicat pour un colistier de répondre à un appel à coopération émis par un membre du groupe, et d'apporter un conseil à quelqu'un qu'il suppose plus qualifié que lui. Il s'agit là d'un problème de confiance, déficit de confiance des colistiers en eux-mêmes, et en ceux qui seront amenés à lire leurs messages. Certains colistiers nous déclarent qu'ils utilisent des scénarios proposés sur la liste mais sans que cela s'accompagne d'une participation à la communauté. Cette difficulté à s'engager dans une démarche de mutualisation effective est bien illustrée par le témoignage de cette collègue rencontrée qui dit avoir été tentée à plusieurs reprises d'utiliser les scénarios et les documents proposés par des colistiers mais y se sentir gênée parce que « moralement » elle ne voulait pas le faire tant qu'elle n'avait pas proposé elle-même quelque chose ; or, dans l'immédiat, elle n'était pas prête à le faire. Elle évoquait un état d'esprit à avoir, savoir donner et savoir utiliser, un investissement en temps et un changement de pratique important pour ce mode de travail.

Nous évoquerons pour terminer un autre cas qui semble indiquer un processus qui ne faisait pas partie des objectifs initiaux de la liste. Un message signalant l'intention de débuter une séquence sur les angles et questionnant sur ce point les membres de la liste sur leur expérience a donné lieu à plusieurs réponses et, finalement, à des dépôts de documents. Deux collègues non membres de ECUM et deux autres du groupe ECUM ont pris part à l'échange ; les dépôts de documents ont été faits par les membres du groupe ECUM. Le fait intéressant est qu'une colistière (non membre de ECUM) a signalé, au cours de cet échange, qu'elle allait transmettre ces documents aux autres collègues de son établissement. Il n'est pas anodin de souligner que l'équipe de professeurs de mathématiques du collège concerné forme elle-même une communauté de pratique très soudée. De manière similaire, un message décrivant une séquence sur les racines carrées (celui de l'annexe 3) et sollicitant l'avis des colistiers a donné lieu à une réponse commentant certains des choix faits et témoignant d'une expérience sur le même sujet. Or cette réponse émane de la même colistière, non membre du groupe ECUM mais membre d'une communauté de pratique MEP hors ECUM. Ainsi la liste ECUM pourrait servir à la mise en réseau de différentes communautés de pratique-MEP : équipes d'établissements, groupes de secteur, partageant des documents élaborés collectivement.

3.5 Quels obstacles à l'émergence d'une communauté de pratique ?

Rappelons que nous avons fait le choix, pour cette première étude des messages échangés sur la liste ECUM, de prendre comme indicateur de l'émergence d'une communauté de pratique la constitution d'un répertoire partagé . Pour une communauté d'enseignants de mathématiques a priori intéressés par l'outil MEP, la mise en place d'un tel répertoire via la liste devrait se traduire par des messages évoquant la manière dont ils utilisent cet outil. En outre, l'engagement des professeurs dans une recherche collective des meilleurs usages possibles de MEP (but affiché de la liste) devrait les conduire à recourir à des descriptions de plus en plus précises de leurs manières de faire. Une telle augmentation du niveau de précision devient inévitable, en effet, dès que l'on veut intégrer à sa pratique certains des usages évoqués sur la liste ou, a fortiori, dès que l'on envisage de confronter ses idées à celles des autres en vue d'élaborer en commun des scénarios d'usage .

En adoptant un tel point de vue, les faits décrits dans les deux paragraphes précédents (§3.3 et §3.4) nous conduisent au constat que la communauté « liste ECUM » ne peut pas être considérée, tout au moins à l'issue de sa première année d'existence, comme une communauté de pratique. Ainsi, à propos des descriptions d'utilisations précises, nous avons noté que les colistiers non membres de ECUM :

  • n'élaborent pas de scénarios d'usage ;
  • n'attachent pratiquement aucun document à leurs messages ;
  • donnent des descriptions allusives des séances qu'ils ont réalisées.

Or ces éléments manquants seraient susceptibles de favoriser l'appropriation d'une telle description. Un scénario d'usage permet de mieux comprendre le déroulement d'une séquence, les documents attachés fournissent des supports pour la réalisation effective, les éléments relatifs aux imprévus de la classe permettent de savoir si une séance s'est bien passée, s'il faut prévoir certaines modifications…

A propos des échanges, nous notons que seuls deux des messages de colistiers non membres de ECUM comportent des questions, une sur un usage général, une sur une séance à venir. Ainsi, en particulier, toutes les questions sur des utilisations précises émanent de membres du groupe ECUM. Et aucune appropriation de séance décrite n'a été signalée hors ECUM, alors même que nous savons que de telles appropriations ont eu lieu, car on nous les a relatées lors de nos rencontres dans les établissements.

Une première hypothèse à envisager pour expliquer ces constats concerne la réticence à décrire sa pratique, et en particulier des déroulements précis en classe. Nous avons pu le constater au cours des rencontres que nous avons réalisées. Certains enseignants nous ont déclaré qu'ils ne voulaient pas écrire un message à propos d'une séance qu'ils avaient organisée parce que « la fois suivante, je ferai différemment de toutes façons » . Nous interprétons ceci en termes de réification . Une séance décrite par écrit devient un objet qui peut être partagé par la communauté. Mais elle devient du même coup figée, d'où le souhait de l'auteur d'un message de donner à voir quelque chose dont il est pleinement satisfait. Or il y a là un paradoxe : les messages qui ont donné à voir des difficultés, des interrogations... sont aussi ceux qui ont donné lieu à des échanges. Il faut donc accepter de figer momentanément quelque chose d'imparfait, pour que la communauté puisse s'en emparer (Wenger dit à ce sujet que trop de réification empêche la participation ). Accepter de reconnaître des imperfections peut se faire dans une communauté de pratique, grâce à un climat de confiance. C'est nettement plus difficile en dehors d'un tel contexte, et pourtant reconnu comme une nécessité par de nombreux enseignants qui pratiquent le travail en équipe (voir à ce sujet Trgalova et al., 2008).

Une seconde hypothèse que l'on peut avancer est le “nouveau” mode de travail proposé : un mode de travail délocalisé, par courriel. Certes, les groupes IREM ont permis une avancée dans la mutualisation des pratiques et des documents entre collègues, mais les échanges et mutualisations s'y font essentiellement en présentiel même si les particpants ont entre deux réunions recours au courriel. A part les rares colistiers issus de groupes de recherche ou de réflexion, les participants de la liste ECUM sont des novices dans le mode de travail par courriel et sont aussi parfois novices dans le travail d'équipe. Le mode de travail délocalisé, le fait de ne pas connaître les colistiers, d'avoir des doutes sur l'identité et la fonction des membres lecteurs peuvent freiner la participation. Justement peut-être la crainte de se dévoiler au travers de ses expériences à d'autres personnes non familières, la crainte de donner sans recevoir en retour ou sans savoir quels usages il sera fait de ce qu'on a mis à disposition, la peur d'être jugé sur des pratiques nouvelles peuvent aboutir à la sensation de se sentir dépossédé ou de se sentir non reconnu. C'est la notion d'identité, d'appartenance communautaire qui peut être ici mise en cause. Lorsqu'on travaille en équipe dans un établissement ou au sein d'un groupe de recherche, l'objectif à atteindre (l'équivalent d'une entreprise commune) est bien défini. Chacun amène ses expériences, ses convictions . Chacun est en terrain familier, chacun se sent compétent et reconnu comme tel, chacun connaît les autres, chacun sait comment travailler avec les autres et se comporter avec les autres. Chacun a son identité qu'il adapte à ce groupe de travail. Dans une communauté délocalisée d'enseignants qui ne se connaissent pas, cette identité est mise à mal. Il faut se redéfinir en se définissant de nouveaux repères, il faut un réel esprit d'ouverture, un esprit de travail collaboratif pour être membre actif d'une telle communauté.


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