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Convert, 2006

Dernière modification 20/11/2006 06:35

Les impasses de la démocratisation scolaire. Sur une prétendue crise des vocations scientifiques, présenté par Pierre Arnoux (Marseille)

Référence :

Convert, B.: 2006, Les impasses de la démocratisation scolaire. Sur une prétendue crise des vocations scientifiques : Editions Raisons d'Agir, 93 p., ISBN : 2-912-107-33-4

Mots clés études scientifiques, démocratisation

Communiquer avec l'auteur de la note de lecture : Pierre Arnoux

(Pierre Arnoux est l'auteur d'une étude, publiée sur EducMath, relative à la "crise" des études mathématiques)

 


Le mode d'esprit scientifique n'est pas naturel ; plutôt que de chercher à déconstruire les apparences, il est plus simple et plus réconfortant d'admettre les évidences qui se présentent à nous, et de penser que la terre est plate, puisque ça se voit. C'est particulièrement visible quand les scientifiques sortent de leur domaine, et, agressés par des changements qui les touchent directement, tentent d'analyser l'univers qui les entourent. On les voit alors perdre la rigueur critique qu'ils manifestent dans leur profession, et accepter des raccourcis simples et évidents : puisque les inscriptions pour les études de sciences baissent en France, en Allemagne et aux USA, c'est qu'il y a une crise mondiale des sciences; et si les étudiants ne s'inscrivent plus en sciences, c'est parce qu'ils n'aiment plus la science. Pourquoi n'aiment-ils plus la science? pour plein de raisons: Tchernobyl, la vache folle, la pollution ; parce que ça eût payé, mais que ça ne paye plus; parce que c'est trop difficile... Que faire pour qu'ils aiment la science à nouveau ? La réponse est dans la question: il suffit de la rendre aimable. Mettons la main à la pâte, et les étudiants se précipiteront en foule dans les amphis. Faisons une option de physique au lycée, et nous remplirons les licences de physique. Et si ça ne marche pas, c'est qu'on n'en a pas fait assez; demandons moins de maths, ajoutons une épreuve de calcul sur machine pour s'adapter au monde moderne, formons mieux les professeurs, et ça finira forcément par marcher. Chaque année, un nouveau rapport (Ourisson, Porchet, Dercourt, Rolland, OCDE...) s'ajoute à la pile, et conforte les arguments : qui oserait contredire un raisonnement repris par des gens aussi prestigieux ? Et qu'importe qu'ils soient physiciens ou géologues, mais jamais spécialistes (ou compétents) sur le sujet dont ils parlent, c'es-à-dire les comportements des élèves et leurs motivations?

Malheureusement, on fait cela depuis dix ans, et les remèdes ne connaissent aucun succès, au contraire. Le premier effondrement du DEUG de physique est exactement contemporain de la création de la spécialité physique en terminale qui devait l'alimenter.

Bernard Convert est sociologue ; il a commencé à travailler sur le sujet il y a 10 ans, pour comprendre la soudaine chute des inscriptions en sciences dans son université. Il publie cet automne un petit livre (moins de 100 pages) où il reprend l'essentiel de son travail sur ce thème. Il met en pièce l'argumentation développée dans le premier paragraphe, en s'appuyant sur des enquêtes auprès des lycéens, et sur une étude minutieuse des réalités sociologiques. Non, il n'y a pas de crise des vocations scientifiques en France : il y a une crise des formations universitaires générales non professionnalisées, qui prend un tour plus aigu en sciences pour des raisons bien précises. Non, il n'y a pas de crise mondiale: la situation est complètement différente entre la France, l'Allemagne et l'Italie, et c'est une coïncidence particulière à la fin des années 90 qui a pu laisser croire le contraire; d'ailleurs, les inscriptions remontent en Allemagne. Ailleurs dans le monde, c'est encore plus varié, et cela dépend à la fois des pays et des disciplines. Non, les lycéens de terminale scientifique n'ont pas une mauvaise image de la science: ils en ont une image très positive, bien plus que moi! Quand on leur demande, dans une liste de 12 professions, celle qui les intéressent, la profession qui les intéressent le plus est celle de chercheur (62,9%), suivie par médecin (57,6%), ingénieur en informatique (43,9%); l'avant-dernière est expert financier (18,9%) ; comment peut-on espérer améliorer encore une opinion aussi positive, quand les élèves pensent à plus de 90% que la science améliore le monde et contribue au développement?

Et pourtant, ils ne viennent pas en fac. de science, et Bernard Convert explique bien pourquoi. Il montre pourquoi l'afflux des années 80 était dû bien plus à l'incapacité des filières sélectives à accueillir l'accroissement énorme du nombre de bacheliers qu'à un choix positif. Il montre aussi comment la tentative de démocratiser la filière C a échoué, en reconstruisant une filière d'élite, la spécialité maths, aussi sélective, mais deux fois plus petite, et plus dissimulée (sauf de ceux qui savent). Il donne une analyse remarquable de l'effet de la création de la filière physique, qui a donné le résultat exactement inverse de celui voulu par ses créateurs.

Je recommande très vivement ce livre à tous ceux qui essaient de réfléchir sur l'avenir des filières universitaires, il y trouveront des faits et des considérations qui sont généralement absents de tous les rapports habituels, et des journaux dits d'information, et qui me semblent expliquer beaucoup plus de choses que les platitudes habituelles sur l'image de la science et la perte du sens de l'effort.

La conclusion du livre est intitulée "l'impuissance des remèdes pédagogiques". Cela ne condamne bien sûr pas nos efforts: c'est notre devoir, en tant qu'enseignants, d'améliorer nos cours, de réfléchir à la pédagogie (et j'ajouterai, en tant qu'ancien élève qui s'est ennuyé comme un rat mort au fond de bien des cours de maths ou d'autres matières, que c'est une question de simple respect humain envers nos élèves de rendre nos cours plus intéressants), et nous devons faire le possible pour améliorer l'efficacité de nos enseignements et de notre transmission du savoir. Mais il ne faut pas croire qu'en faisant cela, nous résoudrons la crise provoquée par la chute des inscriptions en université: cette chute dépend d'autres facteurs, de nature profondément politique.

Une dernière remarque, en forme de regret : comme le montre très bien Convert, les formations qui tirent leur épingle du jeu aujourd'hui sont les formations professionnalisées, qui conduisent à un métier : médecin, ingénieur. Or il y a un métier pour lequel la seule voie d'accès est l'université, c'est celui d'enseignant. Comment se fait-il que nous n'arrivions pas, ou mal, à faire reconnaître le caractère professionnel des  formations dans ce domaine ? Je hasarderai une réponse, que le lecteur pourra facilement mettre à l'épreuve : quand on émet l'idée, dans une réunion d'organisation de licence ou de master, qu'on pourrait envisager que ce diplôme forme entre autres des enseignants, il se trouve toujours quelqu'un pour répondre, avec l'assentiment général, qu'il ne faut pas restreindre le diplôme à la formation des enseignants, et qu'il faut avoir d'autres ambitions (implicitement considérées comme plus prestigieuses). Vouloir devenir professeur, c'est considéré comme un manque d'ambition, et un quasi-échec ; croyez-vous que les étudiants ne le sentent pas ?

 

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