Université d'été "expérimentation et démarches d'investigation en Mathématiques"
L'Université d'été "Expérimentation et démarches d'investigation en mathématiques" a été organisée à St Flour, du 20 au 24 août 2007, sous l'égide de l'Inspection générale de Mathématiques, par un comité scientifique composé de : Gilles Aldon, Michèle Artigue, Denise Courbon, Benoit Ducange, Marc Fort, Jacques Moisan, Yves Meyer, Yves Olivier, Jean-Alain Roddier, Claudine Schwartz. L'intégralité des actes (conférences et ateliers), hébergée sur le site de l'Académie de Clermont-Ferrand, peut être téléchargée : Académie de Clermont-Ferrand, ressources pédagogiques mathématiques. |
Synthèse de l'Université d'été
Michèle Artigue, Benoit Ducange, Anne Hirlimann et Yves Olivier
En préparant cette synthèse et pour amorcer un premier bilan de l’université d’été, nous nous sommes volontairement situés dans une perspective de transposition dans l’enseignement et la formation des apports des différentes activités vécues ensemble dans cette université d’été, comme cela avait été décidé lors de la création de ce groupe.
Ces activités ont été diverses : des conférences de mathématiciens parlant de leurs pratiques et de la place, du rôle dans ces pratiques des démarches expérimentales, des conférences plus orientées vers l’enseignement, des ateliers où les participants étaient mis en situation de recherche et de réflexion sur cette recherche, ou d’élaboration et analyse de scénarios pédagogiques. De plus, un blogue a été constitué et les participants ont été incités à y commenter au jour le jour ces différentes activités et ce qu’elles leur inspiraient comme pistes en termes d’enseignement et de formation. Ce blogue restera ouvert jusqu’à la publication des actes de l’université d’été pour que nous puissions continuer à bénéficier de vos réflexions et échanger aussi des informations sur la façon dont les uns et les autres nous réinvestissons les apports de cette université d’été dans nos pratiques.
Comment percevons-nous ces apports aujourd’hui ? C’est ce que nous essayons d’exprimer brièvement dans cette synthèse, organisée en deux parties, reflétant les deux dimensions essentielles de cette université d’été : les apports concernant les démarches expérimentales dans la recherche d’une part, dans l’enseignement et la formation des enseignants d’autre part.
I. Les démarches expérimentales dans les pratiques de recherche
L’université d’été, grâce aux efforts et à l’habileté des conférenciers invités, nous a donné l’impression de pouvoir accéder à l’intimité des pratiques de recherche, dans des domaines divers, mathématiques mais aussi physiques et ce fut, culturellement, pour nous tous, une expérience très enrichissante. Il est impossible de la traduire en quelques phrases et nous nous centrons dans ce qui suit sur quelques apports qu’il nous semble particulièrement important de méditer en tant qu’enseignants et formateurs.
1. L’importance de la démarche expérimentale dans les pratiques de recherche en mathématiques. L’expérimentation est apparue comme une composante essentielle de l’activité mathématique de recherche, et ce dans les domaines les plus divers, pas seulement dans ceux connus pour être source de multiples applications. De plus, c’est une démarche qui n’est pas réservée aux premiers moments de la familiarisation avec un domaine, de son exploration. Les conférenciers ont particulièrement bien montré qu’elle est présente sous des formes différentes aux divers moments de l’activité de recherche, qu’elle participe à la construction théorique, à l’élaboration de preuves. C’est une caractéristique à laquelle les transpositions éducatives des démarches expérimentales ont sans aucun doute à être plus attentives.
2. La multiplicité des exemples exploitables qui ont été présentés, y compris dans les travaux de recherche les plus récents, certains non encore publiés, alors que l’on pense souvent que seules des mathématiques déjà anciennes sont accessibles à des élèves du primaire ou du secondaire. Il y a dans cette possibilité de contact avec les mathématiques actuelles une source de motivation pour les élèves et la formation qui pourrait sans doute être mieux exploitée.
3. En contrepoint avec cette actualité, l’intérêt d’une approche historique. Plusieurs conférenciers ont intégré une dimension historique à leur présentation, et nous avons pu tous mesurer à quel point cette partie de leur discours nous aidait à comprendre les enjeux de leur recherche, à lui donner sens même si nous ne pouvions pas en comprendre tous les ressorts techniques. Ceci est sans doute également pertinent pour l’enseignement et la formation des enseignants. En écoutant l’exposé de Jean François Mestre déroulant le fil des recherches de Gauss, on ne pouvait s’empêcher de penser à l’intérêt que pourrait avoir un tel exposé pour tous ceux qui, préparant les concours d’enseignement, résolvent pas à pas les divers problèmes qui s’en inspirent sans avoir la moindre idée de cette histoire, sans pouvoir être éblouis par certaines intuitions, sans comprendre la logique qui sous-tend le problème qu’ils résolvent.
4. L’interaction entre domaines mathématiques mais aussi entre disciplines, qui nourrit ces démarches expérimentales et inspire les modèles développés et ce, sous des formes diverses : emprunts, connexions, analogies... A ceci s’est ajoutée la diversité des domaines évoqués, au-delà de la traditionnelle physique : biologie, écologie, neuro-physiologie…, et aussi la façon dont le fonctionnement de la nature et de l’humain, lorsque l’on en comprend l’ingéniosité, peut-être source d’idées quand il s’agit de comprendre comment des algorithmes simples peuvent permettre d’engendrer ou de traiter du complexe. Nous avons rencontré une recherche mathématique ouverte, nous avons ressenti le caractère motivant pour les mathématiciens des connexions et résonances qu’ils constataient, et comment plus ces résonances étaient inattendues, par exemple entre combinatoire et physique quantique, plus la jubilation, l’envie de comprendre étaient intenses. Quand on sait la difficulté que les enseignants de mathématiques ont à trouver leur place et tirer profit des divers dispositifs d’interdisciplinarité mis en place dans l’enseignement, ceci amène nécessairement à se poser des questions sur l’enseignement et la formation.
5. La diversité des formes que prend cette démarche expérimentale suivant les domaines concernés, la diversité des techniques utilisées et des outils mobilisés. Même si l’on parle de démarche expérimentale au singulier et s’il y a des invariants, les exposés ont bien montré la diversité des pratiques expérimentales. Ils ont aussi bien montré que le succès de la pratique expérimentale dépend d’une familiarité avec les techniques et outils propres au domaine, de connaissances permettant d’interpréter les résultats obtenus via la technologie et d’orienter l’expérimentation. Paradoxalement, ceci nous était particulièrement sensible quand nous ne partagions pas cette familiarité avec le conférencier et que les choix, les interprétations fructueux dont les ressorts nous restaient cachés prenaient un caractère magique. L’utilisation d’outils puissants comme ceux utilisés en théorie des nombres et en combinatoire permettant de faire surgir des formules ou des nombres de données très partielles contribuait d’ailleurs fortement à cette impression de magie. Ces caractéristiques posent la question de la progression dans cette diversité de connaissances, en interaction avec une progression dans la familiarité avec les outils technologiques généraux ou plus spécifiques utilisés dans les transpositions faites des démarches expérimentales pour l’enseignement. Des progressions à penser nécessairement dans le long terme. Elles renforcent la conviction que, pour être mathématiquement productives, les activités expérimentales ne doivent pas être des activités épisodiques, indépendantes, dans le travail mathématique de la classe.
6. La distinction nécessaire à faire entre observation et expérimentation, particulièrement bien exprimée par Jacques Treiner et reprise ensuite par la plupart des autres conférenciers, et l’importance du questionnement sous-jacent à l’expérimentation. La question des rapports entre expérimentation et validation suivant les disciplines, celle des rapports entre expérimentation et démonstration en mathématiques plus particulièrement ont aussi traversé les différents exposés. Et l’on a bien vu que la démonstration représentait une étape mais une étape seulement, ressentie par le chercheur plus ou moins importante suivant les problèmes qu’il cherche à résoudre, et qu’elle est forcée de s’adapter aux moyens conceptuels disponibles au moment où elle est produite. L’impossibilité de prouver une conjecture que l’expérimentation rend très crédible n’empêche pas de continuer le travail et, en sens inverse, la preuve d’une conjecture ne clôt pas nécessairement le travail sur cette dernière, en particulier lorsque la démonstration, bien qu’assurant la validité de l’énoncé, ne permet pas de comprendre pourquoi il est vrai. Les exemples donnés en combinatoire par Xavier Viennot étaient de ce fait particulièrement éclairants. Comment penser la transposition de ces rapports entre observation, expérimentation, démonstration dans l’enseignement, en évitant de les caricaturer, et sans oublier que les élèves auxquels on s’adresse ne sont pas des mathématiciens professionnels et qu’ils sont en train de construire leur rapport personnel à la rationalité mathématique et plus généralement leur rationalité scientifique ?
7. L’université d’été couplait démarche expérimentale et TICE. Dans ce début de synthèse, nous avons volontairement peu évoqué les TICE car il nous semblait important de ne pas assimiler démarche expérimentale et TICE. La démarche expérimentale semble en effet avoir toujours existé en mathématiques mais il est indubitable que l’évolution technologique en a changé radicalement l’économie et les possibilités, qu’elle l’a rendue bien plus visible, partageable avec d’autres, la technologie étant aussi utilisée pour organiser la diffusion, la collaboration. Les conférences de l’université d’été l’ont montré de façon éclatante, chacune à sa manière. Elles nous ont montré aussi la façon dont la communauté mathématique développe les outils spécifiques dont elle a besoin pour soutenir ces démarches expérimentales dans tel ou tel domaine, et les rend accessibles à tous. Tous les logiciels spécifiques qui ont été cités étaient des logiciels libres. Un autre point sur lequel nous voudrions mettre l’accent est celui de l’attention à porter aux modèles et algorithmes implémentés dans les outils logiciels et à la façon dont les choix faits à ce niveau influencent les expérimentations possibles et les résultats qu’elles produisent. Cette question, qui a été très bien illustrée dans l’exposé de Gérard Fleury par le cas des générateurs de nombres pseudo-aléatoires et quasi-aléatoires, est particulièrement importante pour l’enseignement secondaire, d’une part parce que, contrairement à ce qui se passe pour les logiciels mentionnés plus haut, beaucoup des caractéristiques sont inaccessibles, d’autre part, parce que, même lorsqu’elles le sont, la compréhension des raisons des choix effectués et de leurs effets possibles dépasse très souvent les possibilités de l’enseignement et des élèves. Les façons adéquates de rendre sensibles ces questions aux élèves ne sont donc pas immédiates.
Les conférences, comme nous avons essayé de le montrer, ont mis en évidence de nombreuses dimensions à prendre en compte quand on vise une transposition didactique dans l’enseignement de démarches expérimentales à l’évidence productives pour la recherche. Elles ont soulevé aussi de nombreuses questions car, on le voit bien, le monde de la recherche mathématique et le monde de l’école sont deux mondes différents. Nos élèves ne sont pas des mathématiciens et, pour la très grande majorité d’entre eux, ne deviendront pas des mathématiciens. La démarche expérimentale s’inscrit pour eux dans une démarche d’apprentissage soumise à de nombreuses contraintes, dont celle de l’évaluation. Comme dans tout processus de transposition didactique, il s’agit donc de savoir ce que l’on veut exactement transposer et pourquoi, et de trouver les moyens de le faire de façon réaliste. La difficulté que rencontrent la plupart des pays à introduire à grande échelle de telles démarches et/ou à les rendre mathématiquement productives malgré les réformes et incitations diverses montre qu’il n’y a pas de solution miracle à attendre à ce problème et que l’évolution ne peut résulter que d’une action cohérente, convenablement régulée et soutenue dans la durée. Sur ce plan aussi, à travers les conférences plus orientées vers ces questions didactiques, les ateliers et les débats, l’université d’été a permis d’avancer.
II. La démarche expérimentale dans l’enseignement
La démarche expérimentale dans l’enseignement a été travaillée par certaines conférences et dans le cadre des ateliers. Ces ateliers ont permis de mettre en activités les participants et de nous mettre en situation de recherche mathématique.
On a pu alors se convaincre d’un certain nombre de points importants concernant les activités. Ces points ont été évoqués dès la table ronde du premier jour ou lors de conférences. Les voici :
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La situation doit avoir un énoncé facilement compréhensible et appropriable par tous pour permettre la mise en activités de chacun ; cela permet de gérer l’hétérogénéité des classes ;
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Le partage de compétences est nécessaire lorsque les mathématiques sollicitées ne sont pas en proximité des connaissances utilisables ou lorsque l’outil TICE sollicité n’est pas bien connu ;
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Une réflexion importante doit être faite sur les aides à apporter pour lever les blocages sans casser la dynamique de recherche ;
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La liberté laissée aux pistes de recherche est fondamentale car elle permet la richesse de la restitution et de l’exploitation du travail ;
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L’expérimentation se distingue de l’observation en ce sens qu’elle oblige à interroger le « pourquoi ? ». Par exemple dans l’exemple du régionnement du cercle proposé par Gilles Aldon, apparaissent les premières puissances de 2 jusqu’à la rupture avec l’apparition de 31 qui interpelle, re questionne et provoque l’expérimentation pour comprendre comment l’on passe d’une étape à l’autre ;
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La recherche de la preuve est parfois très délicate et nécessite donc un « classement » des activités. Certaines preuves apparaissent lors de l’expérimentation en ce sens que leur structure et les propriétés mobilisables apparaissent lors des étapes. D’autres preuves sont « malheureusement » plus délicates voire encore du domaine de la Recherche. Cela peut naturellement concerner les activités proposées aux élèves lorsque les outils mobilisables pour établir la preuve d’une conjecture ne sont pas connus d’eux. Cela peut être l’occasion d’introduire un nouvel outil ou de proposer une poursuite d’étude les années futures ;
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L’évaluation des compétences mobilisées ou développées par les élèves a été un souci permanent de la réflexion.
Le groupe « formation » a aussi tenté de dresser un bilan de cette université d’été du point de vue de certains points transversaux.
Les TICE :
Il est clair qu’il faut savoir se servir des différents outils à un certain niveau minimum qui peut ne pas être le même selon l’activité proposée. Cela pose les problèmes de progression des apprentissages et des types d’outils utilisables. Ce sont là des vraies questions dont les réponses sont du ressort des équipes d’établissement et pas du ressort de l’individu, et ceci aussi bien au Collège comme au Lycée.
Les activités et les recherches mathématiques
Elles doivent être assez simples et intégrées à la progression des apprentissages sur les concepts et les méthodes liés au Programme. En effet, l’esprit de recherche doit être structuré car cela ne relève pas uniquement de l’intuition.
Selon la pratique de l’enseignant, telle activité peut être proposée à différents moments de cette progression (en introduction, en cours d’apprentissage, en fin d’apprentissage ou en réinvestissement).
Des prolongements peuvent permettre de relancer la recherche.
Le partage de ressources
A ce stade de la réflexion, il est clair à tous, et cela a bien été montré dans les ateliers, que la « fiche élève » seule n’est pas intéressante. Voire, nous dirions que l’on peut se poser la question de son existence même. En effet c’est un carcan pour l’activité des élèves et elle ne stimule pas la recherche voire limite l’exploitation de la situation proposée.
Dans le partage de ressources finalement on est conscient maintenant que de nombreuses contraintes existent et qu’il faut être réaliste.
Autour d’une situation devraient être proposés :
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Le potentiel mathématique (objets et compétences mathématiques concernées) ;
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Un guide de mise en place avec des scénarios possibles voire avec des observations d’élèves ;
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Des prolongements.
Il faut en dire assez mais pas trop. La technologie offre pour cela des possibilités nouvelles. Il a été suggéré une forme adaptée : une page simple avec différents onglets donnant sur des pages complémentaires et des liens consultables, mais pas nécessairement selon la volonté du visiteur. La possibilité d’ajouts de commentaires ou de comptes-rendus d’utilisation (par exemple sous forme de blog) a été également évoquée.
Exploitation et évaluation des activités d’expérimentation et de recherche
S’est posée la question de l’exploitation de la séance par le professeur. Plusieurs méthodes ont été proposées :
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L’exploitation des traces informatiques et leur confrontation en classe entière à l’aide d’un débat scientifique ;
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Les narrations de recherche, pour faciliter l’expression écrite des élèves en particulier au collège ;
Il a aussi été souligné que l’exploitation est d’autant plus riche que la recherche se situe dans la progression des apprentissages et qu’elle pourra nourrir une synthèse forte qui permettra de conforter ou d’établir des résultats du « cours ».
L’évaluation enfin a été fréquemment évoquée. Des réponses très riches et ouvertes ont été aussi proposées sur ce plan, sensibles à la nécessité de ne pas limiter l’évaluation à celle de la production mathématique stricte :
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Elles s’appuient sur des listes de compétences mobilisables ; certaines sont restreintes (extraites du B2I, du socle commun ou de l’épreuve pratique), d’autres sont beaucoup plus riches au risque de créer des « usines à gaz » difficilement utilisables par les enseignants ;
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Elles suggèrent l’évaluation collective du travail de groupe et pas seulement l’évaluation individuelle (celle-ci pouvant être de l’auto-évaluation) ;
Certes l’évaluation doit être présente à certains moments de l’apprentissage mais cela ne doit pas être une obsession. Il nous semble que, dans le cadre de la formation, elle ne doit pas être posée au même niveau que les autres éléments. Elle doit découler de l’intérêt de l’évolution de la pratique d’enseignement comme de l’évolution de l’activité mathématique de l’élève qui ne sera plus entièrement consacrée à la réalisation technique d’exercices. Ces exercices restent cependant nécessaires pour familiariser les élèves avec les méthodes, les outils et les techniques afin que de leur expérience naissent leur utilisation et leur mobilisation par les élèves lors de la résolution d’un « problème ».
Saint Flour, le 24 Août