L. Xavier
Professeur de lycée à Lyon, animateur IREM et professeur associé INRP, membre du groupe de pilotage national de l'expérimentation
Quelques observations tirées de l’année d’expérimentation.Il est bien difficile de résumer l’année d’expérimentation de l’épreuve pratique mais peut-être que cette remarque d’un élève pourrait traduire assez largement le sentiment éprouvé par bon nombre d’entre eux : « Ce qui est bien dans ces exercices, c’est qu’on sait ce qu’il faut chercher. » Le fait que l’objectif de l’exercice soit annoncé en préambule n’est pas chose nouvelle, mais cette annonce n’est bien souvent parlante que pour celui qui, dominant le sujet abordé peut, à la simple lecture de l’énoncé, relier les questions posées à quelques grands domaines ou méthodes mathématiques. Le temps d’exploration, naturellement imposé par la forme de l’épreuve pratique testée en 2007, autorise davantage cette appropriation. |
Les questions de démonstration finales trouvent ainsi aux yeux des élèves/candidats bien souvent une « auto-justification ». D’autres remarques de leur part, tournent autour de la forme des énoncés, beaucoup moins guidés que ceux qu’ils avaient eu l’occasion bien souvent de rencontrer. Ont-ils tous eu le sentiment de devoir faire preuve d’initiative ? Ils ont pour le moins constaté qu’ils étaient amené à construire des outils adaptés à un problème, à formuler puis à affiner des conjectures, à vérifier leur solidité, à mettre en place une démarche pour la preuve et à la restituer oralement et/ou à l’écrit. Ce sont là autant de compétences que nous souhaiterions voir, au terme de leur scolarité, communément maîtrisées par nos élèves. L’épreuve pratique de terminale S est peut-être le moment pour les évaluer dans la maîtrise ou dans l’acquisition de ces compétences, faisant le pari que la forme de l’épreuve les amène à mobiliser certaines d’entre elles au moins. Reste à être capable de cette évaluation qui se concentre sur des points autres que la simple vérification de l’acquisition de connaissances ou de savoir-faire mathématiques.
Autour des compétences et de leur évaluation
La constitution de grilles analytiques de notation, tâche à laquelle sont rompus les enseignants, est dans le cas de ce type d’épreuve, une tentation a priori dangereuse. En effet, si elles peuvent sans doute permettre une évaluation assez fine de l’écrit, les utiliser exclusivement reviendrait en quelque sorte à passer sous silence tout ce qui se joue dans la phase exploratoire et qui conduit les candidats à ces dites productions écrites. Ces dernières sont-elles sensées être le reflet de l’activité mathématique réelle des candidats ? Elles n’en sont sans doute qu’une partie, visible certes, et bien des compétences mobilisées par les candidats ne se perçoivent plus dans les écrits, parfois laconiques. Certains élèves pratiquent en effet une autocensure parce qu’ils sont par exemple conscients de n’avoir pas totalement abouti dans la preuve. D’autres ayant, via une démarche construite, obtenu une « réponse » (une conjecture à nos yeux) qu’ils jugent suffisante, ne ressentent alors pas le besoin impérieux de fournir une démonstration d’une nature plus formelle, le logiciel ayant parfois force de preuve à leurs yeux. Ces cas de figure nous confortent dans l’idée que si une solution rigoureuse et rédigée est sans doute l’aboutissement d’un processus mettant en jeu des compétences de nature diverses mais que l’absence de démonstration (ou la démonstration partielle ou avortée) n’est pas, bien entendu, synonyme d’aucune compétence.
Pour prendre en compte l’ensemble de l’activité mathématique des candidats, il nous faut sans doute ménager une place non négligeable à l’évaluation des compétences mobilisées entre le début de la phase exploratoire et l’énoncé des conjectures ou la construction du squelette de la preuve. Les premières fiches d’évaluation ont proposé quelques pistes pour aider l’examinateur à situer chaque candidat sur l’échelle des compétences visées, et ce en prêtant attention à la fois à la démarche du candidat, à ses résultats intermédiaires, à ses questionnements personnels, … La difficulté vient bien entendu du fait que telle ou telle compétence n’est pas rattachée de façon évidente et définitive à un type de question ou a un comportement observable unique.
Cette forme d’évaluation souhaitée impose des modalités de passation de l’épreuve. Lors de l’expérimentation, le choix a été de suivre en une heure quatre candidats composants sur le même sujet, ce qui a raisonnablement permis aux examinateurs de prêter attention à la démarche de chacun d’eux. L’examinateur se trouve toutefois dans une position un peu inhabituelle en ce qu’il assiste, plus que dans toute épreuve actuelle, aux avancées des candidats mais également aux errements, aux erreurs, qui éventuellement ne se retrouveront pas dans la production finale, mais qui auront été en partie nécessaires au candidat pour aboutir. Les cas de parties exploratoires confuses aboutissant à une rédaction rigoureuse de la question finale comme les cas d’explorations riches ne débouchant pas sur une preuve aboutie ont tous été observés. Le nombre restreint de candidats est aussi le moyen de laisser à l’examinateur du temps pour recueillir leur parole, pour les inviter à relater leur démarche ou pour qu’ils puissent préciser un plan de démonstration, choses auxquelles nous ne sommes encore pas habitués, enseignants comme élèves. En toile de fond se dessine alors la formation des enseignants-examinateurs pour accompagner les élèves en formation et pour l’évaluation finale. Car en définitive, que devra retenir l’examinateur ? Ce qu’il a vu ? Ce qu’il a entendu lors des échanges oraux imposés dans le texte de l’épreuve (ou lors des échanges provoqués par le candidat) ? Doit-t-il prendre en compte le temps passé par un candidat à étudier une piste qui n’aboutit pas ? Et en tel cas, doit-il intervenir pour proposer au candidat un moyen de rebondir ? Et si oui quand et comment prendre en compte la réactivité du candidat ? Autant de questions qui montrent à quel point se pencher sur le comment un raisonnement est conduit n’est pas chose aisée à évaluer.
Je citerais ici en exemple, une élève qui, ayant défini deux droites comme courbes représentatives de fonctions préexistantes, s’est trouvée dans l’impossibilité de définir et nommer, à cause du logiciel choisi, leur point d’intersection, nécessaire à la fin de la construction. Elle a été, après intervention de l’examinateur, capable de proposer une solution algébrique pour compenser la « fonctionnalité manquante du logiciel». De son propre point de vue, l’épreuve était un échec alors que le contenu mathématique était maîtrisé, et que la démarche et la réalisation proposées étaient, du point de vue examinateur, très satisfaisantes. Le souci des énoncés de proposer une entrée progressive dans le sujet, de recourir à des fonctionnalités logicielles raisonnables (sans interdire l’accès à toutes les autres aux « candidats experts ») est aussi un point important pour éviter les situations de candidats bloqués, mais dont le blocage ne peut être imputé clairement aux connaissances mathématiques ou techniques insuffisamment maîtrisées.
Compromis acceptable ?
Actuellement, il n’est fait que très peu de place aux questions de l’évaluation des compétences, notamment celles citées ici, dans les examens écrits français et ce peut-être notamment parce qu’il est relativement difficile d’apprécier la maîtrise de telle ou telle à travers un écrit. Nous pouvons toutefois nous accorder sur le fait que leur maîtrise est nécessaire à la formation et à la réussite de nos élèves. L’épreuve pratique propose, elle, un cadre oral nouveau, dans lequel il est raisonnable de penser que l’on pourra observer la mise en Å“uvre de certaines compétences indépendamment du produit de ces compétences en terme de démonstration aboutie.
La question des grilles d’observation préalable à l’évaluation a été posée lors de l’expérimentation et c’est encore un point qu’il faudra faire évoluer pour permettre à chacun de se constituer des habitudes d’évaluation un peu nouvelles.
Alors compromis pourquoi pas, piste sérieuse encore à l’étude certainement. Toutefois, il de faut pas négliger l’enjeu fort de cette épreuve qui, liée à un examen phare, oblige à se pencher sur la formation en mathématique des élèves. Si les conditions de passation de l’épreuve sont déjà bien encadrées, les conditions de formation, elles, restent à définir plus clairement. Il semble qu’elle impose aux outils d’être suffisamment maîtrisés pour que le candidat puisse se consacrer à leur utilisation dans le but de la résolution de problèmes mathématiques. Comment parvenir à cette familiarité ? Les séances de type Travaux Pratiques ou Dirigés sont sans doute une voie nécessaire. Le recours à des outils portables ou dont l’élève peut disposer à la maison sont une possibilité complémentaire intéressante. Les élèves expérimentateurs de l’an dernier, plutôt enthousiastes, ont pour la plupart émis une réserve quant à leur temps de formation à ce type de raisonnement et/ou de résolution de problèmes.