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D. Duverney

Dernière modification 20/09/2007 18:39

Professeur en classes préparatoires à Lille et membre de la commission enseignement de la Société Mathématique de France


La question de Michèle Artigue a le mérite de proposer une définition précise de la dimension expérimentale de l’activité mathématique : « A travers les pratiques expérimentales, au delà de l’acquisition stricte de connaissances, on cherche à développer les compétences des élèves à poser des problèmes, les explorer, élaborer des conjectures et les tester, systématiser une étude, produire des argumentations convaincantes et des preuves, communiquer leur travail et les résultats obtenus. »

Il n’est pas inutile de préciser ce point, car les mots "expérience" et "expérimental" sont loin d'être univoques.

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Ainsi, une expérience peut désigner le fait d’éprouver quelque chose, considéré comme un élargissement de la connaissance et des aptitudes, mais aussi le fait de provoquer un phénomène dans l’intention de l’étudier [1]. L’expérience en mathématiques, au sens mis en avant par Michèle Artigue, relève de la deuxième signification (expérience scientifique), et ne fait pas référence à un enseignement des mathématiques fondé sur l’expérience quotidienne des élèves, par exemple. Par ailleurs, un enseignement expérimental désigne souvent un enseignement pratique ou inductif, s’opposant à abstrait ou déductif. Selon certaines conceptions, un enseignement expérimental aurait pour effet de favoriser l’activité de l’élève, et s’opposerait au dogmatisme du cours magistral, qui provoquerait sa passivité.

Il faut signaler ici que la mise en avant actuelle (et insistante) de l’aspect expérimental des mathématiques s’inscrit dans un contexte historique et pédagogique précis : au début des années 90 est apparue une conception nouvelle de l’enseignement scientifique au lycée, dans le cadre de la "rénovation pédagogique" [2]. L’enseignement de la physique a alors été réorienté vers une pédagogie résolument inductive et expérimentale [3]. Cette réorientation, confirmée lors de la "réforme des lycées", a trouvé un point d’aboutissement logique avec l’introduction d’une épreuve expérimentale de physique chimie au bac S en 2003.

Au demeurant, il n’est pas certain que cette conception du rôle didactique de l’expérience en physique, inspirée par le Nuffield Project britannique des années 60-70 [4], emporte l’adhésion de l’ensemble des physiciens. C’est ainsi que Michel Hulin, physicien et directeur du Palais de la Découverte, écrivait en 1988 [5] : « Rien ne nous fournit la moindre indication sur la possibilité d'utiliser "la méthode expérimentale" dans l'enseignement avec des débutants, que ce soit pour les convaincre, par preuve expérimentale, de la validité d'une loi physique, ou - au second degré en quelque sorte - pour les faire adhérer à cette méthode ».

Pour en revenir à la future épreuve d’évaluation des capacités expérimentales en mathématiques au baccalauréat, il apparaît que sa création résulte de l’érosion constante du choix de la spécialité maths au bac S, combinée à l’existence des deux épreuves analogues en physique chimie (depuis 2003) et SVT (depuis 2004). Tout en obligeant les collègues enseignant dans la voie scientifique à mettre en Å“uvre les objectifs des programmes en termes de manipulation de logiciels par les élèves, cette nouvelle épreuve permettrait, suivant ses promoteurs, d’attirer plus d’élèves vers la spécialité mathématique [6].

Il en sera peut-être ainsi ; cependant, il paraît douteux que cela permettre d’atteindre les objectifs de la pratique expérimentale en mathématiques mis en avant par Michèle Artigue dans sa question, objectifs centrés sur la recherche de problèmes.

En effet, la recherche de problèmes, au sens de la classification de l’IREM de Strasbourg [7], demande du temps, comme noté par Michèle Artigue dans sa question. En outre, c’est une activité gratuite : il est difficile de pénaliser un candidat sérieux qui n’aboutit à rien de concluant lors d’un problème de recherche. Elle ne paraît donc pas compatible avec le temps limité, ni avec la sanction de la note lors d’un examen. Dans les faits, la préparation à cette nouvelle épreuve conduira probablement à un nouveau bachotage pendant les cours de mathématiques, fondé cette fois sur la manipulation d’un ordinateur, même si le type d’exercices posés n’est pas, en soi, inintéressant.

Les obstacles à l’initiation des futurs scientifiques à la recherche de problèmes dans le cadre du lycée sont le manque de temps et la difficulté de l’activité de recherche ; il ne s’agit pas d’un défaut de pratique expérimentale. Du reste, la manipulation de données numériques ou géométriques grâce à un ordinateur n’est peut-être pas toujours la manière la plus efficace d’assurer cette initiation. Par exemple, il semblerait qu’on ait oublié un peu vite les travaux de Polya [8,9] ou de Glaeser [10] sur le raisonnement heuristique, qui est pourtant central dans l’activité des mathématiciens et des physiciens depuis 20 siècles.

L'épreuve d'évaluation des capacités expérimentales en mathématiques présente par contre trois inconvénients importants.

Le premier est que, dans un horaire déjà fortement réduit, l’introduction d’une nouvelle épreuve ne peut se faire que par empiètement sur d’autres activités, notamment les exercices d’exposition, les exercices didactiques et l’exécution de tâches techniques [7], déjà en nombre insuffisant pour une assimilation satisfaisante d’un contenu mathématique pourtant systématiquement diminué depuis la "rénovation pédagogique" [11, annexe 1]. C’est ce souci qui a conduit à la prise de position récente de la Société Mathématique de France [12].

Le deuxième inconvénient est que l’insistance sur l’aspect expérimental des mathématiques et l’usage de l’ordinateur pour "voir" ne conduise une grande partie de nos élèves à une conception faussée de ce que sont les mathématiques et des conditions de leur efficacité (que certains trouvent "déraisonnable", on ne sait trop pourquoi). Ce danger n’est pas illusoire : le Bulletin Officiel n'affirme-t-il pas que les mathématiques se rapprochent des sciences expérimentales, grâce à l’expérimentation numérique, à la simulation, et à ce que l’on peut appeler la démonstration empirique [13] ?

Le troisième inconvénient résulte du problème de la notation d’une telle épreuve. La difficulté d’estimer correctement les capacités de recherche à partir d’un temps limité conduira à des notes généreuses, fondées essentiellement sur la manipulation de logiciels. Il est bien possible qu’une telle politique n’incite une partie de nos élèves à négliger d’autres aspects de leur apprentissage mathématique, plus ardus et fastidieux, nécessaires dans le cadre d’une poursuite d’études scientifiques, mais non rentables pour le bac.

La future épreuve d'évaluation des capacités expérimentales au baccalauréat scientifique pose le problème de l'organisation actuelle de la voie scientifique des lycées, où les mathématiques sont mises en concurrence avec la physique chimie et les SVT, tandis que les taux de réussite à l'examen explosent littéralement (près de 90 % désormais). Elle n'apportera aucune amélioration notable dans les capacités des élèves à poser et résoudre les problèmes si les horaires de mathématiques restent ce qu'ils sont, mais aggravera probablement une situation déjà bien détériorée ; celle-ci ne peut s'améliorer que par un examen lucide et dépassionné des conséquences de la "rénovation pédagogique" et de la "réforme des lycée" sur notre enseignement scientifique [14]. Il devient urgent d'appliquer la méthode expérimentale à l'évaluation des théories pédagogiques et des politiques éducatives.


REFERENCES

[1] Le petit Robert, Nouvelle édition 2004, page 1001.

[2] Daniel Duverney, Les mathématiques dans la voie scientifique des lycées français depuis les années 60, Colloque franco-finlandais, Novembre 2005.

[3] Rapport de la mission pour l'enseignement de la physique, Octobre 1989

[4] John Obgorn, Les Anglo-saxons sont-ils différents ? in Les sciences au lycée, Un siècle de réformes des mathématiques et de la physique en France et à l'étranger, sous la direction de Bruno Belhoste, Hélène Gispert et Nicole Hulin, Vuibert-INRP, 1996.

[5] Michel Hulin, Rappel de quelques évidences sur la physique, extrait de la conférence La Physique ou l'enseignement impossible, donnée par Michel Hulin au Séminaire de Philosophie et Mathématiques de l'ENS (séance du 10 juin 1987).

[6] Daniel Duverney, Eléments d'information sur la future "Epreuve pratique de mathématiques au bac S", Mai 2007.

[7] IREM de Strasbourg, Le livre du problème, deuxième édition 1976, CEDIC. La classification des énoncés proposée dans ce travail est accessible en ligne

[8] Georges Polya, Comment poser et résoudre un problème, Dunod 1957.

[9] Georges Polya, La découverte des mathématiques, Dunod 1967.

[10] Georges Glaeser, Analyse et synthèse, Formation des enseignants en heuristique, APMEP 1990.

[11] Daniel Duverney, Réflexions sur la place des mathématiques dans l'enseignement scientifique, Bulletin de l'APMEP, juin 2004.
[12] Société Mathématique de France, A propos de la future épreuve d'évaluation des capacités expérimentales en mathématiques au baccalauréat scientifique, mai 2007.

[13] L'enseignement des sciences au lycée, Bulletin Officiel, Hors série n° 2 du 30 août 2001, page 8.

[14] Daniel Duverney, Les "spécialités" au bac S : une approche historique, Bulletin de la SMF, Octobre 2006, et Bulletin de l'UdPPC, Février 2007.

 

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