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Post du forum : Quelques réflexions autour du rapport parlementaire

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Posté par trouche le 03/07/2006 13:53 (1 réponse)

Roland Charnay a été co-responsable de l’équipe ERMEL (INRP) et a fait partie du groupe d’experts sur les programmes de l’école primaire

La question initiale mise en débat par Luc Trouche porte sur « ce qu’il faut penser du rapport parlementaire français sur l'enseignement des disciplines scientifiques dans le primaire et le secondaire? ». Ce rapport est d’une lecture difficile car il mêle, tout au long de sa rédaction (79 pages sans compter les annexes), des points de vue de ses auteurs avec ceux des personnes consultées. La conclusion elle-même tient en moins d’une page, complétée par trois pages de propositions.

Je considère comme positif que, dans un rapport sur l’enseignement des disciplines scientifiques, les parlementaires se soient préoccupés de l’enseignement des mathématiques. Cela tranche avec des prises de position qu’on a pu connaître dans les dernières années. De plus,cela est en accord avec le travail récent sur les programmes de l’école primaire qui ont situé, au cycle 3, les mathématiques dans le domaine « Education scientifique » et sur ceux du collège, élaborés dans le cadre d’un groupe de travail chargé de l’ensemble des disciplines scientifiques.

Un rapport ambigu

Concernant l’école primaire, parmi les positions de la commission parlementaire qui émaillent le texte, certaines ne peuvent que recueillir mon approbation, par exemple lorsqu’il est affirmé que « la mission déplore ce faux débat entre savoirs et compétences (…). Il n’y a pas de compétences sans savoirs et un empilement de savoirs sans liens entre eux et sans réflexion paraît bien peu formateur » ou encore lorsqu’elle soutient que « la tendance (…) des enseignants du premier degré à s’accommoder dans les matières scientifiques d’un faible niveau d’exigence paraît plus grave que le fait que la division à deux chiffres à décimale ne figure pas au programme de l’école primaire, lequel ne prévoit que la division des nombres entiers ». Partant de là, les propositions qui accompagnent la conclusion générale sont d’autant plus déconcertantes, puisque, concernant les mathématiques à l’école primaire, elles se limitent à recommander de développer le calcul mental (ce qui ne fait que reprendre une des priorités des programmes de 2002) et l’apprentissage des techniques opératoires des quatre opérations dès le cours préparatoire (ce qui ne vise qu’à satisfaire les tenants d’un retour à un « ordre » ancien, en contradiction avec tous les travaux menés dans différents domaines au cours des dernières décennies).

Quelques éléments à prendre en considération

Il n’est donc pas inutile d’argumenter à nouveau sur différents points.
Qu’attend-on des élèves à la fin de l’école primaire, dans la perspective d’une scolarité commune jusqu’à 16 ans (note 1) ? La réponse à cette question relève de choix politiques et doit se trouver dans les textes réglementaires.
Quel enseignement est le mieux à même de répondre aux objectifs définis ? La réponse relève certes des enseignants et de leur formation. Mais elle doit être constamment éclairée et reconsidérée en s’appuyant sur des travaux de recherche fondamentale dans différents secteurs (didactique, épistémologie, psychologie, sociologie…) et de recherche développement qui permettent de mettre à l’épreuve de la réalité longue de la classe des dispositifs complets (ce qui était, par exemple l’objet des travaux de l’équipe ERMEL). L’institution se doit également d’épauler les enseignants dans cette tâche en mettant à leur disposition des documents d’aide à la mise en Å“uvre des programmes et, surtout, en améliorant son offre de formation, quantitativement et qualitativement. Il me semble nécessaire de compléter ce point de vue, en précisant que, en elles-mêmes et d’une certaine manière, les méthodes d’enseignement ne sont pas qu’un moyen de l’apprentissage, elles sont aussi une part de l’apprentissage. Apprendre un concept directement à partir de sa définition, souvent à partir d’une activité « prétexte » qui n’en justifie qu’en apparence l’introduction ou bien le travailler, avec les autres élèves et avec l’enseignant, dans le contexte d’une situation problématique qui à la fois en montre la nécessité et en constitue un début de sens, est-ce apprendre le même concept ? J’ignore si c’est ce que veulent dire les auteurs du rapport en proposant, dès l’école primaire, de « généraliser les méthodes d’apprentissage par l’expérimentation et l’investigation en liaison avec des scientifiques ». D’une part, je ne suis pas sûr qu’ils englobent les mathématiques dans cette proposition, d’autre part, si l’expérimentation et l’investigation peuvent constituer des moments importants de l’apprentissage, elles ne peuvent à, elles seules, garantir l’appropriation de connaissances structurées et opératoires. Là encore, les travaux en didactique sont d’une grande utilité et on peut regretter que la commission n’ait pas choisit d’entendre davantage de chercheurs qui se réclament de la didactique des mathématiques.
Comment mesurer les effets de l’enseignement et ce que les élèves ont acquis ? C’est sans doute la question la plus redoutable, pour plusieurs raisons. Je n’en retiendrai que trois qui peuvent être résumées ainsi, sur le thème de l’évaluation :
- L’évaluation est un miroir sélectif et déformant de ce qu’elle est sensé observer. D’une part, tout dispositif sélectionne dans le champ des connaissances analysées. Ainsi, une étude rapide que j’ai conduite sur l’évaluation à l’entrée en sixième 2004 sur trois domaines (fractions-décimaux, division, géométrie) montre que, sur 25 exercices proposés, plus de 20 concernent des questions liées au langage mathématique ou à l’exécution de tâches techniques et que les rares problèmes qui requièrent l’utilisation des connaissances relatives à ces domaines sont des problèmes que l’on peut qualifier « d’application directe ». L’aspect fonctionnel des connaissances est donc très peu évalué. D’autre part, il est difficile, parmi le lot de connaissances sollicitées pour résoudre une tâche donnée, d’isoler celle dont on souhaite évaluer la maîtrise ou la disponibilité (note 2).
- L’évaluation est loin d’être un acte neutre qui se contenterait d’observer les acquis des élèves. Par les choix qu’elle opère dans les contenus interrogés et par les formes qu’elle adopte, elle agit fortement sur le système observé, sur le travail de l’élève et sur celui de l’enseignant (aspects des connaissances privilégiés, méthodes d’enseignement…). Bien au-delà de ce qu’on appelle l’évaluation formative, elle contribue à formater l’enseignement et l’apprentissage qui cherchent à s’adapter aux demandes de l’évaluation tout autant sinon plus qu’aux exigences des programmes et, mieux encore, à une appropriation durable des concepts. Ce phénomène peut être encore accentué par la mise en place des évaluations liées au socle commun, avec un risque de « bachotage », à court terme, qui serait en contradiction avec un travail en profondeur s’inscrivant dans une perspective longue (note 3).
- L’évaluation en mathématiques est pratiquée presque exclusivement par le biais d’énoncés écrits avec des réponses rédigées… Ce qui implique que l’évaluation des connaissances mathématiques et de leur utilisation se trouve conditionnée par les compétences en lecture des élèves. Ne peut-on pas réfléchir à une part d’évaluation qui s’affranchisse de l’écrit et prenne davantage appui sur « l’action » ? Ces interrogations sur l’évaluation conduisent-elles à remettre en cause son intérêt ? Certainement pas et la position contraire serait rapidement démentie par les faits. Plus raisonnablement, il semble nécessaire, aussi bien pour ceux qui élaborent des outils d’évaluation « institutionnels » que pour l’enseignant qui évalue d’avoir une conscience aussi claire que possible des effets de leurs propositions et de leurs choix et, pour cela, il serait d’une grande utilité que des travaux se poursuivent sur ces questions, du point de vue didactique.

Pour une réflexion sereine

Le risque de voir se cristalliser le débat sur l’enseignement des mathématiques sur le « retour des 4 opérations », et donc de la division, dès le CP existe. Ce serait dramatique, pour plusieurs raisons. Aucune étude, aucune analyse sérieuse ne vont dans le sens d’une telle décision, ni l’analyse mathématique qui montrent que de solides connaissances sur la multiplication et la soustraction sont nécessaires pour comprendre la division, ni les travaux en didactique qui insistent sur la complexité de l’accès à cette opération (et même à ces opérations si on distingue la division euclidienne et la division parfois appelée « exacte »). L’idée d’introduire la division très tôt conduit à la présenter comme codage d’une action (comme partager équitablement) plutôt que comme opération arithmétique qui permet de modéliser et traiter diverses catégories de problèmes. Chacun connaît les conséquences de tels choix quant aux contresens que peuvent faire les élèves, orientés ainsi vers l’action décrite dans le problème plutôt que sur la recherche des relations « structurelles » entre les données. En dehors même de tous les acquis des travaux conduits depuis plus de 30 et que certains voudraient rayer d’un trait de plume rageur, au défi de toute approche quelque peu scientifique des questions d’enseignement, l’apprentissage du calcul est situé aujourd’hui dans un contexte radicalement différent de celui qui prévalait à l’époque. Le fait qu’on ne calcule plus aujourd’hui en posant des opérations « à la main », mais plutôt mentalement, ou bien à l’aide d’une machine ne peut pas ne pas conduire à un questionnement sur ce qui doit être enseigné à ce sujet et sur comment l’enseigner. L’analyse ne conduit pas à ne plus enseigner le « calcul posé », mais sans doute à en reconsidérer les objectifs. Par contre, le refus d’aborder la question, de considérer même qu’elle puisse être posée porte la marque d’une position prise a priori, en seule référence à un passé mythifié qui n’est plus.

Alors que les élèves qui sortent de l’école primaire aujourd’hui n’ont pas encore suivi une scolarité complète définie à partir des programmes de 2002, il paraîtrait pour le moins hâtif de procéder déjà à leur procès et à leur remise en cause. Laisser aux enseignants le temps de l’appropriation, le temps de la réflexion, le temps de la formation, le temps de la critique « par la pratique » en même temps que permettre aux chercheurs, de tous horizons, d’analyser, sur la durée, les points forts et les points faibles des programmes et des recommandations qui les accompagnent me semble autrement plus urgent… et raisonnable. C’est le sens de la réponse que j’ai cru devoir faire au document de Rémi Brissiaud, publié par Le Café pédagogique, réponse consultable à l’adresse http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/charnay.php.

Notes

(1) Sur cette question, je mets quelques  propositions en débat dans un point de vue proposé dans le n° 64 de Repères-IREM sous le titre « Quelle culture mathématique commune ? », reprenant une intervention faite à la demande de l’ADIREM en mai 2005.
(2) Voir, sur ce sujet, un article que j’ai écrit pour la revue Grand N, n° 70 (2002) : « Compétences : intérêts et limites ».
(3) Pour une approche didactique des questions d’évaluation, on peut toujours consulter avec profit la brochure de l’IREM de Marseille publiée en 1986 par Yves Chevallard et Serge Feldmann : « Pour une analyse didactique de l’évaluation ».

Re: Quelques réflexions autour du rapport parlementaire

Posté par trouche le 04/07/2006 11:23

Précision de Rémi Brissiaud quant au texte de Roland Charnay

Dans son texte, Roland Charnay met un lien avec sa réaction à un article intitulé « Calcul et résolution de problèmes : il n’y a pas de paradis pédagogique perdu », article que j’ai rédigé début juin et que le Café Pédagogique a bien voulu mettre en ligne.

Pour connaître l’état du débat sur la question, il convient de se référer à l’ensemble des textes que ce premier écrit a suscités : la réponse de David Lefèvre, celle de Roland Charnay lui-même, celle de Joël Briand et celle que j’ai finalement rédigée.

L’ensemble de ces textes se trouvent en ligne dans le « Dossier calcul » du Café Pédagogique : http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/calcul.php
Que le débat se développe ainsi… sereinement.

 

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