D. Perrin
Professeur des universités à l'IUFM de Versailles
A propos des projets de réforme de la formation des maîtresJe suis professeur des universités à l'IUFM de Versailles, responsable du département de mathématiques. Je suis responsable depuis 18 ans de la préparation au CAPES de mathématiques d'Orsay après avoir été pendant 15 ans responsable des préparations à l'agrégation des Ecoles Normales Supérieures de Sèvres, puis de la rue d'Ulm. J'ai créé et dirigé pendant 8 ans à Orsay une licence pluridisciplinaire pour la formation des professeurs des écoles. J'ai été membre de la Commission de Réflexion sur l'Enseignement des Mathématiques (commission Kahane), dans laquelle j'ai notamment coordonné le rapport sur la formation des maîtres1 |
Les textes sur lesquels je réagis
Je m'appuie sur les quelques textes dont nous disposons et d'abord sur le communiqué2 du conseil des ministres du 2 juillet 2008 :
La réforme du recrutement et de la formation des enseignants des premier et second degrés
Les enseignants devront justifier de l’obtention d’un diplôme de master pour pouvoir être recrutés à titre définitif à l’issue des nouveaux concours de recrutement. Tout étudiant inscrit en deuxième année de master ou ayant déjà validé celui-ci pourra donc se présenter aux nouveaux concours de recrutement.
Le principe de concours nationaux est réaffirmé pour le recrutement des enseignants. La distinction entre le CAPES et l’agrégation est maintenue. Les nouveaux concours comprendront trois types d’épreuves destinées à évaluer la culture disciplinaire, la capacité à planifier et organiser un enseignement et la connaissance du système éducatif.
Pour préparer les étudiants à leur futur métier, les universités proposeront des parcours de master qui devront comporter une prise de contact progressive et cohérente avec les métiers de l’enseignement. Elle pourra commencer au cours des études de licence et comprendre des stages d’observation et de pratique accompagnée en école, en collège et en lycée.
Dès leur première année d’exercice, les lauréats des nouveaux concours seront mis en situation d’enseignement à temps plein avec l’aide et le soutien de professeurs expérimentés. Des actions de formation spécifiques leur seront offertes en dehors du temps scolaire. A l’issue de cette année, le professeur fonctionnaire stagiaire pourra être titularisé après avoir été inspecté.
Cette réforme, qui entrera en vigueur pour une première session de concours en 2010, s’accompagnera d’une revalorisation des débuts de carrière des enseignants.
D'autres points
Voici d'autres points notés dans la dépêche AEF numéro 98404 (avant le communiqué précédent) et qui précisent certains points :
Le ministère de l'Éducation nationale, chargé de définir la maquette des concours, pourrait décider de ``distinguer dans le temps" admissibilité et admission. Les épreuves d'admissibilité interviendraient à la fin du premier semestre de M2 pour permettre aux étudiants qui échouent de valider leur master ``sans perdre un an dans la préparation des concours". L'admission se déroulerait en juin. Entre-temps, les étudiants qui le souhaitent auraient la possibilité d'effectuer des stages ``d'observation pratique" ou de ``pratique accompagnée". Les stages, facultatifs, ne devraient pas être évalués. Il s'agit de ne pas pénaliser des candidats issus d'autres formations. Le ministère pourrait proposer aux étudiants volontaires des stages tout au long du cursus ``à partir de la licence" pour découvrir l'Éducation nationale.
Et des citations de X. Darcos :
Cette masterisation va ``entraîner une hausse du niveau de qualification des maîtres et une revalorisation correspondante de leur début de carrière". Elle ``favorisera" aussi une ``harmonisation" européenne de la formation des maîtres, et évitera aux étudiants qui ont échoué aux concours de ``ne pas perdre leur année universitaire".
Une fois le recrutement passé, Xavier Darcos explique qu'il souhaite mettre en place un ``accompagnement renforcé à l'entrée dans le métier". Il sera confié à des ``professeurs expérimentés" selon des ``modalités souples et évolutives tout au long de l'année scolaire". Il compte enfin s'appuyer sur les universités et les IUFM pour ``renforcer" la formation continue des enseignants pendant les ``trois premières années de prise en fonction".
Ma réaction
Principe
Je dis tout de suite que je suis hostile, de A à Z, aux projets actuels. En effet, je pense que cette réforme implique pratiquement la disparition de la formation professionnelle des enseignants, qui va avoir des conséquences catastrophiques. Je suis convaincu qu'elle n'a d'autre motivation que le souci de faire des économies et qu'elle est facilitée par la campagne de dénigrement des IUFM qui l'a précédée. De plus, je considère que demander aux universités de produire avant la mi-octobre des projets de master, alors que l'architecture des concours ne sera connue qu'en décembre (aux dernières nouvelles), c'est se moquer du monde.
Le point fondamental : la formation professionnelle
Elle était jusque là confiée à la deuxième année d'IUFM, dans laquelle les étudiants, devenus professeurs stagiaires étaient payés comme des professeurs débutants et avaient un service de 8 heures3. Dans le projet, les collègues recrutés seraient directement mis avec un service entier (18 heures pour les certifiés, 15 pour les agrégés), la formation professionnelle étant confiée au compagnonnage et à des compléments hors temps scolaire.
C'est le point sur lequel je suis radicalement et définitivement hostile à cette réforme. En effet, le compagnonnage montrera bien vite ses limites et quant à imaginer de faire, à des professeurs débutants, en plus de leur service entier, une formation professionnelle, cela relève de la plaisanterie. Quiconque a vu la difficulté des stagiaires actuels pour gérer leurs classes, alors qu'ils n'ont que 8 heures de cours, sait que c'est impossible.
Certes, on nous dit que la formation professionnelle aura eu lieu avant, pendant les années de master, et je suis sûr que les universités feront ce qu'elles pourront4 pour ne pas envoyer sans aucune préparation les jeunes professeurs dans les classes. Il y a cependant de nombreuses objections :
- Les stages qui seront effectués pendant le master ne seront pas des stages en responsabilité. L'un des textes cités plus haut parle de stage de pratique accompagnée, c'est-à -dire dans la classe d'un collègue. De fait, on n'imagine pas de confier une classe à quelqu'un qui ne serait pas rétribué, or, comme tout est fait pour faire des économies, cela ne sera sans doute pas le cas. De plus, si ces stages ont lieu avant le recrutement, il paraît difficile de confier des classes en responsabilité à tous les étudiants (disons sortant de licence), sans contrôle préalable de ce qu'ils sont capables de faire. Or, tous les formateurs s'accordent à dire que le stage en responsabilité est la clé de voûte de la formation, le seul où le jeune professeur est vraiment en situation d'apprendre son métier.
- Vu les dates annoncées des concours : fin du semestre 3 du master, pour l'écrit, fin du semestre 4 pour l'oral, ainsi que le fait (voir les textes ci-dessus) que les stages ne seraient pas évalués, ces stages pourraient difficilement avoir lieu dans la deuxième année de master car celle-ci devrait être consacrée essentiellement à la préparation du concours (surtout si la pression sur le nombre de postes reste forte, voire s'accentue). On peut bien proposer ce qu'on veut aux étudiants, cela sera peine perdue si cela ne leur permet pas de réussir le concours. La conséquence du point précédent c'est que les stages seront surtout en première année de master, ce qui me semble totalement absurde. En effet, sans l'appui d'une classe en responsabilité, avec un concours encore lointain, et sans la moindre assurance d'y être reçu, il est clair que l'investissement dans le stage ne sera pas comparable à ce qu'il est en seconde année d'IUFM.
- Il y a un public pour qui la réforme risque d'être une catastrophe lors de la première année de fonction, ce sont les agrégés5. En effet, dans leur cas, le master risque d'être purement mathématique, avec un concours qui restera nécessairement très difficile. On risque donc de les voir débarquer à temps plein dans une classe l'année suivante, sans la moindre préparation, avec un décalage immense entre le niveau du concours et celui de la classe. On me dira qu'autrefois, les agrégés n'avaient pas de formation pédagogique et qu'on leur confiait une classe aussitôt après le concours. Certes, mais le public n'était pas le même qu'à l'heure actuelle, et revenir 40 ans en arrière n'est pas obligatoirement un progrès.
Des craintes sur d'autres points
Les points suivants ne sont, pour l'instant, que des craintes que j'espère infondées.
- L'incertitude sur les concours alimente les bruits les plus divers. Pour ma part, s'agissant des mathématiques, j'espère qu'ils resteront assez proches de ce qu'ils sont actuellement, avec un écrit permettant le travail indispensable de consolidation des connaissances6 et un oral permettant de faire le lien entre les programmes des lycées et collèges et ceux de l'enseignement supérieur. En particulier, le maintien de l'épreuve sur dossier est essentiel.
- Pour quelqu'un qui, comme moi, a travaillé pendant 32 ans en préparation à l'agrégation et au CAPES, le pire serait la disparition des concours. Bien entendu, ce n'est pas évoqué actuellement, mais plusieurs raisons pourraient être avancées pour aller dans ce sens :
- L'harmonisation européenne, toujours invoquée pour aligner les choses sur les situations les plus défavorables.
- Le fait que le master donnera un diplôme qui permettra d'avoir un volant de professeurs vacataires ou contractuels7 .
- Le coût des concours, jugé exorbitant par certains.
- Une autre crainte concerne l'architecture des masters. En ce qui concerne les étudiants qui vont préparer le CAPES, il me semble clair que ces masters ne doivent en aucun cas être des copies de ceux qui existent à l'heure actuelle, qu'ils aient pour débouchés l'agrégation, la recherche ou l'ingéniérie mathématique. En effet, mon opinion est qu'il ne s'agit pas d'empiler de nouvelles connaissances sur le socle branlant des acquis de licence, mais bien plutôt de les réorganiser et de les repenser en fonction des nécessités de l'enseignement du second degré. Il faut donc bâtir de nouvelles formations, résolument professionnelles. Il n'est pas sûr que les universitaires soient prêts à prendre ce virage.
- On peut craindre aussi un tarissement du recrutement des professeurs. Dans les disciplines scientifiques, on constate déjà une nette diminution des effectifs. Cette tendance va être renforcée avec le passage au master. En effet, les étudiants des milieux les plus modestes auront beaucoup de mal à assumer financièrement 5 années d'études. Bien entendu, il faudrait pour compenser cela un système de bourses ou de pré-recrutements, mais peut-on l'espérer vraiment de ce gouvernement ?
- Enfin, je terminerai en pensant aux collègues, en poste à temps partagé dans le second degré, qui assurent les formations de seconde année d'IUFM. Bien sûr cette formation est critiquée, bien sûr elle n'est pas parfaite, mais c'est tout de même un progrès par rapport à l'état antérieur et surtout, c'est évidemment mieux que pas de formation du tout. Le devenir de ces collègues n'est pas du tout clair dans le nouveau système. Si leur compétence devait être perdue, je considérerais que c'est un gâchis sans nom.
1 On le trouve sur Internet en rentrant dans Google les mots-clés Commission Réflexion Enseignement Mathématiques.
2 Les passages en gras sont soulignés par mes soins.
3 Jusqu'à peu il était même de 6 heures
4 Mais en ont-elles toutes la capacité ? De ce point de vue, l'intégration de chaque IUFM dans une seule des universités de l'académie paraît contradictoire avec les mesures actuelles.
5 Déjà avec le système actuel, ils ont souvent plus de difficulté que les autres avec les élèves
6 Lorsque les présidents d'université affirment que le master peut à lui seul permettre de vérifier les connaissances disciplinaires, je me demande depuis combien de temps ils n'ont pas vu d'étudiants.
7 Comme le dit le ministre de la fonction publique : ... Notre débat sur les valeurs doit nous inviter à ne pas conclure systématiquement que service public induit nécessairement emploi public.