C. Houdement
Maître de conférences, IUFM de Rouen
« Le gouvernement a indiqué son intention de faire du master 2 un pré-requis pour le passage des concours de recrutements de professeurs du primaire. Cette réforme ne serait pas sans effets pédagogiques (sur la formation des enseignants), mais aussi professionnels et sociaux (sur le métier d'enseignant lui-même). Quelles en seraient, pour vous, les principales conséquences, et quelles actions pensez-vous nécessaires ou possibles? ». La précipitation dans laquelle s’engage la réforme de la formation des maîtres nous plonge dans la perplexité la plus profonde. Les annonces faites de son intérêt cachent en réalité un profond gaspillage des intelligences et des ressources. |
Rallonger la formation ? Non, supprimer le financement des études
C’est un leurre d’affirmer que la formation sera allongée : depuis 1991 les professeurs des écoles deviennent néo-titulaires en général 5 ans après le baccalauréat, la 4ème année les reçus au concours perçoivent un salaire de stagiaires. La réforme leur offre de devenir titulaires après le master 2, c’est-à -dire 5 ans près le baccalauréat mais sans salaire.
Ce changement éloignera de la profession les étudiants à ressources faibles.
Professionnaliser la formation ? Non, émietter les apports en formation initiale, supprimer la formation continue, prendre le risque de couper les formations des professeurs des écoles des articulations nécessaires au métier
Les IUFM ont pensé une telle articulation en construisant des dispositifs permettrant à des formateurs de sensibilité différente (professeurs des écoles, spécialistes de la discipline et de sa didactique, enseignants chercheurs) de conjuguer leurs conseils aux débutants et de dispenser des séances de formation. Tout n’est pas parfait, pourtant dans les circonscriptions les inspecteurs apprécient globalement les nouveaux recrutés et leur aptitude à conduire la classe dès leurs débuts dans le métier.
Le reproche global fait aux IUFM concerne un défaut d’articulation théorie pratique ; est ce pour y remédier qu’on préconise de couper la formation théorique de la réalité du métier en juxtaposant des institutions différentes : compagnonnage dans l’école, formation dans des mastères qui n’auront pas le temps d’être réfléchis faute de temps ?
Quelle garantie peut on avoir qu’un compagnonnage même bien vécu arme pour des classes très différentes, sans analyse de ce qui permet la réussite de l’apprentissage ou son échec ? Il faut distinguer le compagnonnage de l’accompagnement exercé, notamment lors des stages en responsabilité des stagiaires PE2, par les formateurs qui aident le stagiaire à analyser capacités d’enseignement et techniques pédagogiques.
Les stages en responsabilité des stagiaires professeurs permettaient qu’ils expérimentent des projets et adaptent leurs connaissances à la contingence du métier, mais aussi que les professeurs des écoles titulaires qu’ils remplaçaient bénéficient de formation continue. Les inspecteurs et cadres du terrain ont de tout temps insisté, pour le développement de la professionnalité, sur la nécessité de la confrontation entre pairs sur des questions professionnelles avec l’accompagnement de spécialistes. Pourquoi rompre cet équilibre entre formation initiale et continue qui n’a pas démérité ?
Aider à la polyvalence ? Non, considérer qu’elle est transparente
Ce n’est même pas à l’ordre du jour : l’idée que les professeurs des écoles ont d’abord à enrichir leur propres connaissances dans les domaines moins surs pour être aptes à les enseigner ne semble pas pris en compte. La seule école interne actuellement où peut s’élaborer une telle synergie par le rassemblement de formateurs spécialistes de disciplines différentes et maîtres formateurs garants de la polyvalence est l’IUFM. Ouvrir les mastères d’enseignement à la concurrence consiste à déshabiller une école professionnelle.
Former dans chaque discipline
Prenons l’exemple des mathématiques. Peu de stagiaires ayant réussi le concours sont à l’aise avec les mathématiques, même avec celles du collège ; l’année de préparation au concours voit l’étudiant accumuler sur un temps court un grand nombre de connaissances dans diverses disciplines : c’est souvent une année de bachotage qui ne permet pas de réellement capitaliser le travail fourni, faute de temps pour le questionner. Même un étudiant à l’aise avec les mathématiques doit ré-interrroger le fonctionnement de ses connaissances mathématiques, s’intéresser à l’onto-genèse et à la phylogenèse, s’apprêter à les transformer et les enrichir pour les enseigner. Il existe des mathématiques pour le professeur (rapport de la CREM 2003*, Cirade 2006**), nécessaires pour comprendre les programmes, les relativiser, les mettre en leçons, s’adapter aux connaissances des élèves, les faire évoluer vers le savoir visé, dont le mathématicien non impliqué dans la formation ne perçoit ni l’existence, ni l’utilité.
Les savoirs disciplinaires ne peuvent être dissociés de savoirs didactiques, ces deux types de savoirs se nourrissent de questions liées à l’enseignement, ces questions sont cruciales pour celui qui est chargé d’un enseignement effectif. La formation professionnelle ne peut être détachée d’une entrée même partielle dans la profession.
Définir des concours adaptés
Des épreuves de concours pourraient elles contribuer à minimiser ces effets pervers ? Sur le plan pratique, la conjoncture ne va pas dans ce sens. Les programmes 2008 du primaire ont été écrits par une commission occulte qui, par souci d’économie d’écriture et sous prétexte de simplification, ouvre des boulevards d’ambiguïté, là où les programmes 2002 et leurs documents d’accompagnement divers tentaient un effort d’explicitation maximale, d’ailleurs globalement apprécié par tous les cadres de l’enseignement primaire. Pourquoi les contenus du concours ne suivraient ils pas la même voie ?
Tel quel l’argumentaire pourrait faire croire que la conception actuelle de la formation de professeurs des écoles est exempte de défauts. Tel n’est pas le cas, mais pourquoi rompre des équilibres, déjà fragilisés par les atteintes successives à la professionnalité, au lieu de consolider les points d’appui, revoir les faiblesses en y associant les partenaires sociaux, mais aussi les associations de chercheurs en éducation disciplinaire et générale ? L’avenir de l’école et de la formation de ses acteurs et cadres ne peut être régi uniquement par la recherche d’un coût minimum. Une réforme dont la seule ligne directrice est faire des économies immédiates risque de coûter cher à l’éducation de la nation.
* La formation des maîtres du premier degré en mathématiques dans Formation des maitres (2003) en ligne (consulté le 6/10/2008)
** Cirade, G. (2006). Devenir professeur de mathématiques : entre problèmes de la profession et formation en IUFM. Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille 1