Forum sur la question
« Qu'est-ce que la recherche apporte » me parait une question biaisée. Les recherches les plus sérieuses, dans des domaines comme la cognition ou l'histoire, apportent des éléments de réflexion. Les études, type études de la CIEM, sur des sujets parvenus à maturité, apportent l'état des questions et des options pour un changement. Les résultats immédiats peuvent être décevants : je pense à la première étude de la CIEM, sur l'influence des ordinateurs et de l'informatique, pleine d'idées encore à exploiter.
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Pour aller dans le sens d'A. Mercier, je dirai qu'effectivement une des influences que les idées de la recherche sur l'enseignement des mathématiques ont peut-être eues sur les pratiques des enseignants (encore que la noosphère en est tout aussi responsable) est cette "nécessité" de faire des problèmes, des activités. C'est bien sûr d'une part très pauvre quand on connaît l'ensemble des recherches qui existent et c'est aussi très dangereux, quand on voit les dégâts que cela occasionne (inutile de s'étendre, tout ceux qui vont dans les classes le savent). Pour tempérer le "hélas" d'A. Mercier, je pense qu'heureusement, la formation (et surtout la formation initiale) peut être un moyen de mieux faire passer les idées de la recherche sur l'enseignement des mathématiques. On ne peut pas espérer qu'elles passeront toutes seules par une sorte d'osmose. Ce qui passe, ce ne sont que de grandes lignes souvent dénaturées. La formation est vraiment le terrain où les idées peuvent s'ancrer dans un discours et une pratique de formation, où l'on, peut espérer des influences à long terme qui ne soient pas détournées ou déformées. Je sais en disant cela que je fais sûrement preuve de trop d'optimisme, mais il faut y croire, surtout en ces temps où les IUFM sont tant mis à mal.
Une référence pour voir dans la pratique sur un exemple ce qui peut se passer : Houdement C. et Kuzniak A. (2000) Formation des maîtres et paradigmes géométriques, Recherches en didactique des mathématiques, 20. 1. p. 89-116.
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Je suis assez d'accord avec Alain Mercier, pour 4 raisons :
1) il y a un manque de "vulgarisation" des résultats de la recherche en didactique ; les utilisateurs ne connaissent pas ces résultats, et, du coup, on se base plus sur des points de vue idéologiques que sur des résultats "scientifiques". Une façon de changer cette situation serait de créer une revue de vulgarisation des résultats de la recherche, sur le modèle de la revue de l'INED "Populations et sociétés" (voir http://www.ined.fr/publications/pop_et_soc/).
2) les questions "pédagogiques" ne se posent plus qu'à la base ; les processus de décision en font complètement l'économie. Plus précisément : il y a 20 ans, quand on changeait un diplôme, on se demandait ce qu'on allait y enseigner, et comment. Aujourd'hui, on se demande combien on va attribuer de crédits ECTS, et en combien de morceaux on va découper cet enseignement. Le pédagogique a disparu au profit de l'administratif.
3) la didactique actuelle, à ma connaissance, ne tient aucun compte de tout un côté des sciences cognitives (différence des accès visuels/auditifs/kinesthésiques, processus de motivation des élèves, PNL) qui m'a beaucoup aidé ces dernières années dans la préparation et le déroulement de mes cours.
4) la didactique ne parle pas de nombreuses questions très pratiques qui se posent dans l'organisation des enseignements. Par exemple : faut-il mieux faire du cours intégré, ou du cours/TD ? Le morcellement des enseignements (au lycée ou à la fac) est-il mauvais ? Est-il nocif d'avoir 10 enseignants de mathématiques différents sur une année, comme cela arrive souvent en première année d'université ? Y a-t-il un bon usage de l'interdisciplinarité ? Quel est l'intérêt, et, s'il y en a un, quelle est la bonne façon de motiver une notion ? Y a-t-il des pratiques plus efficaces en ce qui concerne les devoirs, les partiels, les examens, les interrogations orales (j'aurais tendance à dire oui, en comparant les prépas et les facs, mais je ne connais pas d'études sur le sujet) ?
Les raisons 3) et 4) sont peut-être dues uniquement à mon ignorance ; mais comme je m'intéresse un peu au sujet, et que je lirais volontiers une publication accessible sur ces sujets, cela renforce la raison 1) (et montre la nécessité du site que nous voulons créer)
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A propos de la question : Quelles idées, issues de la recherche sur l'enseignement des mathématiques, ont exercé une grande influence sur les pratiques des enseignants depuis 10 ans ? et des réponses mises sur le forum MathEduc. La question me gêne avec ce délai temporel, depuis 10 ans, fixé. Je pense que la question mérite d'être travaillée, en particulier pour dire avec quels moyens on entend l'aborder et ce, afin de dépasser un simple débat d'opinion.
Personnellement je reformulerai la question de la manière suivante : je mets en parallèle les pratiques de recherches et les pratiques d'enseignements et je regarde si, à un moment donné, je puis répondre à la question : existe-t-il des idées qui traversent ces univers de pratiques, auxquelles leurs acteurs respectifs se réfèrent ? Et dans ces cas, entendent-ils la même chose ? Puis, comment les interprétations des uns se répercutent sur celles des autres ? Je pars du point de vue que ces références ne sont jamais exactement les mêmes chez les chercheurs et chez les divers acteurs de l'enseignement (le long de la chaîne transpositive) parce que les chercheurs sont tenus à se référer à des théories, dans le but de comprendre et d'expliquer, alors que les références dans l'enseignement sont surtout doctrinales. Ici, je ne mets aucune connotation péjorative dans cet adjectif, je veux simplement rappeler que dans la sphère d'enseignement, la visée est d'abord l'action et la transformation, et que si la compréhension est toujours révisable, l’action elle, est à jamais irréversible.
Cette manière de poser le problème me convient, parce qu'elle permet d'éviter pas mal de jeux de mots, comme celui de situation-problème, ainsi que A. Mercier nous le rappelle effectivement. Ainsi donc les idées de situation ou de problème sont vives dans les deux univers de pratiques, cela me semble indéniable.
Par contre, cela date de bien plus que 10 ans, on trouve une référence aiu terme situation en 1942 déjà chez le psychologue H. Wallon ("L’objet de la psychologie peut être, au lieu de l’individu, une situation." in De l'acte à la pensée, Flammarion, Paris) et sans doute encore bien plus tôt (je serais étonné qu'on ne trouve pas ce terme chez E. Husserl) tandis que dans un manuel Suisse romande de 1942 lui aussi (Gonseth & Gagnebin, Eléments de géométrie, Payot 1942, p. 162), on trouve une fiche intitulée : Comment chercher la solution ? par M. le prof G. Polya, décrivant le schéma que ce dernier popularisera dans How to solve it (cela date bien sûr du passage de Polya à l'ETH de Zürich). Ce qui frappe ici est alors la longévité de ces idées, ce qui suppose qu'elles sont régulièrement relancées, réinterprétées et pour m'en tenir aux deux univers de pratiques des chercheurs et des enseignants, je ferais l'hypothèse que les deux mondes se relancent la balle, peut-être dans une sorte de ping-pong.
Il y a bien entendu des moments de nouveauté, ainsi l'arrivée de la proposition d'établir une théorie des situations (TDS) soutenue par une modélisation s'inspirant de la théorie des jeux. Pour moi, cela marque un passage important puisqu'on ne peut pas faire la théorie d'une idée seulement, que le terme situation désigne pour la TSD son objet. Le terme prend alors un tout autre statut. Ailleurs et à d'autres moments on trouve des tendances comparables avec l'idée de micro-monde ou encore celle de situated learning qui témoignent d'un enrichissement très grand du concept lié au mot situation.
Les autres chercheurs restent bien entendu libres de rallier ces points de vue théoriques. Ainsi, par exemple, la théorie des champs conceptuels (TCC) n'a pas fait du mot situation un de ses objets. Par contre, elle a bien marqué au centre de ses propos qu'elle tenait à l'idée de situation : ainsi Vergnaud a proposé de parler d'interactions sujet-situation, là où Piaget parlait interactions sujet-objet, et Vergnaud, toujours, a introduit un formalisme dans lequel le terme concept réfère aux situations, et a fait de la double correspondance (à une situation plusieurs concepts, à un concept plusieurs situations) le fondement de son objet : les champs conceptuels. Ainsi la TCC tente d'établir des correspondances entres les découpages catégoriels relatifs tantôt aux schèmes, aux situations et aux concepts. Pourtant, malgré la place importante que le terme de situation a dans la TCC, celle-ci s'y réfère fort différemment de l'usage qu'en fait la TDS.
De même Chevallard, dans le chapitre 8 de La transpositon didactique (1ère ed. 1985, Grenoble, La Pensée Sauvage), a placé le savoir scientifique en moyen terme d’une opposition de deux régimes de couplage entre énoncés et situations : « Le savoir scientifique se pose comme maîtrise de la dialectique entre énoncés et situations (dialectique qui suppose à la fois l'autonomisation des énoncés par rapport aux situations, ce qui l'oppose au statut de la préconstruction, et la mise en relation pertinente des énoncés et des situations, ce qui l'oppose à l'algorithmisation . »
Il y a donc eu, autour du terme situation, de forts remous dans la sphère de la recherche et cela a marqué les pratiques d'enseignement, ou du moins les propos et les discours tenus sur ces dernières. Ceci s'est fait de manière plus ou moins superficielle certes, mais nécessairement accommodée aux conditions mêmes de ces pratiques, et le plus souvent interprétée sur un mode prescriptif non dénué de manichéisme.
Je proposerais donc quant à moi qu'on se donne des outils pour faire le traçage des idées dans les univers de pratiques de recherches et d'enseignements.
Bien entendu d'autres idées sont intéressantes à examiner comme celle de tâche, qui ayant bien fixé dans l'univers de la psychologie du travail a passé sur la rive des pratiques d'enseignements, puis qui a trouvé une niche originale chez les chercheurs, dans la théorie anthropologique (TA). Tout comme la TCC avait dû faire une place au terme de situation et préciser comment elle entendait faire usage de ce terme, la TDS s'est prononcée sur le terme de tâche. Je vous renvoie sur ce point à un texte intéressant de G. Brousseau que vous trouverez sur le site de la Société Suisse pour la Recherche en Didactique des Mathématiques (SSRDM), intitulé : Tâche, situation, activité, à l'adresse : www.ssrdm.ch sous la rubrique actualités.
Une autre idée qui fait florès est celle d'une nouvelle approche des questions sémiotiques dans l'enseignement des mathématiques, instruments et registres sémiotiques, avec les nuances que l'on peut y voir lorsque Y. Chevallard parlait à une époque d'information ostensive, puis d'ostensifs alors que la TSD préfère parler, quant à elle, d'ostention plus ou moins déguisée dans les situations. Et voilà ainsi relancée, surtout avec les idées relatives aux jeux inter et intra registres sémiotiques, la très antique question de mathématiques et langage.
En passant et puisque nous discutons ici d'idées (issues de la recherche sur l'enseignement des maths), indiquons qu'un des premiers articles de didactique que Y. Chavallard ait publié (1980) s'intitule : Mathématiques, langage, enseignement : la réforme des années soixante (in revue Recherche N° 41 La politique de l'ignorance, septembre 1980, Paris) et que l'auteur tente de nous faire toucher à une idée mathématique, une idée issue de la recherche en mathématiques qui a eu une grande influence en son temps, en l'occurrence celle de De Moivre pour résoudre le problème des fréquences des scores cumulés dans un jet de n dé à r faces. Ici, je ne puis me retenir d'une citation de Y. Chavallard :
Entre problèmes et outils, il est bon de glisser un troisième terme : les idées - le mathématicien a des idées, des idées d'attaque de problèmes, qui se posent. Un outil est une idée matérialisée, une idée descendue du ciel des rêveries fécondes, réifiée sur la terre du formalisme mathématique. C'est pourquoi comme l'écrivait Bachelard : "il faut rompre avec ce poncif cher aux philosophes sceptiques qui ne veulent voir dans les mathématiques qu'un langage. Au contraire la mathématique est une pensée, une pensée sûre de son langage" ( In L'activité rationaliste de la physique contemporaine, PUF paris 1951.) fin de citation.
Je plaide donc pour dévier la question de l'influence des idées récentes issues des pratiques de recherche sur les pratiques d'enseignement, sur une autre : plutôt que de chercher à filtrer parmi toutes les idées celles qui semblent s'imposer à une époque récente (ces 10 dernières années), je préfère m'employer à tracer les idées fortes. Celles qui importent ont la vie dure et rebondissent. Comme nous l'avons aussi entrevu, ce simple traçage nous fait rencontrer d'autres idées tout aussi importantes qui viennent la croiser. Que notre collègue K. Ruthven se rassure, je trouve essentiel que nous le fassions en suivant les traces de ces idées sur chacune des rives que sont d'une part les pratiques d'enseignements et de l'autre les pratiques de recherches.
Ma réaction sur la question de Kenneth Ruthven est dans la même direction que celle de Carl Winslow. En effet, les réponses dépendent largement de la situation et de la culture locales. Dans mon cas, les Pays-Bas, je dirais que l’idée qui a le plus influencé l’enseignement depuis 20 ans, au niveau primaire comme au niveau secondaire, est la théorie de ‘Realistic Mathematics Education’ (RME). La majorité des manuels scolaires en Hollande actuellement disent se baser sur des principes ‘réalistes’.
Ceci dit, il faut constater que l’élaboration de ces idées est souvent assez limitée et ‘plate’, si on considère que les principes RME sont plus subtils que ‘commencer la tâche avec une histoire de la vie quotidienne’ et ont beaucoup en commun avec les points que Carl nomme.
Bref, les idées de RME ont beaucoup influencé l’enseignement des mathématiques aux Pays-Bas, mais il y a encore du travail à faire !
Une référence sur RME en Hollande, surtout dans l’enseignement primaire : Van den Heuvel-Panhuizen, M. (2000). Mathematics education in the Netherlands: A guided tour. Available on www.fi.uu.nl/en/, click on ‘about the Freudenthal Institute and RME’ and on ‘Realistic mathematics education’.
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Au Brésil, quelques idées, issues de la recherche, ont influencé l´organisation des programmes nationaux pour les enseignants de mathématiques à l´Ã©cole secondaire. Ce sont les idées sur la résolution des problémes, sur la formation des concepts, sur l´analyse des erreurs, l’utilisation de technologies et aussi des études sur des sujets spécifiques comme par exemple l’enseignement de la geométrie et des nombres. D’autres idées, comme par exemple celles relatives à la formation des maîtres de mathématiques, ont été aussi prises en compte. Mais, pour cela, il a fallu des grands efforts de la Societé Bresiliénne de l´Education Mathématique. Les masters et doctorats en Education Mathématique ont été les principaux responsables pour faire arriver les résultats des recherches dans la pratique des enseignants
Aujourd´hui nous pouvons constater que, si des idées et des résultats de la recherche ont influencé l´enseignement au niveau des écoles primaires et secondaires, en revanche ces influences ont été peu sensibles dans l’enseignement supérieur (bien qu´il y ait eu des recherches produites au Brésil sur les sujets plus avancés, en analyse et en algebre lineaire par exemple). A ce niveau, les actions entreprises sont à la charge individuelle des professeurs motivés pour l´amélioration de l´enseignement.
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Finalement CW et AM ont plutôt une réponse négative quant à l’impact direct des idées de la recherche sur les pratiques des enseignants, …ce qui paraît rassurant à plus d’un égard, les objectifs de la recherche ne sont pas ceux des enseignants dans leur pratique quotidienne. La question me paraît trop tranchée pour avoir une réponse définitivement positive.
Du coup,on peut risquer une question encore plus abrupte : le monde des idées de la recherche et celui de l’enseignement seraient-ils étanches ? Evidemment non ! La création de MathEduc en est un exemple éclatant. Des phénomènes d’osmose ont lieu, mais probablement par petites touches sur le plan des pratiques et après de multiples transformations, dues aux individus ou aux institutions. Il est indéniable que certaines idées du monde de la recherche sont passées dans les programmes, dans les documents d’accompagnement en France, dans les manuels, mais de façon discrète sur des notions ou domaines des mathématiques donnés, sur des dispositifs de travail des élèves, sur le choix de tâches. Dans l’autre sens, les recherches ont entrepris depuis quelques années de porter leur attention aux classes ordinaires pour essayer de rendre compte de leur fonctionnement avec des outils théoriques. Mais les classes observées ne représentent qu’une infime partie des classes réelles. Les deux mondes ne sont pas étanches, mais les mécanismes de passage des idées de l’un à l’autre sont subtils, difficiles à cerner, même si les lieux et des institutions d’échange de transformation des idées existent.
Le mot de la fin
Celui qui pose une question a souvent en tête une idée de la réponse. Alors, je me tourne vers KR : Quelles idées issues de la recherche souhaiterait-il voir exercer une grande influence sur les pratiques des enseignants depuis 10 ans ?
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Cette question me fait immédiatement rebondir sur une autre : que regarde-t-on pour obtenir des éléments de réponse à cette question ? Pour voir simultanément ce qui aurait changé dans les pratiques et en relation avec quoi ?
Dans les études internationales1, il est d’usage de distinguer trois aspects du curriculum :
- le curriculum souhaité (intended curriculum),
- le curriculum réel (implemented curriculum),
- les effets du curriculum (achieved curriculum).
Ce à quoi peut s’ajouter le curriculum disponible (available curriculum), pour désigner l'ensemble des moyens mis à la disposition des maîtres (manuels, documents pédagogiques, résultats de recherches, formation initiale et continuée…). Il s’agit là de quatre registres qu'il importe de ne pas confondre. Ce qui n’est pas toujours le cas…..
Le dernier registre n’est pas questionné par l’interrogation de départ.
Pour traiter la question posée, je me limiterai là à la France je me placerai sur deux registres : curriculum souhaité et curriculum disponible, que je revisiterai sous la forme :
(1) curricula officiels obligatoires, expressions « dures » du curriculum souhaité ;
(2) accompagnements officiels des curricula, en général conseillés, expressions « plus molles » du curriculum souhaité ;
(3) outils pédagogiques usuels : manuels…. : appropriation par la noosphère des textes précédents et d’éventuelles autres effets (idées de la recherche, mais aussi dans les pays qui ont une politique commerciale sur les manuels, volonté de « plaire »2…).
Je travaille sous l’hypothèse suivante : l’intégration d’idées de la recherche sur l’enseignement des mathématiques dans les trois premiers niveaux est à lire, non comme une garantie, mais plutôt comme un signe de velléité de changement dans les pratiques des enseignants.
Le niveau (1) laisse souvent le lecteur sur sa fin dans la mesure où l’exigence de brièveté des écrits curriculaires posés comme obligation à l’institution laisse peu de place à autre chose qu’une liste de contenus, non ordonnée. Cette brièveté assure aussi des lectures multiples, en accord avec les conceptions didactiques effectives des lecteurs. Seul l’expert didacticien peut éventuellement lire dans la liste de compétences associées les traces d’une culture didactique.
Le niveau (2) est plus parlant, car plus prolixe et en général, pour les besoins de l’explicitation, enclin à développer davantage les aspects nouveaux ou peu classiques des programmes, ceux sur lesquels les pratiques des enseignants ne seraient pas ce qu’elles devraient être. C’est donc là qu’il est raisonnable de déceler les idées didactiques marquantes.
Plus ces documents sont développés, plus ils contiennent potentiellement la trace d’idées de recherches sur l’enseignement. Les recherches pourraient alors porter sur les niveaux prétextes à une grande littérature d’accompagnement. Quelle pourrait la raison de cette littérature prolixe ?
Je fonctionne donc avec une seconde hypothèse de travail : la noosphère actuelle veille à fournir la littérature d’accompagnement la plus abondante aux enseignants dont la culture mathématique est la plus défaillante, de façon à assurer a minima une base commune : elle concernera donc les enseignants des écoles a priori non spécialistes de mathématiques et les enseignants de mathématiques sur de thèmes « novateurs » (comme les statistiques en lycée à partir de 2002). A priori le niveau (2) ne pourra donc nous fournir des éléments de réponse objective que pour ces deux cas.
Effectivement on peut ainsi trouver trace dans, par exemple les programmes français de mathématiques (1) et les documents d’accompagnement (2) pour le primaire, de propositions issues de la recherche : rôle des problèmes dans les apprentissages (depuis les programmes 1977), champs conceptuels de Vergnaud (structures additives et multiplicatives) et connaissances spatiales (Berthelot Salin) dans les programmes 2002….
Le niveau (3) ne peut livrer ces conclusions qu’après une étude fine : en effet il n’est pas usuel d’expliciter les choix didactiques dans le manuel de l’élève, même par exemple de défendre un ordre des différents moments de l’étude, au sens de Chevallard. Dans le manuel, le professeur pioche des problèmes et une institutionnalisation au gré de la progression qu’il souhaite suivre. Seul un éventuel manuel de l’enseignant peut donc nous apporter des informations. De tels ouvrages sont peu fréquents, hors de l’école primaire. Ce qui limite notre étude.
En conclusion, en l’absence d’explicitation précisant ce qui guide les diverses propositions d’activités, il semble réellement difficile de savoir si et quelles idées de la recherche ont influencé les pratiques, notamment à cause d’un effet de dilution….
Par contre il serait sans doute plus possible d’étudier en quoi les idées issues de la recherche sur l’enseignement ont influencé la formation, suite à la disponibilité d’écrits. Mais là d’autres chercheurs (Robert et al) nous l’ont montré, cette influence de la recherche dans la formation n’est pas non plus garante d’une influence dans les pratiques effectives.
Références
Berthelot R., Salin M.H. (1995) Savoirs et connaissances dans l'enseignement de la géométrie. In Différents types de savoirs et leur articulation, 187-204. Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions
Chevallard Y. (1999) L’analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique. Recherches en didactique des mathématiques 19/2. 221-266
Masselot P. (2001) De la formation initiale en didactique des mathématiques (en centre IUFM) aux pratiques quotidiennes, en mathématiques, en classe, des Professeurs d’École (une étude de cas). Thèse de l’Université de Paris 7.
Robert A., Rogalski J. (2002) Le système complexe et cohérent des pratiques des enseignants de mathématiques : une double approche. Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies.
Vergnaud G. (1990) La théorie des champs conceptuels. Recherches en Didactique des Mathématiques. 10/2.3. 133-170.
Vergnes D. (2001) Les effets d’un stage de formation en géométrie. Recherches en didactique des mathématiques 21/1-2.99-122
La réponse d'Alain Mercier me laisse perplexe, car il ne me semble pas qu'elle corresponde à ce que l'on attend sur un forum de ce type. Elle est très allusive en plusieurs endroits, si bien qu'il est difficile pour un lecteur non averti de comprendre les enjeux de ce qui est présenté ; elle oppose des aspects des travaux de didactique qui selon moi n'ont pas lieu d'être ; elle semble opposer innovateurs, mathématiciens militants et chercheurs, alors qu'il me semble que l'enjeu du forum est de développer des interactions entre ces différentes catégories ; elle ne fournit aucune référence en appui aux dires de l'auteur, qui sont sur certains points discutables comme par exemple la dernière phrase du deuxième élément de réponse en ce qui concerne le dernier paragraphe, et finalement. Je pense qu’Alain a répondu très vite, mais cela pose me semble-t-il la question très délicate de la modération d'un tel forum. Je n'ai pas les idées très claires à ce sujet, mais je pense qu'il faudrait éviter que ce dispositif ne se referme sur des controverses entre spécialistes n'intéressant qu'un tout petit nombre d'utilisateurs du site.
1) En réponse a la question de Kenneth Ruthven"
Dans la question de Kenneth Ruthven, j'observe deux questions :
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Y a-t-il eu des changements sérieux dans l'enseignement mathématique dans ces dix dernières années ?
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Quels sont les effets de la recherche sur l'enseignement des mathématiques sur les pratiques des enseignants depuis dix ans?
Essayant de répondre à la première question, il me semble que les grands changements dans l'enseignement mathématique sont nettement plus lents que les changements dans les autres domaines. Regardons par exemple le travail dans un environnement instrumenté : les mathématiciens professionnels et les ingénieurs sont prêts à payer le prix exigé pour apprendre à utiliser les logiciels de façon effective. Ils savent aussi que ces instruments ont changé leurs pratiques mathématiques et, pour certains, même la 'problématique" de leur travail mathématique (Artigue, 2002). La nécessite de recherche liée au développement des logiciels de calcul formel est reconnue comme une partie de la recherche mathématique, mais ce n'est pas encore le cas dans le domaine de l'éducation mathématique. Les "mathématiques expérimentales" ont trouvé leur fonctionnement dans la recherche mathématique en développant un domaine tant technique que théorique, mais du côté de l'enseignement, les mathématiques expérimentales restent plus problématiques (Lagrange, 2000). Les travaux actuels en cours, la recherche théorique accompagnée de ressources d'enseignement développées dans le contexte de la recherche théorique changeront l'image actuelle, mais ceci prendra le temps nécessaire.
References
Artigue, M. (2002). Learning Mathematics in a CAS environment: The genesis of a reflection about instrumentation and the dialectics between technical and conceptual work, International Journal of Computers for Mathematical Learning 7, 245-274.
Lagrange, J.B. (2000). L’intégration des instruments informatiques dans l’enseignement : une approche par les techniques. Educational Studies in Mathematics 43, (1), 1-30.
2) Pour aller dans le sens de Carl Winslow
L'influence par l'usage dans l'école de méthodes et de ressources d'enseignement développées dans un contexte de recherche est importante. Carl Winslow cite en France les IREM. En Israël, le groupe d'éducation mathématique dans l'institut Weizmann offre des situations de travail pour les élèves. Ces activités sont reliées directement aux travaux de recherche du département. Les enseignants ont aussi besoin d'être suivis et "soutenus" dans leur bonne volonté d'appliquer les dispositifs issus de la recherche et de réaliser ces situations de travail dans leur conditions locales. A mon avis, ce serait important de faire participer les enseignants en leur faisant connaître les résultats de la recherche sur l'efficacité des dispositifs. Un certain contact (par l'intermédiaire d'un site comme le notre !) entre chercheurs et enseignants pourrait améliorer les effets réels de telle recherche. Cette nécessité de collaboration entre enseignants et chercheurs a d'ailleurs été soulignée par Jaworski (2003). Une importante question est discutée: Est-ce que la pratique façonne la théorie ou bien est-ce la théorie qui influence la pratique qui existe ?
La question si l'on peut vraiment réaliser une intégration réelle de "théorie" et "pratique" est aussi discutée dans
http://www.dm.unipi.it/~didattica/CERME3/proceedings/Groups/TG11/TG11_introduction_cerme3.html
Jaworski, B.(2003). Inquiry as a pervasive pedagogic process in mathematics education development
3) En réponse a la question de Kenneth Ruthven et en utilisant les mots d'Alain Mercier sur l'idée naïve des mathématiciens qui pensent l'enseignement sans passer par l'effort de la recherche"
J'aimerais considérer un cas très particulier, mais qui souligne l'importance de la collaboration entre mathématiciens et chercheurs dans l'enseignement mathématique. Un excellent exemple est procuré dans Edwards & Ward (2004) dans un article appelé "Surprises dans la recherche en éducation mathématique" et qui décrit la façon dont les étudiants utilisent ou plus exactement n'utilisent pas les définitions mathématiques. Ward, un pur mathématicien a rencontré Edwards dont la recherche est en éducation mathématique. Edwards a décrit à Ward sa recherche dans laquelle les étudiants (en première année d'université) avaient du mal à comprendre et utiliser les définitions formelles en analyse. La réaction intuitive de Ward était que les difficultés étaient caractéristiques de l'analyse, et qu'en algèbre la situation serait différente. Edwards et Ward ont coopéré et ont observé ensemble les difficultés des étudiants et la façon dont ils utilisent les définitions dans un cours d'algèbre enseigné par Ward. L'influence de la recherche sur l'enseignement de Ward est aussi décrite dans l'article.
Edwards, B. & Ward, M. (2004). Surprises from mathematics education research: Student (mis)use of mathematical definitions, American Mathematical monthly, May 2004
1 Bodin (2002) Note préparatoire au colloque Paris La Sorbonne 2002 : Qu’enseigne-t-on aujourd’hui en mathématiques dans les écoles élémentaires d’Europe et que pourrait-on y enseigner ? »
2 Ce qui n’est pas le cas dans les pays qui fonctionnent avec des agréments donnés aux manuels sélectionnés comme étant le plus en accord avec l’attendu ministériel (et distribués alors gratuitement)
Réponse d'Alain Mercier |
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Réponse de Carl Winslow |
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Conclusion de Kenneth Ruthven |