Réponse d'A. Mercier
INRP, France
Un premier élément de réponse à argumenter, c'est-à -dire à laquelle on peut apporter des matériaux : pourquoi peut-on déclarer a priori qu'aucune idée issue de la recherche n'a eu d'influence?
Je dirais en me reprenant, "une idée a peut-être eu de l'influence hélas, c’est l'idée que faire des mathématiques c'est résoudre des problèmes" ; car de fait, il y a une idée, celle de "situations-problèmes", qui ne vient pas directement de la recherche, même si elle y trouve peut-être son origine. Que donne sur ce point une enquête rapide, de mémoire ?
Je ne suis pas sûr de l'origine de la définition de l'activité mathématique comme "résolution de problèmes" : je ne crois pas qu'elle vienne vraiment de la recherche sur l'enseignement des mathématiques même si elle vient de ce que l'on appelle avec un peu d'ironie "la noosphère" (la sphère des gens qui pensent) et si elle a traversé aussi le monde des chercheurs. En revanche il semble qu'elle se soit métissée avec la notion de situation pour devenir cet objet hybride : la situation-problème, qui est pour moi une sorte de carpe-lapin. Dans mes souvenirs, c'est l'IREM de Lyon qui en est porteur initial, avec Mante et Charnay, qui ne sont pas des chercheurs mais des innovateurs noosphériens types. Ils travaillaient autour de Arsac. Bien que Arsac lui-même ne l'ait jamais défendue en recherche, il a édité avec l'IREM un opuscule au moins sur les problèmes pour les élèves. Et puis, c'est là que l'on trouve toujours aujourd'hui des gens pour travailler sur "le problème long". Mais en y revenant, voilà qu'il me revient que Glaeser était le défenseur acharné d'un enseignement "par les problèmes" avec "le livre des problèmes" et son travail pour la préparation au CAPES ; et cela renvoie à Polya et aux tentatives de définir une METHODE de résolution des problèmes ou au moins un classement de problèmes selon les méthodes... Il y a là tout un débat autour de la réforme des mathématiques modernes qui avait un slogan transposé pour le primaire avec le "agir pour abstraire" de Diénes et Picard. Ainsi, l'idée en question viendrait non pas de la recherche mais des mathématiciens militants, ceux-là même qui se retourneront scandalisés contre la théorie de la transposition didactique qui dit que ce processus perd en route justement... les problèmes... et qui le montre systématiquement au terme des diverses recherches que la didactique entreprend ! Bref, elle serait donc justement l'idée naïve des mathématiciens qui pensent l'enseignement sans passer par l'effort de recherche.
Quoi qu'il en soit, les idées issues de la recherche qui ont eu une grande influence, s'il y en a auxquelles je n'ai pas pensé, ne sont plus les idées d'origine, elles ont dû s'allier à d'autres idées circulant dans le corps social pour donner des idéologies qui, elles, organisent certaines pratiques (Latour, 1996 ; Derouet et Martinand).
Un deuxième élément de réponse à argumenter: Pourquoi ce "hélas" sur la question de "faire des problèmes" ?
Maintenant, j'expliquerai rapidement le qualificatif "hélas", mais je voudrais d'abord dire que selon moi, les autres idées qui ont peut-être eu de l'influence viennent de la psychologie ou d'ailleurs, comme celle selon laquelle "il ne faut pas" faire de cours magistraux (parce que les élèves ne sont pas actifs lorsqu'ils écoutent ou prennent des notes, puisqu'on ne peut observer ce qu'ils pensent) ou de celle selon laquelle "il faut" commencer par des activités et faire plus tard la synthèse des connaissances ainsi produites (ce qui est supposé venir de Piaget mais qui surtout permet officiellement de dire aux professeurs que l'on peut différentier l'enseignement : c'est bien utile lorsque l'on veut diminuer le taux de redoublement c'est-à -dire, faire sortir plus rapidement de l'école les élèves en difficulté).
Faire des mathématiques, c'est selon moi "pour apprendre comment résoudre des problèmes" (par avance, donc on étudie des classes de problèmes afin de savoir) et non pas "pour que les problèmes soient résolus" (un à un, donc on étudie les problèmes qui se présentent et on les résout comme on peut). Car, si pour apprendre comment résoudre des problèmes il faut en rencontrer, c'est dans le cadre d'une situation didactique qu'il faut le faire ; faute de quoi il n'y a pas de raison de progresser plus rapidement que le progrès historique. On comprend alors que le slogan de la "résolution de problèmes" permet de nier l'importance des conditions didactiques et de proposer, sous le prétexte qu'il a plus de sens, un enseignement qui ne s'adresse plus qu'aux rares élèves capables de tirer profit par eux-mêmes de leurs rencontres aléatoires.
Un troisième élément de réponse à argumenter: Pourquoi penser toujours que l'innovation vient de la recherche?
Il y a des RESULTATS issus de la recherche (voir par exemple, Mercier, 2005, La Revue Française de Pédagogie), mais ils ne sont pas exploitables directement par les professeurs. C'est que la recherche n'a pas pour enjeu immédiat la production de dispositifs efficaces en pratique, mais celle de résultats intéressants pour la connaissance.
Le travail technique permettant l'emploi des résultats de la recherche n'est pas pensé, dans notre système archaïque (politique) de "pilotage" du système d'enseignement. Et le terme d'ingénierie a eu des effets désastreux parce qu'il a pu laisser croire que les chercheurs avaient imaginé là des moyens d'enseignement, quand ils avaient produit des expériences afin de mieux connaître le fonctionnement du système d'enseignement !
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