Ajuster le tir
Réponse de Joël Briand à Rémi Brissiaud
Joël Briand est maître de conférences en mathématiques, IUFM d’Aquitaine, laboratoire DAEST, Univ. Bordeaux 2
Le 15 juin
J'ai lu attentivement les deux textes de Rémi Brissiaud : celui qui figure ici dans ce forum et celui qu'il recommande d'aller voir sur le site du céfé pédagogique. Je remarque que le texte du forum recentre les critiques sur les inflexions ministérielles, alors que le texte du café pédagogique s'attaque plutôt aux "incohérences des actuelles recommandations officielles et notamment des documents annexes aux programmes de 2002 (documents dits « d’application » et « d’accompagnement »)."
Ma réponse reprend celle que j'ai faite au premier texte de Rémi Brissiaud, celui du café pédagogique. J’ai
lu attentivement ce texte, je prendrai
plusieurs entrées, et que l’on m’excuse du côté un peu fouillis de
cette réponse rapide.
- Concernant la division, sa
conceptualisation consiste, d’après Brissiaud, en la reconnaissance
d’une équivalence d’opération entre la valeur d’une part et le nombre
de parts, ce que l’auteur rebaptise « groupements par n » et « partage
en n parts égales ». C’est effectivement une question d’importance qui
a été étudiée en son temps. Le texte de Brissiaud dénonce alors
l’absence de précision sur ce point dans les programmes 2002 tout en
signalant plus bas (page 25 ) que quelques lignes font état de cette
question dans le document d’accompagnement « école primaire », dont les
auteurs expliquent, page 5, la fonction complémentaire. On comprend
bien que ceux-ci ont été attentifs aux remarques et c’est, je pense,
une première que des documents ayant un caractère officiel tiennent
compte de réactions, précisent certains points, montrant ainsi que tout
ne se règle pas à coup de jugulaires. Je trouve donc regrettable que
l’auteur critique ces ouvrages alors même qu’il dénonce l’aspect
arbitraire de futures nouvelles décisions ministérielles.
Bien
sûr, il y a à redire : par exemple, ne pas fixer l’algorithme de la
division en milieu de CM1 était une erreur de programmation. Mais ces
ajustements peuvent encore se faire et pourquoi pas dans un document
d’accompagnement nouvelle édition, les programmes restant les mêmes ou
presque. Les enseignants comprendraient qu’un programme se peaufine.
Pourrait-on enfin un jour travailler sur de l’ingénierie des
programmes, faire un travail d’ingénieur ?
R.Brissiaud se
livre ensuite à une étude critique des trois années de Ermel en CE2 CM1
CM2. Cette étude s’enrichirait, si elle se plaçait d’un point de vue de
l’épistémologie des outils de formation. Comment concilier des travaux
de recherche ayant débouché sur un acquis déterminant : la construction
de la division peut être le résultat d’un processus de mathématisation,
et les exigences sociales : que les élèves de CM2 « fassent la
division comme avant » ? C’étaient et ce sont encore, les enjeux.. Et
pourquoi se limiter à un ouvrage ? Il serait plus utile de faire une
étude sur les effets de la transposition des résultats de la recherche
vers des ouvrages scolaires qu’une critique à plat de l’ouvrage ERMEL.
Par exemple, à condition de se placer du côté des apprentissages et non
pas du côté des techniques : l’évolution des « techniques élèves »
d’abord personnelles et instables vers une technique collective de la
division, institutionnalisée, décontextualisée, fait partie du
processus didactique. Cela était déjà en partie explicité à l’époque
dans les recherches, mais n’a pas toujours bien été intégré dans les
manuels scolaires. Il conviendrait donc de mieux étudier cette
transposition en montrant ce qui avait été vu et ce qui n’a pas été
suffisamment pris en compte. Au lieu de cela, l’auteur jette le bébé et
l’eau du bain et, dans un processus bien connu d’innovation, propose
une technique annoncée (qui sent bon la blouse grise et le poêle Ã
bois), source de tous les retours à la pédagogie transmissive, là où
les enseignants souhaiteraient voir réexaminées des progressions qui
ont fait leurs preuves mais dont la diffusion n’a pas été effectuée
avec suffisamment d’attention.
Le débat sur la division très tôt Ã
l’école est bien sûr très médiatiquement porteur et nous aurons des
difficultés à nous faire entendre pour modérer les délires. Demandez Ã
trois enfants de CP qui ont acquis l’usage des premiers nombres, de se
partager 6 bonbons équitablement : sauf allergie aux bonbons, ou prise
de pouvoir intempestive de l’un d’eux, la répartition s’effectuera
correctement. On pourra dire qu’ils ont divisé 6 par 3. C’est facile Ã
mettre dans les programmes, cela plaira. Quel bel effet Jourdain. Bien
sûr, pour autant la construction de la division n’est pas terminée !
Mais allez donc expliquer cela au journal de 20 heures ! Il faudrait
aussi expliquer que les élèves de CP qui construisent la numération
sont confrontés à des questions de partage équitable (paquets de dix).
La division est en acte, très tôt, dans les apprentissages
mathématiques. Il n’y a donc pas de temps perdu. Il faudrait encore
expliquer que les élèves en difficulté en mathématiques sont souvent
signalés trop tardivement alors que, bien souvent, ils ont décroché
lors de la construction de la numération. La question est : est-ce que
les élèves progressent si on institutionnalise la division
immédiatement après, par exemple, l’activité sur les bonbons ? On sait
bien que non et qu’il y a plus urgent.
- Venons-en aux
fractions dont l’auteur annonce deux sens : les « sens quotient » et le
« sens fractionnement de l’unité ». En déclarant que « chacun de ces
modes de lecture renvoie à des situations différentes », Rémi Brissiaud
construit une classification à partir d’une analyse strictement
mathématique. Que certains chercheurs pensent que l’introduction «
quotient » favoriserait mieux l’équivalence reconnue entre _ et 6/8
peut parfaitement se comprendre dès lors qu’ils agissent dans un milieu
essentiellement numérique et formel.
Harrisson Ratsimba Rahdjon,
dans sa thèse, met en évidence deux modèles : le premier est celui de
la commensuration, le second celui du fractionnement de l’unité. Mais
il ne définit pas ces modèles du côté des savoirs mathématiques. En
fait il cherche à voir si la commensuration peut jouer le rôle d'une
stratégie de base qui permettrait de donner une signification au .
fractionnement et aux algorithmes qui lui sont rattachés. Il met en
évidence ces modèles en tant que « modèles implicites d’action » :
grande différence. Dans cette recherche on voit bien une cohérence :
dans les deux cas, Harrisson prouve par des moyens rigoureux (qui ont
servi de méthode dans d’autres travaux), que l’hypothèse selon
laquelle, dans des situations de partage, des élèves ont plutôt une
conception 1 et d’autres plutôt une conception 2, est recevable. Pour
cela il part de situations qui se prêtent mieux à la conception 1,
d’autres à la conception 2 et il effectue un travail croisé et une
étude statistique qui mettent en évidence l’existence très probable des
conceptions 1 ou 2 chez les élèves par le fait qu’ils ne réagissent pas
de la même façon aux situations de type 1 ou 2.
Dans ce travail, le
terme « fraction quotient » n’est pas employé, et pour cause : ce terme
est fondé sur une organisation mathématique (du côté des savoirs) et
Harrisson conduit une analyse en terme de situations et de
connaissances (du côté des sujets). Il aurait pu employer le terme mais
pour décrire un modèle d’action, non pas un sens de la fraction.
Rémi
Brissiaud se réclame de la psychologie cognitive et tout
particulièrement des auteurs anglo-saxons. Les analyses qu’il conduit
sont inspirées par les organisations mathématiques et non par l’étude
des schèmes d’action (ou modèles implicites d’action). Or,
paradoxalement, il cite souvent les travaux de Brousseau et de Vergnaud
qui n’ont eu de cesse de remettre en cause cette approche. (Il est
d’ailleurs symptomatique de voir la partie relative à la soustraction
qui ne fait aucune référence aux schèmes additifs). Brousseau et ses
collaborateurs, Vergnaud, Conne ont montré dans plusieurs travaux que,
pour acquérir des savoirs, l’élève doit convoquer des connaissances qui
ne lui sont pas enseignées et dont il a pourtant besoin. Il s’en suit
qu’il n’y a pas recouvrement exact entre l’organisation des savoirs et
les situations productrices de connaissances, ce qui est à la fois
facteur de complexité, mais en même temps très fécond pour la recherche
sur l’enseignement des mathématiques.
Alors lorsque Brissiaud
recommence un procès vers les auteurs des programmes de 2002 en
critiquant le fait qu’ils reportent la fraction quotient au collège, il
fait l’impasse sur une approche possible permettant aux élèves de
rencontrer des situations de l’ordre de la commensuration (les 4
baguettes partagées en trois feront moins de miettes avec la
commensuration qu’avec le fractionnement de l’unité !) sans pour autant
avoir à traiter ce qui, plus tard, en sera l’expertise : à savoir a/b
est le nombre tel que b x ( ?) = a (3 fois cette longueur feront les 4
baguettes…).
- Il y aurait encore à dire et sur des sujets
importants, par exemple lorsque page 8, Rémi Brissiaud écrit « en
simulant les actions décrites dans l’énoncé avec des objets physiques
», ce qui peut se comprendre à première vue, mais qui ne fait pas grand
cas de tout le travail de recherche sur les niveaux de milieux ce qui
permettrait de revenir à l’essence même des mathématiques : construire
des modèles afin de mieux appréhender le réel. En d’autres termes, il
n’y a d’expérience dans l’expérimentation que s’il y a intention,
prévision à l’aide d’un modèle, modèle en gestation, sinon on est dans
l’empirisme. Pour reprendre l’expérimentation sur l’enseignement des
statistiques à l’aide des bouteilles opaques contenant 5 billes
[J.Briand RDM 2006)] la finalité de l’activité est que les élèves aient
construit un modèle tel qu’ils n’aient plus envie d’ouvrir la bouteille
pour en vérifier le contenu prévu. Il convient donc d’être très
prudents et très attentifs au rôle du matériel dans l’activité
mathématique. Ce débat pourrait permettre de prendre un peu de distance
avec la devise « La résolution de problèmes est au centre des activités
mathématiques » ou il n’est pas question de milieux C’est en effet un
point des programmes qui me paraît contestable puisque cette approche
laisse dans l’ombre la façon dont les principaux concepts de
mathématiques de l’école primaire peuvent se construire par
confrontation avec un milieu d’apprentissage. Enseigner les
mathématiques par les situations problèmes est pour le moins souvent
interprété de façon très basique. Les savoirs mathématiques
seraient-ils « déjà là » ? Comment se sont ils construits ? où ?
-
Pour revenir au texte de Brissiaud, des arguments contradictoires sont
avancés : d’une part, pour dénoncer les errements ministériels, il
souligne le fait que les élèves rencontrent très précocement des
situations de division de façon implicite et qu’il n’est pas nécessaire
d’expliciter plus à ce moment là ; d’autre part il fustige les
concepteurs des programmes (dont je ne fais pas partie, cela me laisse
libre de mes écrits) à propos des « fractions quotient » en leur
prêtant l’intention d’en interdire la fréquentation aux élèves sous
prétexte que cela ne serait pas écrit explicitement en terme de savoirs
experts.
Ma conclusion est que dans le long document de Remi
Brissiaud, il est surtout fait le procès de communautés qui se sont
investies dans l’élaboration de programmes, dans la rédaction
d’ouvrages qui ont pourtant fait avancer la réflexion. Même si on peut
ne pas partager certaines décisions sur quelques contenus précis,
l’esprit global des programmes permet aux professeurs de conduire les
apprentissages mathématiques des élèves en leur donnant vraiment du
sens. Quant aux inflexions ministérielles d'aujourd'hui, elles
franchement néfastes, elles ne sont pas analysées ou peu, dans le
texte de Rémi Brissiaud.
Pardonnez moi cette métaphore un peu nature chasse pêche et tradition : Il faut « ajuster le tir » sinon le chasseur va tuer son chien !
Ne pas se tromper de cible en effet
Réponse de Rémi Brissiaud à Joël Briand
Je remercie tout d’abord Joël Briand d’avoir lu mon texte et d’avoir
pris le temps de mettre en forme quelques remarques. Je commencerai par
ce qui me paraît le plus étonnant dans ses remarques. À la fin de son
écrit, il suggère que j’analyserais peu les « inflexions ministérielles
» qu’on pressent. Or plus d’un tiers de mon texte (15 pages sur 39) est
consacré à une analyse des progressions pédagogiques concernant la
division qui prévalaient depuis 1945 et jusqu’en 1970. Le pari qui
était le mien en rédigeant cette partie était de prendre au sérieux
l’idée d’un éventuel retour à l’enseignement de la division et de son
formalisme dès le CP, d’analyser comment progressaient les élèves qui,
à l’époque « s’en sortaient » et d’expliquer pourquoi certains choix, Ã
l’époque, faisaient obstacle au progrès des autres élèves sur le long
terme. Il est dommage que Joël ne fasse pas du tout allusion à cette
partie de mon texte. C’est d’autant plus dommage que la suite du texte
consiste à poursuivre l’analyse qui est ainsi amorcée : j’y montre
qu’il existe aujourd’hui des progressions qui se fondent sur une
analyse critique des pratiques antérieures à 1970 et qui, par
conséquent, tentent d’en conserver les points forts tout en se
préservant de leurs points faibles.
Ensuite (mais on est
déjà à plus de la moitié du texte), j’ai tenté d’étudier tout aussi
scrupuleusement la progression présentée dans Ermel, soulignant qu’elle
est très différente dans la série d’ouvrages des années 90 que dans
ceux qui avaient été publiés par la même équipe au début des années 80.
Dans la nouvelle série, la technique dont finalement Ermel recommande
l’élaboration, est la même que celle que je recommande moi-même. C’est
aussi celle dont Joël dit qu’elle « sent bon la blouse grise et le
poêle à bois ». Cette façon de la qualifier est un peu méprisante parce
qu’à la lecture d’Ermel, on voit bien que les collègues de cette équipe
ont mûrement réfléchi ce choix et il me semble avoir également pris
cette décision après une analyse plutôt approfondie des différents
choix. Par ailleurs, dans sa deuxième série d’ouvrages, Ermel analyse
de manière particulièrement intéressante ses hypothèses didactiques
concernant la façon dont les enfants progressent en résolution de
problèmes qui, à terme, seront traités par une division. Dans mon
texte, j’explique que les choix retenus par Ermel sont tout à fait
respectables. Cependant, en m’appuyant sur les résultats d’une
recherche (Abrose, Baek et Carpenter, 2003), j’analyse également
pourquoi la mise en œuvre de cette sorte de progression est très
complexe car « l’évolution des « techniques élèves » d’abord
personnelles et instables vers une technique collective de la division,
institutionnalisée, décontextualisée » est loin d’aller de soi. Il est
dommage que Joël n’évoque toute cette partie de mon texte qu’en
affirmant de manière rapide que j’y jetterais « le bébé avec l’eau du
bain ».
Par ailleurs, je ne consacre qu’une page (1 sur 39)
à la façon dont les programmes de 2002 conçoivent la conceptualisation
des fractions. Ce texte est déjà long mais il aurait vraisemblablement
fallu que cette partie soit plus développée parce que Joël fait
visiblement un contre sens sur sa signification, contre sens qu’il
développe sur une longue partie du sien (1 page sur 4) : si j’ai
utilisé l’expression « sens quotient des fractions », c’est parce
qu’elle figure dans les documents d’application et d’accompagnement des
programmes alors qu’il est bien connu que je m’exprime habituellement
en parlant des schèmes de fractionnement de l’unité d’une part et de
partition d’une pluralité de l’autre (je ne parle jamais de « sens
quotient », sauf quand je débats de l’usage de cette expression dans
les programmes). Joël ne s’en rend pas bien compte, mais la critique
qu’il croit me faire, c’est… aux programmes de 2002 qu’il la fait en
réalité. Ainsi, ce n’est pas moi qui exclut une progression fondée sur
l’étude de la commensuration, ce sont les documents d’application des
programmes de 2002 qui l’excluent en affirmant explicitement que seul
le fractionnement de l’unité a sa place à l’école. Et c’est très
précisément ce que je leur reproche.
Ce n’est pas le seul
passage de son texte qui prouve que nos points de vue ne sont pas si
éloignés que Joël ne le pense peut-être. Ainsi, quand il insiste sur
le fait qu’un point des programmes de 2002 est contestable, le fait que
: « La résolution de problèmes est au centre des activités
mathématiques », a-t-il bien conscience qu’en disant cela, il remet en
cause plus qu’« un point des programmes », mais leur architecture même
! Et lorsqu’il justifie sa position en disant que « cette approche
(celle des programmes) laisse dans l’ombre la façon dont les principaux
concepts de mathématiques de l’école primaire peuvent se construire par
confrontation avec un milieu d’apprentissage », je partage complètement
son point de vue, même si je l’exprime le plus souvent différemment :
cette approche laisse dans l’ombre les processus de prise de conscience
et de symbolisation que nécessite la conceptualisation qui correspond Ã
ce moment où « la compréhension rattrape la réussite ». Il est
intéressant de remarquer que cette critique des programmes rappelle le
propos qu’Alain Mercier développe sur le site EducMath concernant la
résolution de problèmes et qu’il s’avère ainsi que les didacticiens et
les psychologues sont finalement nombreux à penser de la sorte.
Joël
demande qu’on l’excuse du « côté un peu fouillis » de sa « réponse
rapide ». J’y consens volontiers car cela explique vraisemblablement
les raccourcis, les contre-sens et les fausses querelles. Je pense
qu’effectivement un petit peu plus d’organisation et de temps consacré
à cette réponse lui aurait évité certaines approximations. Ainsi, dès
le début de sa réponse, il écrit : Concernant la division, sa
conceptualisation consiste, d’après Brissiaud, en la reconnaissance
d’une équivalence d’opération entre la valeur d’une part et le nombre
de parts, ce que l’auteur rebaptise « groupements par n » et « partage
en n parts égales ». Or, la notion de « groupements par n » est
plus générale que celle de « recherche du nombre de parts » parce que
le « groupement par n » n’implique nullement que la sémantique de la
situation soit du côté d’un partage. Si l’on considère le problème : «
Combien de groupes de 12 objets peut-on former avec 408 objets ? », par
exemple, il renvoie à une situation plus générale que celle où les 408
objets sont partagées entre des personnes et où on donne 12 objets par
personne. Si l’on introduit la division dans la première de ces
situations plutôt que dans la seconde, les élèves, d’emblée, sauront
utiliser la division dans un beaucoup plus grand nombre de situations
(Richard, 2004).
C’est pourquoi l’usage que fait Joël du mot
« rebaptise » fait peu de cas d’une des principales idées avancées dans
mon texte : les enseignants doivent réfléchir, lorsqu’ils introduisent
un nouveau savoir en classe, au niveau de généralité auquel ils
l’introduisent. C’est une négligence théorique lourde de conséquences
de considérer que « la recherche du nombre de parts » et le «
groupements par n » sont synonymes et je pense au contraire avoir mis
en garde dans mon texte les lecteurs contre cette erreur théorique.
Je terminerai par des considérations tactiques en rappelant qu’il y a bien, de mon point de vue, deux camps : celui de Delord, Lafforgue et Demailly (et De Robien, Rolland, etc.) d'une part et le nôtre de l'autre, c'est-à -dire celui de tous les héritiers de la réforme de 1970 (didacticiens comme psychologues). En revanche, je pense que les programmes ont perdu, depuis 1970, de leur cohérence relativement à la conceptualisation arithmétique et je pense que c’est en indiquant ce que pourrait être une nouvelle cohérence que nous préserverons le mieux les acquis de 1970. Les programmes ne sont pas les Saintes Ecritures et si, dans « notre camp », nous nous interdisons d'en débattre, il me semble que nous nous fragilisons face aux partisans du retour à la tradition. C'est une tactique perdante que d'opposer à l'immutabilité de la tradition, l'immutabilité des programmes de 2002.
PS : Une réponse plus développée au texte de Joël sera bientôt mise en ligne sur le site du Café Pédagogique.
Abrose
R., Baek J. M. et Carpenter T. (2003) Children’invention of multidigit
multiplication and division algorithms. In A. Baroody & A. Dowker :
The development of arithmetic concepts and skills, 305-336. NJ &
London : Lawrence Erlbaum.
Richard J. F., (2004) Les Activités Mentales (4e édition) : De l’interprétation de l’information à l’action. Paris : Colin.
A propos de recherches didactiques sur le nombre et la division écrite
François Conne réagit au texte de Brissiaud et à la réponse de Briand
Je me permets une fois de plus d'attirer votre attention sur ma
prose. Puisque J. Briand dans sa réponse à R. Brissiaud a eu
l'amabilité de citer mes travaux sur la division, je verse ce texte
pour alimener le débat et tenter de faire entendre à R. Brissiaud ce
qu'il ne veut pas trop entendre, à savoir la différence radicale du
regard porté par le didacticien des mathématiques et par la psychologue
sur la réalité de l'enseignement des mathématiques.
Le texte que je joins est celui de ma communication lors du colloque organisé en juin 2000 à Bordeaux, tenu en hommage aux travaux de Guy Brousseau. Ce texte n'a pas pu être publié dans les actes faute de place ! Pas besoin de vous dire combien grande fut ma vexation, surtout que ce texte était pour moi à la fois un véritable hommage à la théorie des situations, mais encore qu'il mettait un terme à des recherche que j'avais nourries durant une vingtaine d'années et annonçait un virage très imprtant que je prenais alors. J'ai gelé ce texte, en ai remanié la conclusion pour le publier ailleurs etc.
Je ne suis pas un fétichiste de la publication dans des revues scientifiques et je cherche à ne pas trop concéder à la course à la publication dans la coucurrence déplorable à laquelle sont soumis les chercheurs, concurrence dont scientifiquement il ne saurait rien sortir de bon ! Je ne pense pas que mon propos pourrait trouver sa place ailleurs que dans les actes du colloque organisé en l'honneur de notre collègue. C'est de l'histoire révolue, passons !
L'occasion m'est donnée ici d'avertir notre communauté sur sa frilosité en matière de publications. Cette frilosité est une grave erreur de diffusion, nous qui par ailleurs déclarons vouloir faire de la diffusion des connaissances (mathématiques) notre objet. On en voit la conséquence : lorsque des débats politiques tel que celui que l'on connaît actuellement, nous manquons de références, et ignorons le travail théorique et épistémologique qui se fait. Finalement, malgré toute la peine que se donne J. Briand, on n'arrive pas à engager le débat autrement que superficiellement et sur des convergences à des degrés tels de généralité que la divergence en devient quasiment impossible !
En 1980, j'avais cru comprendre que la revue Recherches en
Didactique des Mathématiques avait vu le jour, justement afin de
répondre à ce problème - la publication des deux articles de G.
Brousseau sur les décimaux dans les deux premiers numéros en est
l'exemple fondateur. Je ne pourrais pas assister aux journées
consacrées à cette question en juillet, et je le regrette, mais je
profite ici de rappeler cette question. Je vous livre donc mon propos (document à télécharger, 34 pages, .pdf), et j'espère que vous trouverez intérêt à le lire.
Pour moi, le porter aujourd'hui à votre connaissance, est
l'affirmation d'une thèse :  il n'y a pas de véritable débat entre J.
Briand et R. Brissiaud, ils ne traitent pas le problème auquel il
s'agit de répondre (les propositions de réformes du prpogramme) de la
même manière, ils ne le saississent pas dans les mêmes formulations et
partant se trouvent dans une toute autre réalité. R. Brissaud devrait
se rendre à l'évidence qu'il n'y a pas de convergence entre ses vues et
celles de J. Briand, son insistance à le dénier empêche toute
clarification des questions.
Mon texte en effet, montre combien la manière classique - issue de
la psychologie de poser le problème, telle que la propose Brissiaud - a
été entièrement dépassée par l'approche didactique, en particulier
celle de la théorie des situations. Mais auparavant mon texte mentionne
une impasse dans laquelle se trovent les recherches de psychologie, et
cette impasse a été très bien vue par un piagétien peu entendu : R.
Droz. Une seconde impasse est signalée à propos de la division - mon
article Routines de 1990. Mon texte montre aussi et surtout combien -
en l'an 2000 - les didacticiens des mathématiques eux-mêmes n'ont pas
encore pris la pleine mesure du changement de paradigme qui s'est opéré
! Il ne s'agit en effet pas d'en rester à de la simple admiration pour
le travail de G. Brousseau ou de G. Vergnaud, là il semble que nous
soyons tous d'accord !
Je crois que mon texte regorge d'arguments convainquants, qui se
croisent subtilement, et que j'ai passe très soigneusement en revue de
multiples aspects. Par contre, je reconnais que je n'ai pas été
exhaustif. Lorsqu'on travaille ainsi, hélas cela fait un long article
trop plein de caractères. Mais plein de caractère aussi tant j'y
avance au pas de charge (vous pourrez le constater par vous-mêmes - et
j'entends déjà ceux qui me diront que "c'est trop dense"!). J e
remercie chaleureusement J. Briand d'avoir rappelé mes travaux dans sa
réponse et, vous lecteurs de ce message, je vous remercie pour votre
attention.