Edito
Ils ont beau jeu !
Daniel Perrin et Aline Robert, professeurs d’université en mathématiques à l’IUFM de Versailles- UCP
Ce texte a été écrit pour essayer de donner des arguments simples au public du Monde contre la suppression de l'année de stage (et de formation) des lauréats au CAPES de mathématiques (conséquence d'un concours à bac + 5, comme annoncé dans l'article du Monde du lundi 24 mai).
Quand « quelque chose » ne plaît pas à une bonne partie des personnes concernées, l’administrateur qui a le pouvoir sur la chose a plusieurs solutions : maintenir contre vents et marées, supprimer (et alors il a beau jeu), améliorer, notamment s’il est convaincu de l’intérêt de la chose.
La formation en IUFM en deuxième année pour les enseignants débutants du secondaire ne fait pas l’unanimité, ou, en tout cas, n’a pas bonne presse, même si des évolutions ont eu lieu et si les avis sont maintenant très divers. Faut-il supprimer ou améliorer cette formation ? A ce sujet il faut savoir d’abord qu’ici formation rime non seulement avec rémunération complète des enseignants débutants mais aussi avec uniquement une ou deux classes en responsabilité, au lieu des 3, 4 ou 5 les années suivantes : si on supprime cette clause, on impose aux jeunes enseignants un travail monumental de préparation et on risque aussi gros pour les élèves de toutes les classes concernées cette année-là.
Certes, en contrepartie, la formation de cette année-là paraît lourde : pour l’institution, il faut peut-être justifier le salaire perçu par ces enseignants débutants à temps très partiel. Certes quand on a déjà sa classe à soi, on a du mal à redevenir étudiant : des études sérieuses ont montré que le statut de ces jeunes, « entre deux », adolescents de la profession, appelle inévitablement une résistance sourde, un sentiment d’infantilisation vis-à-vis de toutes les formes d’enseignement (Blanchard-Laville et Nadot 2000). Ce n’est pas pour autant que cette année-là n’est pas indispensable.
En mathématiques par exemple, les débutants doivent apprendre à passer d’un travail centré sur la résolution d’exercices et l’apprentissage du cours qui leur est dispensé à un travail d’élaboration d’un texte complet, organisant cours et exercices, à des prévisions aussi bien pour un chapitre que sur l’année, à la prise en compte d’élèves dont ils ne connaissent pas encore les réactions, ni en mathématiques ni sur le plan général. Ils doivent éviter aussi bien de « réciter » leur préparation, que de se laisser déborder par les élèves et de renoncer à une partie du cours : cela peut se former, accélérant et améliorant ce qui se passe quand on laisse les jeunes seuls, grâce à un travail à organiser en formation entre la préparation et le déroulement des séances par exemple.
Ainsi, autant ces jeunes enseignants peuvent apprendre le métier en dépassant leur expérience pourvu qu’ils aient le temps de préparer, en étant aidés, autant sinon, on risque de retarder la maîtrise du métier, ou de figer les pratiques dans des reproductions du passé de chacun, peu adaptées aux évolutions des élèves et insatisfaisantes. Mais ce n’est possible que s’ils ont peu de classes et si on leur donne les moyens de tirer des leçons de leur expérience et de la partager (formation regroupée).
Autre chose est de chercher à améliorer la formation : dépassant l’expérience consistante accumulée depuis 15 ans par les formateurs, on peut rêver par exemple une formation plus « opportuniste », pilotée par ce que rencontrent les débutants et non par un programme imposé à l’avance et découpé selon une logique de juxtaposition, sans relation directe avec les pratiques. Les formateurs sont alors davantage obligés de travailler ensemble, d’improviser beaucoup, de décomposer les questions pour introduire les différents éléments imbriqués à reconnaître et à faire discuter, de remonter des questions locales, liées à la classe d’un jour, aux questions plus globales, de programme, de démarches pédagogiques, etc. Il faut sans doute alors non pas supprimer la formation en deuxième année mais instituer des formations de formateurs… Mais là on n’a pas beau jeu, ce n’est ni économique ni démagogique.
Blanchard- Laville C., Nadot S. (2000), Malaise dans la formation des enseignants, L'harmattan
Pour aller plus loin
Daniel Perrin, en ligne
Robert A., Roditi E., Grugeon B. (2007), Diversité des offres de formation et travail du formateur d’enseignants de mathématiques du secondaire, Petit x 74, 60-90.