La parole à...
Pierre Arnoux
Institut de mathématiques de Luminy
Président de la CFEM (Commission Française pour l'Enseignement des Mathématiques)
Quel futur pour la formation des maîtres?
Voici revenu, pour les universités, le temps de bâtir des maquettes de master pour la formation des enseignants. Elles se retrouvent dans la même situation que l'an dernier à même époque; le seul changement est l'arrêté publié fin juillet, dans lequel le gouvernement passe en force sur la date des concours. Il a choisi, parmi toutes les possibilités, celle que le rapport de la commission Filâtre décrit comme la pire de tous points de vue.
Mastérisation : état des lieux
A part le décret, on ne dispose toujours d'aucun cadre précis : en un an, le ministère n'a pas trouvé moyen de répondre à une seule question. On ne sait toujours pas précisément comment sera organisé le concours, quelle forme prendra l'épreuve professionnelle, comment seront organisés les stages, et s'ils seront pris en compte au moment du concours. Les responsables se renvoient la balle entre ministère de l'éducation et ministère des universités, et se raccrochent à la fiction suivant laquelle le master serait indépendant du concours. On a parfois l'impression d'un amateurisme complet: les interlocuteurs semblent par exemple croire qu'un concours se corrige instantanément, et qu'il suffit de le placer en décembre pour connaître les admissibilités début janvier. On nous impose, comme l'an dernier, une date limite irréaliste, et vouée à reculer au cours de l'année quand on aura vérifié que nul ne peut la tenir. Tout se passe dans la précipitation, avec cette différence que les acteurs sont fatigués, et semblent, dans bien des endroits, avoir renoncé à jouer.
Cette façon de faire traduit un profond mépris gouvernemental pour tous les acteurs de la formation des maîtres. Ce mépris s'est bien marqué dans la concertation qui a eu lieu avec l'université, d'abord dans la commission Marois-Filâtre qui a explosé à mi-parcours, puis dans les 4 groupes de travail sur les concours, formés de personnes choisies pour la plupart dans l'administration de l'éducation nationale, avec quelques alibis venus de l'université. Ces groupes de travail sont tenus à la confidentialité, et leur rapport ne sera pas public, mais réservé au seul ministre. Si, malgré toutes les précautions prises, un de ces groupes venait à ne pas être totalement d'accord avec le ministre, nous n'en saurons rien...
Tout montre une volonté de détruire le cadre actuel de la formation des maîtres. La forme des stages en cinquième année reste floue, et varie de rectorat en rectorat; mais les stages sont conçus, non comme formation, mais comme volant de remplacement à gérer par le rectorat. Le ministère a reculé sur le projet initial de mettre les nouveaux lauréats à plein temps dès la première année; mais ce recul partiel (un tiers-temps de formation) ne semble pas être écrit formellement, et on peut craindre sa disparition rapide. La formation sera organisée par le rectorat, et non par l'université, sous forme de compagnonnage et non d'une formation sérieuse utilisant le potentiel de l'université, en particulier dans les IUFM. Quand aux bourses, on en parle à peine, tant il est clair pour tous que leur destin est de disparaître rapidement, comme cela s'est passé lors de la création des IUFM et de la disparition des écoles normales d'instituteurs.
On connaît enfin les conditions de la "revalorisation" de la condition des enseignants. Le syndicat qui avait négocié la mastérisation avec la ministère, et qui a permis de faire passer cette réforme, a découvert avec douleur ce qu'il s'était fait refiler. Les futurs enseignants perdent un an de salaire avec l'année de PLC2, soit environ 15 000 euros, et les avantages sociaux liés. En compensation, ils obtiennent une hausse de 100 euros sur le premier salaire. Sachant que, lors de l'année PLC2, les enseignants passaient 2 échelons, et démarraient leur deuxième année avec 180 euros de plus que le salaire initial, cette revalorisation revient à la perte de la première année de salaire, et une baisse de 80 euros du salaire au début de la deuxième année. Peut-on espérer un jour que le SNES se réveille? S'il rejoignait le reste de la FSU et faisait une analyse globale des réformes en cours, au lieu de raisonner de façon étroitement catégorielle, cela changerait nettement la donne.
Bien entendu, dans cette précipitation et ce stress, on se concentre sur un ou deux points de base, et beaucoup de questions très importantes passent à la trappe; il en est ainsi de la formation continue, sur laquelle le ministère n'a rien à dire. Le master sera tellement bien qu'il pourvoira chaque enseignant de connaissances et de méthodes pour quarante ans de carrière, sans qu'il ait jamais besoin d'une autre formation... Il en va de même pour les PLP, sur la formation desquels règne un flou artistique, ou sur les concours internes ; les titulaires actuels du CAPES seront-ils autorisés à passer l'agrégation interne, ou bien leur faudra-t-il d'abord un master?
Que faire?
La communauté mathématique a réagi très vivement dès le début aux réformes en cours; elle a été l'une des plus sensibles aux effets sociaux que vont avoir ces réformes, et elle l'a constamment fait savoir. Elle a aussi alerté sur les conséquences probables sur la formation des maîtres à tous les points de vue, disciplinaire, didactique et professionnel. Ses différentes instances représentatives ont joué leur rôle; en particulier, la CFEM, qui réunit les diverses associations impliquées dans l'enseignement mathématique, a permis un dialogue entre les diverses composantes, professeurs de mathématiques, chercheurs en didactique des mathématiques, mathématiciens. Cela nous a évité de nous fourvoyer dans des querelles stériles entre "disciplinaires" et "pédagogues", et j'espère que nous continuerons ainsi.
Aujourd'hui, le plus sage est de suivre la voie proposé par Daniel Filâtre, président de la commission Formation de la CPU. Il a publiquement expliqué que, dans les conditions actuelles, tant que les cadres de masters ne sont pas précisés, il faut s'abstenir de travailler sur les maquettes, car nous risquons de faire des choix qui nous amènent dans des cul-de-sacs. Cela ne devrait pas nous empêcher de travailler à une réflexion de fond sur la formation des enseignants, et sur les problèmes évoqués ci-dessus. Cette réflexion sera utile à long terme; comme l'a aussi dit Daniel Filâtre: "les décrets passent, la réflexion reste". Rappelons-nous que la situation peut changer vite : elle était très différente en novembre et en mars dernier, qui sait ce qu'elle sera dans 6 mois ou un an?
Plutôt que de s'atteler à la construction de maquettes en suivant les ordres, la priorité est de faire un travail de réflexion, de formation et d'information sur les réformes en cours; il ne faudra pas oublier non plus de les évaluer si elles sont mises en applications : cela fait trop longtemps que l'on n'évalue plus les politiques éducatives, et celle-là aura des conséquences.
Pierre Arnoux
Des informations complémentaires
Une discussion sur la mastérisation dans la rubrique "En débat" de ce site
Un dossier de la SMF : très complet, il contient les textes officiels, et nombre de réactions ; on peut y vérifier que l'intérêt des mathématiciens pour le sujet ne date pas d'aujourd'hui.
Un dossier de la Conférence des Présidents d'Université
Les informations des états généraux de la formation des enseignants