Diversité des recherches sur l’enseignement des mathématiques

Viviane Durand-Guerrier

IUFM de Lyon - LIRDHIST¹, Université Claude Bernard, Lyon 1 - IREM de Lyon

Lyon, le 20 mai 2006

Jean-Pierre Raoult rappelait ici même le 13 décembre 2005, dans cette rubrique qu’il inaugurait, les difficultés auxquelles sont confrontés les IREM, alors même que ceux-ci restent le meilleur garant de la possibilité d’une réflexion sur l’enseignement des mathématiques conduite avec des praticiens en amont des contraintes qui pèsent sur le système éducatif, et ceci à tous les niveaux des cursus scolaire et universitaire. C’est en tant que présidente de l’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques², mais parlant en mon nom propre, que j’ai été à mon tour invitée à prendre la parole. La question que je voudrais aborder aujourd’hui est celle de la diversité des recherches sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. Ces recherches se développent dans plusieurs lieux, avec des moyens et des finalités diversifiées, et la question est parfois posée par certains de nos interlocuteurs, collègues ou institutions, de la pertinence de cet éclatement des lieux, alors même que de nombreux acteurs investissent successivement ou simultanément ces différents lieux.

Un premier lieu est constitué des laboratoires universitaires au sein desquels se déroulent des travaux de Recherche en Didactique des Mathématiques³. Historiquement, ces laboratoires se sont développés au sein des universités scientifiques en proximité avec les IREM. C’est le cas par exemple du laboratoire DIDIREM⁴ de l’Université Paris 7 dont le nom dit bien l’imbrication étroite entre les deux entités. Cette proximité permet en particulier de mettre en œuvre les protocoles expérimentaux nécessaires au travail des chercheurs, tout en favorisant en retour la diffusion des résultats de la recherche en direction des enseignants, principalement en participant à des groupes de travail associant enseignants du secondaire ou du primaire et chercheurs⁵. Le plus souvent initiées par des mathématiciens professionnels ayant choisi de prendre comme objet d’étude les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage, les recherches en didactique des mathématiques ont été développées dans un premier temps essentiellement par des enseignants, du primaire, du secondaire ou du supérieur, en reprise d’étude. Au fil des années, l’offre de formation de troisième cycle au sein des universités s’est progressivement élargie à des étudiants en formation initiale. Comme pour n’importe quelle discipline, la vitalité de ce champ de recherche passe par son attractivité pour de nouveaux étudiants, le développement d’écoles doctorales, la soutenance de thèses et d’habilitation à diriger les recherches, tout ceci étant conditionné par le recrutement d’enseignants chercheurs. La didactique des mathématiques est un domaine en émergence et jusqu’à aujourd’hui, les recrutements au sein des universités restent relativement rares. Pourtant, si l’on veut développer des enseignements de didactique des mathématiques auprès d’étudiants scientifiques se destinant en particulier à l’enseignement des mathématiques dans le second degré, dans le supérieur ou au professorat des écoles, et ceci dès les années de licence, il est nécessaire que des enseignants chercheurs soient recrutés sur ces compétences. Ceci permettrait en outre de pérenniser l’ancrage des laboratoires existants, et de favoriser la poursuite du développement de travaux de recherche sur l’enseignement supérieur, ceci en lien avec les IREM chaque fois que cela est possible.

De manière contrastée avec ce qui se passe dans les universités, depuis plusieurs années, en France, les recrutements au sein des IUFM⁶ ont permis de développer le potentiel en enseignants chercheurs en didactique des mathématiques, et par là même de contribuer à conforter la viabilité des laboratoires universitaires. En retour, les recherches en didactique des mathématiques, et plus particulièrement les travaux sur l'enseignant, montrent de manière très claire que l'étude des conditions d'enseignement et d'apprentissage d'une notion mathématique donnée nécessite, pour le professeur, une réorganisation de ses propres connaissances sur les objets de savoirs en jeu : au-delà des aspects techniques et algorithmiques privilégiés le plus souvent dans l'enseignement, il s'agit de mettre en perspective leur genèse, tant du point de vue historique et didactique que du point de vue du sujet ; les problèmes qu'ils permettent de résoudre ; les situations qui leur donnent du sens, leurs relations avec d'autres concepts, ainsi que les domaines de l'activité humaine où ils interviennent. Ceci indique les lignes à suivre pour élaborer des programmes de formation pour les enseignants de mathématiques s'appuyant sur les résultats des recherches en didactique des mathématiques, et en retour donne des orientations pour ces recherches. C’est ainsi que plusieurs IUFM développent en leur sein des recherches en lien étroit avec les laboratoires, dont l’une des finalités est de nourrir la formation de formateurs, et par ricochet la formation des enseignants, tant initiale que continue⁷. Ainsi, se dessine un maillage entre laboratoires universitaires, IREM et IUFM, auquel on doit rajouter l’INRP⁸, à côté duquel se tisse également des relations entre les différentes sociétés savantes et associations de spécialistes, qui s’intéressent à l’enseignement des mathématiques, fédérées en France au sein de la CFEM⁹.

C’est parce que je suis depuis longtemps convaincue de l’importance de ce maillage que j’ai considéré avec beaucoup d’intérêt le projet du site EDUCMATH développé depuis septembre 2005 par Luc Trouche au sein de l’INRP, projet dont l’ARDM, comme de nombreuses associations et sociétés savantes, est partenaire. En outre, au-delà de la situation française sur laquelle je me suis concentrée jusqu’à présent, le site a une dimension internationale, attestée par le comité scientifique, qui devrait permettre de renforcer les échanges entre les communautés qui s’intéressent, dans le monde, aux questions d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques. La présentation du site lors du colloque EMF 2006¹⁰ à Sherbrooke dans quelques jours en est une illustration.

Notes

 
3 La didactique des mathématiques se fixe pour but d'élaborer et de tester expérimentalement des théories permettant de décrire, comprendre, et expliquer les phénomènes d'enseignement (travail de l'enseignant) et d'apprentissage (travail de l'élève) des mathématiques ( Arsac, G. & Brun, J. 1997, 'Didactique des Mathématiques et Théories de l'Apprentissage', in Legrand, P. dir. Profession enseignant. Les maths au collège et au lycée. Paris : Hachette. 29!-315.

5 Les chercheurs intervenant dans les IREM ne sont naturellement pas tous des didacticiens ; les mathématiciens et les historiens des mathématiques y sont également présents de manière significative.

6 Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (site)

7 C’est le cas, par exemple, à l’IUFM de Lyon, où ces recherches bénéficient de la dynamique du pôle de recherche sur l’enseignement des mathématiques, des sciences et des techniques (site)

8 Voir sur ce site les équipes en partenariat

9 La CFEM (site), sous-commission française de la CIEM (Commission Internationale pour l'Enseignement des Mathématiques), fédère l'ensemble des associations professionnelles et de recherche ainsi que les sociétés savantes nationales touchant aux mathématiques et à leur enseignement : ADIREM, APMEP, ARDM, CNFM, IGEN, SMF, SMAI, UPS. Elle entretient des liens forts avec l'Inspection Générale ainsi qu'avec diverses commissions