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Des dossiers capitaux

Dernière modification 17/09/2009 11:47

Eric Barbazo, Président de l’APMEP

On n'exécute pas tout ce qui se propose,
Et le chemin est long du projet à la chose
Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur

Depuis deux ans maintenant, deux très ambitieux dossiers ont été mis en chantier par le ministère : le premier concerne une réforme structurelle importante du lycée, le second touche à la formation des maîtres et aux modalités de leur recrutement. De tels projets ne peuvent être réglés en quelques semaines, au risque sinon, de déboucher davantage sur des « réformettes » que sur des modifications ou transformations de fond. Une réforme « réussie » (si une telle définition peut exister) est une réforme qui marque durablement les contenus et conditions d’enseignement. Sans remonter jusqu’à Jules Ferry, on peut se livrer à un petit exercice récapitulatif de celles qui apparaissent comme majeures, au sens où elles conditionnent encore aujourd’hui notre métier dans toute sa généralité : la réforme de 1902, sans qui l’enseignement scientifique, élevé au même niveau que l’enseignement classique, n’aurait certainement pas la place qu’il occupe aujourd’hui dans les plans d’étude ; la création du CAPES, en 1950, qui a modifié profondément la sociologie des professeurs de l’enseignement secondaire ; la réforme de l’université de 1968 qui a su donner aux Facultés une véritable autonomie (pas uniquement financière) et a permis, pour nous les enseignants de mathématiques, la création d’Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM) ; la réforme Berthoin qui a allongé l’enseignement obligatoire jusqu’à seize ans et anticipé la massification des années 1960; la réforme Haby qui a instauré le collège unique et scellé définitivement la liaison école primaire-enseignement secondaire, en instaurant une « école moyenne » et en réunissant, sous le même toit, les enseignements de type primaire hérité des Ecoles primaires supérieures, CEG, CES, CET et le premier cycle des lycées, réservés pendant près des trois quarts du XXe siècle à une élite sociale. Sans juger ici, ni de leur légitimité, ni de leur valeur intrinsèque, on peut dire que ces réformes ont réussi car elles ont su imposer à la fois leur pérennité et les modalités de leurs applications.

Une question se pose alors à nous, face aux projets actuels : ont-ils l’ambition d’élaborer une réforme d’ampleur égale à celle de leurs éminents prédécesseurs, avec pour objectif d’adapter l’enseignement et la formation aux défis du siècle à venir ? Ou ont-ils seulement l’intention de modifier, à la marge, techniquement pourrait-on dire, les conditions d’enseignement et de recrutement, sous la dictée de contraintes (budgétaires ?) inavouées ?

 L’APMEP entend porter ces interrogations dans le débat public qui, rappelons-le, concerne tout le monde, élèves, parents, professeurs. Ce texte n’a d’ambition que celle de poser quelques grands problèmes qui se présentent à nous et que l'association des professeurs de mathématiques souhaite nourrir de ses réflexions.

1. Le lycée

Le projet de réforme du lycée semblait démarrer avec, comme volonté ambitieuse, de modifier la structure du lycée pour qu’il réponde mieux au double défi de « massification continue » et de qualité des diplômes délivrés. On ne peut qu’être d’accord avec la mise en place de tous les moyens possibles qui permettront à l’ensemble des élèves de trouver une place, personnellement réfléchie et choisie, dans un lycée professionnel ou d’enseignement général et technique. Encore faut-il se donner les bons moyens.

Les constats préalables apparaissaient comme unanimes :

Pour la classe de seconde, elle est, et doit rester une classe de détermination pour l’orientation future. Passerelle entre le collège et les formations supérieures plus spécialisées, elle doit permettre à chaque élève de construire son orientation positive. Il est à cet égard, fondamental pour notre enseignement mathématique, de pouvoir proposer, dans cette classe, une découverte aux sciences, aux mathématiques, sous une forme optionnelle à préciser, afin que les élèves puissent choisir en toute connaissance de cause leur spécialité ou série ultérieure. Cette manière permettrait de ne pas les contraindre dans un cadre qui ne peut et ne doit être, en aucune façon, filiarisé à ce niveau. Le rapport Descoing pose correctement le problème, mais ne le résout cependant pas. La structure de la seconde reste donc à inventer : pour les mathématiques, faut-il s’orienter vers un tronc commun de connaissances auquel s’adjoindraient des séances de découvertes mathématiques, de démarches scientifiques pour intégrer en même temps une esprit nécessaire d’interdisciplinarité ? Cette question essentielle permet de considérer et d’adapter en même temps le contenu des programmes à enseigner avec la structure de la classe en question. C’est une des tâches du travail actuel de l’APMEP, de sa commission lycée et de l’ensemble de ses adhérents qui s’intéressent à cette question.

Pour ce qui concerne les séries conduisant aux divers baccalauréats, de nombreuses pistes ont été également évoquées par de nombreux acteurs du système éducatif durant les mois précédents, reprises pour certaines dans les différents rapports (Descoing et Apparu) depuis deux ans, et qu’il est bon de rappeler ici pour inciter à continuer le débat : Etablir un parcours personnalisé, à la carte, pour les élèves ; prolonger un tronc commun et indifférencié jusqu’à la fin de la classe de première ; rééquilibrer l’accès aux différents cycles et séries terminaux.
Là encore, on peut penser que le débat repose sur un constat préalable qui assure que la série S est devenue une voie trop généraliste, socialement incontournable pour mettre « toutes les chances de son côté ». Cette question n’est pourtant pas nouvelle, puisque, paradoxalement, c’est le même argument qui a présidé à la transformation de la série C-D en série S. On peut alors constater, à la lumière de la pérennité de l’argument, que la réforme de 1994 n’a pas fonctionné. Examinons rapidement les différentes pistes alors proposées :

  • le choix à la carte peut paraître dans un premier temps attractif. Le risque majeur réside cependant dans l’émiettement et le cloisonnement des contenus enseignés ainsi que dans la difficulté d’organisation de ces enseignements. La tradition française du baccalauréat ne paraît pas se prêter facilement à cette option. Plus qu’un choix à la carte, une réflexion sur une organisation en tronc commun, associé à une majeure et une ou plusieurs mineures associées qui permettraient une coloration de la formation dans des domaines précis peuvent être envisagés. Compte tenu des transformation radicales à la fois sur l’organisation dans les établissements et les méthodes pédagogiques les mieux appropriées, cette piste mérite une étude sérieuse et non précipitée, que l’APMEP a également lancée en son sein ;
  • l’allongement du tronc commun pour tous les élèves jusqu’à la fin de la première est une des options du rapport Descoing :

La spécialisation dans la voie générale est trop précoce et ne doit se décider qu’en fin de première.

Même si comparaison n’est pas raison, il est bon ici de rappeler ce qu’ont été les effets nocifs de ce qui, en 1925, s’est appelé l’égalité scientifique. L’intention affichée à l’époque était louable, puisqu’elle préconisait de permettre un égal accès à tous les élèves, littéraires ou scientifiques, à la classe de mathématiques et au baccalauréat mathématiques puis aux classes supérieures scientifiques préparant aux grandes écoles. Des programmes de mathématiques uniques ont alors été instaurés et dispensés à l’ensemble des élèves du lycée depuis la sixième jusqu’à la classe de première incluse. Les conséquences ont été rudes, comme on peut le constater dans les témoignages des professeurs qui paraissent dans les bulletins de l’association de l’époque : la spécialisation repoussée dans la seule classe terminale s’est traduite par un accroissement très important des difficultés des élèves scientifiques. L’augmentation du nombre d’élèves non scientifiques dans les classes de mathématiques a alourdi considérablement les conditions d’enseignement en raison de la présence, dans ces classes, d’élèves dépassés. Un effondrement du niveau scientifique des jeunes français, à la fin de l’Entre-deux-guerres, a été constaté, y compris dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Cette option est alors à considérer avec précaution.

Le rééquilibrage des autres séries, face à la suprématie de la série S, est un élément intéressant. Ce rééquilibrage repose sur la revalorisation de toutes les autres séries, techniques et d’enseignement général. Elle passe par deux exigences que le rapport Descoing différencie, peut-être à tort, alors qu’elles paraissent pourtant étroitement liées : relever les exigences scientifiques d’accès à la série S et restaurer un enseignement scientifique obligatoire et de qualité dans toutes les autres séries, notamment la série littéraire. Cette option ne saurait s’envisager sans une réflexion approfondie sur l’orientation après le baccalauréat, par exemple dans les différentes classes préparatoires qui devraient avoir l’obligation de diversifier le recrutement de leurs élèves.

Toutes ces questions ne sont pas, bien entendu, définitivement tranchées. L’APMEP entend bien continuer à mener un débat, interne, mais également public, sur tous les aspects d’un projet qui va conditionner, s’il est réussi, le lycée français pour les années à venir. Il faut que ce dernier réponde aux exigences scientifiques que le XXIe siècle ne va pas manquer de nous imposer.

2. La formation initiale et continue

A l’heure où sont écrites ces lignes, le projet de modification du recrutement des enseignants est en passe d’être mis en place. Si on ne peut qu’être séduit par l’idée d’une revalorisation du métier d’enseignant, dorénavant recrutés à bac + 5, on est en droit d’être inquiet sur les modalités d’organisation des futurs concours de recrutement. En effet, l’augmentation du niveau d’étude des enseignants est une reconnaissance du fort degré de spécialisation requis pour ce métier. Ce n’est pas rien, pour nous qui sommes parfois remplacés à la sauvette, par des contractuels ou des vacataires, formés à l’emporte pièce en très peu de jours. Malgré la bonne volonté de ces personnels, là n’est pas la question, et qui ne peut être remise en cause, un professeur absent doit être remplacé par un professeur formés et titulaire, à l’instar de tout professionnel. En effet, le bagage d’un enseignant comprend, sans conteste, la maîtrise parfaite de ses compétences disciplinaires associée à une solide formation didactique et pédagogique, qui ne souffre donc pas d’à-peu-près dans son remplacement. Seulement, le projet mis en place dès la rentrée 2010, balaie un peu trop rapidement d’importants problèmes qui vont rapidement se poser aux étudiants qui se destinent à l’enseignement. D’une part, reculer d’une année, voire de deux ans pour les futurs agrégés, la titularisation va avoir des conséquences sociales non négligeables sur deux points essentiels : l’allongement de la durée de cotisation et la durée des études qui, pour le coup, va nécessiter un effort financier beaucoup plus important pour des étudiants aux revenus souvent modestes. Il serait encore temps d’organiser un pré-recrutement, comme le permettaient les IPES, disparus en 1978, et dont l’effet régulateur sur les recrutements s’est avéré efficace. D’autre part, les nouvelles modalités d’organisation du stage en responsabilité, jusqu’alors pilier de la formation professionnelle, vont radicalement changer l’approche du métier. Un stage en responsabilité d’une durée de 108 heures, dans des conditions d’exercice non encore définies à l’heure actuelle, n’aura pas le même impact formateur que la prise en charge d’une classe pendant une année complète. Enfin, la place du concours, de l’écrit comme de l’oral durant l’année de master 2, auquel s’ajouteront la préparation aux cours théoriques du master et le stage en responsabilité dans un établissement scolaire non nécessairement proche de l’université de formation, rendent l’année de master 2 particulièrement chargée et dense pour des étudiants. La réussite au concours assujettie à l’obtention du master, ne va-t-elle pas décourager de nombreux étudiants ? Autre façon de poser la question : quelle valeur aura un master professionnel d’enseignement sur le « marché du travail » pour un étudiant collé au concours ? Quelles poursuites d’études seront possibles dans le domaine de la recherche ? Autant de questions non encore résolues qui invitent à reconsidérer le projet qui, ne le cachons pas, soulève beaucoup plus d’inquiétudes qu’il n’apporte de solutions ou d’innovations positives.

Si la formation initiale d’un professeur est cruciale pour assurer une entrée dans le métier d’enseignant dans les meilleures conditions possibles, sa formation continue est un élément essentiel au développement de sa carrière. On peut affirmer sans trop se tromper, que la formation continue, telle qu’elle est actuellement dispensée, ne répond plus aux besoins majeurs des évolutions rapides du métier d’enseignant. Elle doit en effet concilier deux facteurs essentiels : la continuité des cours pour les élèves, le droit à la formation des professeurs sur leur temps d’activité et non de repos. De plus, une formation continue se doit d’être efficace à court et à long terme. Il faut donc repenser l’organisation temporelle d’une formation continue qui doit être attrayante pour les professeurs et non contraignante pour l’exercice de leurs cours. Peut-elle s’envisager diplômante pour stimuler la découverte de nouveaux savoirs ou permettre une évolution de carrière ? Peut-elle se concevoir valorisante, sur les plans financier ou d’avancement d’échelon ? Peut elle s’imaginer obligatoire ou facultative ? Toutes les questions débattues sont mieux que l’absence d’intérêt porté, depuis de nombreuses années, au devenir de la formation continue. Il faut faire vivre ce débat sur cette question, avec d’autant plus d’enthousiasme, que les mathématiques ont déjà les outils, leurs IREM, pour permettre sereinement des avancées en la matière. Qu’attendons nous pour faire fonctionner à plein régime, c’est à dire en leur rendant leurs moyens, ce qui ne peut qu’être un modèle à multiplier : la mutualisation des compétences universitaires et de celles des professeurs de l’enseignement secondaire dans des Instituts de formation continue ?

Le chemin est long du projet à la chose, particulièrement sur toutes ces questions fondamentales pour l’évolution de notre système éducatif. Inscrire dans l’histoire une réforme qui datera n’est sûrement pas chose facile. Il est du devoir de chacun de s’y intéresser.

 

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