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Quelques réflexions sur la mastérisation

Dernière modification 23/06/2009 10:28

Quelques réflexions à partir de la didactique des mathématiques sur la « mastérisation » de la formation initiale des enseignants et personnels d’éducation du primaire et du secondaire

Yves Matheron, maître de conférences INRP, président de l'ARDM.

Quelques éléments pour un bilan

Le processus dit « de mastérisation » de la formation initiale des enseignants, engagé en juin 2008, a conduit les diverses associations et structures concernées par l’enseignement, bien au-delà des mathématiques, à débattre et élaborer des propositions tout au long de l’année écoulée. C’est en tant que président de l’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques , mais parlant en mon nom propre, que j’ai été invité par Luc Trouche à prendre la parole à ce sujet sur le site EducMath.

 

En ce mois de juin 2009, et avec l’expérience d’une année, les choix relatifs à la traduction française du processus de Lisbonne, portant sur la « mastérisation » de la formation des enseignants au niveau européen, apparaissent avoir été arrêtés par les ministères de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dès le lancement de la procédure, il y a un an. Les textes sur la mastérisation adoptés le 16 juin 2009 par le Conseil Supérieur de la Fonction Publique d’Etat signent, semble-t-il, la fin d’un cycle aboutissant à une conclusion qui rencontre finalement l’opposition quasi-unanime des structures représentatives de la communauté universitaire ou qui y sont associées. Citons parmi celles ayant exprimé leur désaccord : la Conférence des Présidents d’Université (CPU), qui a décidé avec d’autres de se retirer le 10 juin de la commission Marois-Filâtre, la Conférence des Directeurs d’IUFM, les directeurs des Écoles Normales Supérieures, les Conférences des directeurs des UFR de sciences, des UFR de lettres et sciences humaines, les sociétés savantes, des jurys de CAPES et d’Agrégation, des coordinations, des mouvements pédagogiques, des syndicats et fédérations de parents d’élèves.

 

Pour sa part, sur la base du corpus théorique en didactique élaboré depuis une quarantaine d’années, et de l’expertise en formation de ses membres, l’ARDM a, de septembre 2008 à ces derniers jours, contribué à préciser ce que pourrait être une formation initiale et continue de qualité à l’enseignement des mathématiques, de la Maternelle à l’Université incluse. Dans le cadre de la Commission Française pour l’Enseignement des Mathématiques (CFEM) qui regroupe la « famille mathématique », l’ARDM a activement contribué à faire avancer le débat. L’ARDM participait à une délégation de la CFEM qui aurait dû être reçue par la commission Marois-Filâtre ce 10 juin, jour où la commission a suspendu ses travaux ; la CPU ne voyant plus la raison de participer à une commission dont on savait par avance qu’il ne serait pas tenu compte du travail. Comme cela semble désormais d’usage, les ministres décideront ce que bon leur semblera. Néanmoins, le thème de la mastérisation a permis de mettre au grand jour des conceptions de la formation des enseignants que certains ne soupçonnaient guère, ou ne voulaient voir.

 

Dans un premier temps, du travail d’élaboration des maquettes tel qu’il fut mené sur le terrain remontait trop souvent le constat d’une absence de connaissance et de réflexion sur la formation des enseignants chez une partie non négligeable d’universitaires qui n’avaient guère eu à enseigner à ce niveau depuis de nombreuses années. L’existence des savoirs didactiques, la réflexion raisonnée sur les contenus mathématiques utiles et nécessaires à l’exercice de l’enseignement primaire et secondaire, semblaient ignorées par une partie de ceux à qui le gouvernement confiait l’élaboration de maquettes. Dans bien des cas, les arguments avancés signaient une absence de prise de recul et de questionnement sur des sujets non triviaux qui méritent réflexion, tant par leur abord difficile que par leur importance puisqu’ils engagent ceux qui formeront les générations montantes du pays. Loin de l’intérêt général, des corporatismes de tous ordres se sont exprimés, voyant, à travers la fin programmée des IUFM, pour certains une aubaine permettant de récupérer en université les étudiants qui faisaient défaut, pour d’autres une hypothétique revalorisation des salaires des enseignants par la mastérisation. Néanmoins, à côté de ce type de réactions, des structures et associations savantes ont pris le temps de la réflexion et de l’élaboration de propositions raisonnables qui visaient à être entendues des ministères.

Quelques réflexions venues de la didactique des mathématiques

De son côté, et comme cela a été indiqué plus haut, l’ARDM a mis en place, dès l’été 2008 et tout au long de l’année universitaire qui se termine, des groupes de travail visant à préciser les grandes lignes d’une formation universitaire initiale des enseignants, associant IUFM et UFR. Précisons tout de suite que les savoirs venus des mathématiques, de leur épistémologie et de leur didactique ne constituent pas le tout des savoirs à enseigner en formation. Il faudrait mentionner parmi d’autres, et de manière non exhaustive, la sociologie, l’histoire et la philosophie de l’éducation, la connaissance du système éducatif, du développement de l’enfant et de l’adolescent, etc.

 

La didactique des mathématiques a pour objet l’étude des conditions et des moyens de diffusion des savoirs mathématiques dans la société, et en particulier dans l’institution scolaire. A ce titre elle a vocation, entre autres, à traiter du métier de professeur de mathématiques, de la maternelle à l’Université incluses, et des questions de formation à ce métier. Elle reprend à son compte des problèmes que la société ou la profession se posent, mais en les ayant au préalable mis à distance pour les transformer en objets d’études. Une quarantaine d’années de recherches lui permettent de disposer d’un corps de savoirs permettant de poser de manière scientifique les questions relatives à l’enseignement des mathématiques et d’y apporter des éléments de réponses sur des bases rigoureuses. Un tel corpus théorique et méthodologique permet de comprendre en quoi les problèmes auxquels l’enseignant de mathématiques est confronté relèvent d’une dimension collective, solidaire car professionnelle, tenant d’une part aux mathématiques elles-mêmes et à leur épistémologie, d’autre part aux conditions et contraintes sous lesquelles se déroule le processus d’enseignement des mathématiques. Il ne s’agit donc pas seulement de rechercher leur hypothétique solution dans une didactique individuelle, qui tiendrait par exemple d’un « charisme » plus ou moins bien distribué selon les différences inter personnelles. C’est une des raisons pour lesquelles la formation aux métiers de l’enseignement des mathématiques, dans leur diversité, se doit d’inclure une indispensable formation à la didactique.

Penser les mathématiques à enseigner en formation

Depuis l’ARDM, une préoccupation importante concerne les savoirs mathématiques à enseigner en formation des enseignants. Si une formation solide en mathématiques apparaît nécessaire, il est non moins nécessaire de définir les savoirs mathématiques dont l’enseignant doit pouvoir disposer car ils interviennent et éclairent les mathématiques qu’il est susceptible d’enseigner aux niveaux primaire ou secondaire. De tels contenus disciplinaires devraient viser d’une part à consolider et réorganiser des connaissances mathématiques antérieures et, d’autre part, à approfondir et compléter des notions mathématiques dont la transposition didactique est à maîtriser pour les enseigner. Cela signifie qu’à côté d’éventuels savoirs nouveaux à définir, des savoirs mathématiques anciens sont à réexaminer à nouveau frais, d’une manière que l’on pourrait qualifier de « verticale », c’est-à-dire en balayant les niveaux en lesquels ils ont à être étudiés et qui courent jusqu’à l’Université comprise, afin de les dominer dans leurs diverses dimensions épistémologique et didactique. Définir ces savoirs mathématiques utiles à l’enseignant suppose une réflexion collective, associant mathématiciens et didacticiens.

Penser les outils didactiques à enseigner en formation

Mais pour devenir un professionnel de l’enseignement des mathématiques, la connaissance des mathématiques ne peut à elle seule suffire. En effet, les questions rencontrées dans l’exercice quotidien du métier sont, en grande partie, celles pour lesquelles la didactique des mathématiques fournit des outils professionnels permettant à qui les maîtrise d’élaborer des réponses réfléchies. Celles-ci ne résolvent pas nécessairement tous les problèmes mais, étayées par des analyses rationnelles des situations et des options prises, elles sont la plupart du temps plus efficaces et plus facilement amendables que celles qui sont produites par les pratiques spontanées. Citons quelques-unes de ces questions. Comment analyser et évaluer des propositions d’enseignement contenues dans les manuels et les programmes, celles que l’on trouve dans la littérature professionnelle ou sur l’Internet et qui ne sauraient être reprises telles quelles, sans une analyse rigoureuse outillée par la didactique ? Comment analyser a priori ce que sera l’enseignement d’un sujet mathématique une fois la préparation faite, et comment l’améliorer a posteriori ; autrement dit comment concevoir, de manière scientifiquement fondée, un enseignement des mathématiques ? Comment décrire l’activité mathématique d’une classe et l’organisation des mathématiques que l’on y enseigne ? Comment intégrer efficacement, dans l’enseignement, des ressources technologiques en perpétuelle évolution, afin qu’elles facilitent certains enseignements et apprentissages ? Quels sont les gestes que le professeur accomplit afin d’enseigner, et les élèves afin d’étudier ? Comment penser l’organisation didactique ? Et hors la classe, comment prévoir l’organisation de l’étude ? Quels sont les phénomènes liés à l’enseignement des mathématiques auxquels peut être confronté ou encore que peut sciemment provoquer le professeur ?

 

Pour pallier l’insuffisance des réponses apportées d’ordinaire à ces questions, un enseignant doit pouvoir prendre de la distance par rapport à sa propre pratique. Pour ce faire, il est nécessaire qu’il dispose d’outils didactiques permettant de rendre objectifs les faits d’enseignement afin de les observer, les identifier, les analyser et les anticiper, corriger et améliorer éventuellement les effets qu’ils produisent en termes d’apprentissage. La rencontre avec de tels outils nécessite une formation universitaire de haut niveau basée sur certains des résultats obtenus par la recherche en didactique, et qui demande à être davantage développée ; leur maîtrise un travail régulier associant observation et analyse, et qui soit évalué en formation.

Penser l’alternance théorie-pratique

Par ailleurs, l’identification par de futurs enseignants de mathématiques des questions d’ordre professionnel auxquelles les concepts de la didactique permettent d’apporter des réponses et d’ouvrir des pistes possibles, suppose des périodes de stage dans les classes, sous la direction de professionnels dûment formés à cet effet et qui les aident à accomplir certains gestes du métier. Dans ce domaine, l’expérience, et encore moins l’improvisation, ne peuvent suffire pour assurer une authentique formation. Une telle conception de la formation, associant fortement l’observation puis l’exercice des pratiques enseignantes, dans des conditions s’approchant graduellement des conditions réelles du métier, à la maîtrise des outils méthodologiques et théoriques qui permettent de l’analyser, s’oppose au compagnonnage. Celui-ci s’appuie sur l’idée de mimétisme et ne permet pas la prise de distance nécessaire pour penser sa propre pratique dans une approche fondée sur l’apport théorique qui l’éclaire et permet son contrôle ; il ne saurait suffire à atteindre une formation professionnelle de haut niveau. Une telle affirmation est légitimement admise pour les ingénieurs, les médecins, les avocats par exemple ; la nécessité est la même dans le cas des enseignants. De ce point de vue, penser « formation = compagnonnage », ou « formation = stages émiettés de formation continue » revient à nier la nécessité d’écoles professionnelles internes aux universités formant aux métiers, telles qu’elles ont été mises en place depuis des décennies : agriculture, santé, commerce, transports maritime ou aérien, etc. Aussi, l’expérience en formation professionnelle acquise par les IUFM depuis leur création, sans doute encore perfectible comme il en va de bien des institutions sociales, au lieu d’être annihilée, doit être préservée et développée.

Penser l’organisation de la formation

L’organisation d’une formation professionnelle à l’enseignement ne saurait donc ni prendre la forme d’un émiettement des contenus à travers une multitude d’unités d’enseignement, ni celle qui verrait un supplément d’âme généraliste, relatif à l’éducation, adjoint aux actuels masters disciplinaires. Elle doit être fondée sur un solide enseignement disciplinaire, ou pluridisciplinaire selon les cas (en particulier pour les Professeurs d’Ecole, mais pas seulement) qui soit intégré, c’est-à-dire associant les contenus de savoirs aux outils permettant à la fois d’identifier les problèmes relatifs à leur enseignement et d’agir afin de les traiter. La formation initiale doit continuer de se conclure par la rédaction et la soutenance d’un mémoire digne de ce nom. Ce qui risque fort de ne plus être le cas si l’organisation de l’année de master 2 voit à la fois, comme cela semble de mise dans les projets actuels, des étudiants préparer l’écrit et l’oral d’un concours ainsi que l’obtention d’un diplôme incluant la rédaction d’un mémoire, et s’investir dans des stages en classe. Un mémoire remplit en effet une double fonction : pour les étudiants, apprendre par la recherche, et pour la profession, s’enrichir de la possibilité d’un corpus de travaux apportant des éléments de réponses aux questions auxquelles tout professeur est confronté.

 

L’ensemble des réflexions menées par la communauté mathématique à travers les structures associatives qu’elle s’est donnée, et en particulier l’ARDM, permet de définir, à l’opposé d’une voie engageant vers une régression, des perspectives pour une amélioration de la formation de professionnels de l’enseignement des mathématiques. Les entendre et en tenir compte est-il d’actualité ?…

 

Le 22 juin 2009

 

 

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