Quelques constats et éléments d’analyse concernant l’enseignement des mathématiques à l’école primaire
école, problème
Marie Mégard
Inspectrice générale
Groupe de l’enseignement primaire
Les résultats des élèves
L’enseignement des mathématiques à l’école primaire doit d’abord être jaugé à partir des résultats qu’il produit. Ils nous sont connus par l’exploitation des différentes évaluations nationales menées dans notre pays depuis maintenant 25 ans, mais aussi par les observations, dans les classes, des productions des élèves. Ces résultats, s’ils montrent des forces et des faiblesses, témoignent d’une dégradation depuis vingt ans des acquis dans le domaine des savoir et savoir faire opérationnels numériques, qui n’est pas compensée pas une évolution positive des compétences en résolution de problèmes. Dans ce domaine, il semble que peu à peu l’injonction faite au maîtres de ne pas imposer de méthode a priori mais au contraire de laisser les élèves chercher librement et utiliser longtemps des procédures non expertes, a produit un résultat contraire à celui attendu : la plupart des élèves, livrés à eux-mêmes ne développent pas de stratégie intéressante, et leurs performances en résolution de problème ne progressent pas. La France ne participe à aucun programme international d’évaluation en mathématiques à l’école primaire et nous ne disposons pas d’éléments de comparaison à ce niveau, mais chacun sait, après la forte médiatisation des résultats des enquêtes PISA, que les performances des élèves français de 15 ans en mathématiques ont reculé entre 2003 et 2009, avec une diminution du taux d’élèves très performants et une augmentation du taux d’élèves peu performant. Dans un domaine où l’amélioration des compétences des élèves est jugée essentielle pour la formation des générations futures de citoyens, cette situation inquiète. L’exploitation du PISA 2012, dans lequel les mathématiques sont à nouveau et comme en 2003 une majeure, permettra d’affiner l’analyse des évolutions sur 9 ans.
Compétences des écoliers entre 1997 et 2007
Les résultats d’évaluations sur échantillon faites par la DEPP en 1987, 1999 et 2007 ont fait l’objet de plusieurs communications. On peut en retenir :
Concernant les techniques opératoires :
-
pour l’addition, qui est l’opération la plus facile et la mieux réussie il y a une stabilité des résultats pour les situations très simples (addition sans retenue de deux entiers de deux ou trois chiffres) mais une baisse de 5 à 10 points dès lors que la situation se complique : retenue, plusieurs, nombres, grands nombres, nombres décimaux.
-
Pour la soustraction, la multiplication et la division, la baisse est systématique, et va de quelques points à plus de vingt points. C’est lorsqu’il y a présence de décimaux, et/ou nécessité de gérer des retenues, que la baisse est plus forte (ex : 4700 - 2789,7 ) . Les changements de programme, qui ont reculé certains apprentissages, peuvent expliquer en partie ces très fortes baisses ; le défaut de maîtrise des tables aussi ; mais disons que dans l’ensemble c’est la familiarité avec les nombres et les opérations sur les nombres qui fait plus défaut aujourd’hui qu’il y a vingt ans : ainsi le problème : complète en remplaçant les points par les chiffres qui conviennent l’opération suivante : 68â–ª8+1â–ª7â–ª.=. ▪▪613 , qui porte sur des opérations du cycle 2, fait partie des exercices qui voient la plus forte baisse des résultats.
Concernant la résolution de problèmes
Les résultats dont on dispose concernent la résolution de petits problèmes relevant de l’une des quatre opérations ou de la proportionnalité. A partir des résultats dont on dispose, même s’ils sont partiels, on peut dire qu’il n’y a pas d’évolution perceptible entre 1987 et 2007.
Depuis 2007
On ne dispose pas, aujourd’hui, d’évaluations sur échantillon standardisées permettant des comparaisons dans le temps tout à fait fiables au-delà de 2007. Mais les évaluations d’entrées en 6e 2007 et 2008, ainsi que les évaluations bilan CE1 et CM2 qui ont lieu chaque année depuis 2008, nous donnent des indications. Il semble que la connaissance des tables s’améliore, ainsi que la réussite des opérations posées. Pour la résolution de problème…on ne constate toujours pas de remontée significative. A titre d’exemple, le problème :
10 objets identiques coûtent 22 €, combien coûtent 15 de ces objets ?
A été réussi par 30,7% des élèves aux évaluations 6e 2007, et par 30,9% des élèves aux évaluations CM2 2001.
La question majeure qui se pose à tous aujourd’hui est : que faire pour que les élèves progressent en résolution de problème ?
L’activité mathématique en question
« Faire des mathématiques, c’est résoudre des problèmes ». La plupart des personnes impliquées dans l’enseignement des mathématiques à un titre ou à un autre peuvent être d’accord avec cette assertion. Il n’est pas certain en revanche que chacun lui donne toujours exactement le même sens.
Envisageons quelques questions autour des mathématiques et des problèmes :
Q1 : Est-ce que acquérir des connaissances sur les nombres c’est faire des mathématiques ?
Q2 : Chercher dans sa tête un résultat des tables de multiplication, est-ce que c’est résoudre un problème ? Plus généralement, calculer, est-ce que c’est résoudre un problème ? Toujours ? Jamais ? la réponse est-elle la même selon qu’il s’agit par exemple, en CM2, d’effectuer le calcul en ligne 10 : 2 ou bien le calcul 20,4 : 4 ?
Q3 : à propos du terme « résoudre » : résoudre un problème additif en dessinant un à un les éléments de chacun des ensembles puis en comptant le nombre d’éléments de la réunion, c’est faire des mathématiques ? La réponse est-elle la même selon que cette résolution est observée de la part d’un élève de CP, d’un élève de CM2 ou d’un élève de 5e ?
Q4 : Ne doit-on qualifier de « problème », en mathématiques, que ceux qui sont ouverts, ou jamais encore rencontrés, pour lesquels l’élève ne dispose pas d’une procédure routinisée ? ou bien, dit autrement : si l’élève dispose d’automatismes efficaces pour la résolution d’un problème, est-ce encore un problème ?
On voit bien que les réponses à ces questions ne sont pas immédiates, et pas toujours uniques. Selon le niveau de classe, les élèves, ou les données même de l’exercice, l’appréciation peut varier.
Mais on perçoit bien aussi l’idée de progression : à un moment donné de la scolarité de l’élève, le calcul de 6x8 peut être un problème ; à un autre moment, le calcul de 10 : 2 doit être si immédiat, si « automatique » qu’il ne doit plus, justement, être un « problème ».
On pourrait avoir un point de vue comparable sur les problèmes standards associés à une des quatre opérations : véritables problèmes ouverts à un moment donné pour l’élève ils doivent progressivement devenir tellement faciles à résoudre qu’ils ne nécessiteront même plus d’être distingués de simples données : par exemple la phrase « j’achète un pain à 2 euros et un pain à 3 euros» peut faire partie des premières données d’un énoncé en CM2 alors qu’elle constituera à elle seule l’énoncé d’un problème ouvert en moyenne section de maternelle…
En fait, dans l’assertion « faire des mathématiques, c’est résoudre des problèmes » il y a un implicite très fort : on suppose que « résoudre des problèmes » a un sens absolu, et aussi qu’une question mathématique donnée est universellement « un problème » ou pas. Evidemment, cet implicite ne résiste pas l’étude.
Plutôt que de chercher à définir ce que c’est que faire des mathématiques, ou, ce qui revient au même, qu’est-ce qu’un problème et qu’est-ce que résoudre un problème, on pourrait plutôt chercher à préciser ce que c’est qu’enseigner les mathématiques : par exemple : accompagner les élèves dans l’appropriation des objets, savoirs et savoir faire mathématiques, guider le cheminement intellectuel vers la modélisation progressivement plus épurée des situations et la résolution de problèmes de plus en plus complexes. Du comptage au calcul, du dessin au schéma puis du schéma à l’opération, du problème de calcul à la mémorisation d’un résultat courant ; etc.
Avec une telle définition, qui reste certainement à améliorer, les questions posées ci-dessus s’appréhendent en termes de repérage d’une position de l’élève et de la tâche qui lui est proposée sur un chemin vers la maîtrise de savoirs mathématiques. La relativité est mise en évidence : une même tâche a un statut différent et doit être traitée de façon différente selon le niveau de classe.
Aujourd’hui la notion de problème est en quelque-sorte sacralisée.
Elle semble s’opposer à celle de savoirs et en particulier de savoirs numériques (connaissance des nombres, sur les nombres, et opérations), qui sont pourtant nécessaires pour résoudre des problèmes et peuvent en certaines circonstances faire eux-mêmes l’objet de problème.
Parmi les conséquences de cette mauvaise compréhension des enjeux de la résolution de problèmes pour la construction de savoirs mathématiques, on peut en citer une en particulier : comme il s’agit avant tout de « chercher » des problèmes, toutes les méthodes sont bonnes, sans hiérarchisation et quel que soit le niveau : résoudre un problème additif en dessinant et en comptant est « aussi bien », et ne témoigne pas de compétences de niveau différent, que de le résoudre en modélisant et en écrivant l’opération. La première méthode n’est pas vue comme une étape – nécessaire mais que l’on doit amener tous les élèves à dépasser- vers la seconde. Plus généralement le dessin et le schéma, qui sont des moyens de représenter une situation, sont trop souvent considérés comme des procédures parmi d’autres et ne sont pas assez utilisés comme des clés pour l’entrée dans le monde mathématique des nombres et des opérations. Au bout du compte le sens des opérations ne se construit pas assez sûrement chez tous les élèves. Ce qui les empêche de se lancer avec confiance dans des recherches de problèmes plus complexes, et constitue un handicap difficilement surmontable au collège.
Comme deuxième conséquence de cette sacralisation du problème, il y a eu pendant de nombreuses années une dévalorisation des connaissances sur les nombres et des pratiques de calcul. Or non seulement ces connaissances et ces pratiques sont nécessaires pour résoudre les problèmes car comme maintenant presque tout le monde en convient disposer d’automatismes permet de concentrer l’attention sur l’élaboration de raisonnements et de stratégies globales, et de faire les bons choix, mais elles sont aussi utiles, bien souvent, pour entrer dans le problème : parce qu’à la lecture d’un énoncé dont les termes nous sont familiers, dont les données nous parlent, sont « vivantes », il est plus facile de visualiser la situation, de commencer à traiter certaines données ou parties du problème. Ainsi, si je lis qu’il y a 150 élèves dans une école et vingt-cinq élèves dans chaque classe, j’aurais bien plus confiance en moi pour me lancer dans le calcul si je sais d’avance que 150 a des chances d’être un multiple de 25….même si je ne connais pas par cÅ“ur la table de 25 ! En revanche, si l’existence d’une relation simple possible entre 25 et 150 ne m’apparaît pas, me lancer dans une division dont j’ignore complètement le résultat sera plus lourd. Pour nous en convaincre, imaginons un deuxième énoncé dans lequel il y aurait 168 élèves et 24 élèves dans chaque classe….c’est plus difficile pour tout le monde!
Pour conclure sur la question de l’activité mathématique dans les classes primaires, on peut dire que si l’on souhaite que nos élèves apprennent mieux à résoudre des problèmes, il devient urgent de clarifier pour tous les enseignants ce que l’on entend par « enseigner les mathématiques » et en particulier par « enseigner la résolution de problèmes ».
Le contexte, les ressources
Comment expliquer les faiblesses de certains résultats et de certains enseignements ? Que peut-on faire ?
A grands traits, voyons quelques éléments de contexte, et les ressources de l’école primaire aujourd’hui.
Les programmes
Depuis les années 80, les programmes de mathématiques de l’école primaire ont, en fait, peu changé : place importante du problème ; maîtrise des opérations, approche des décimaux et des fractions simples, proportionnalité, représentations graphiques, éléments simples de géométrie plane et dans l’espace, mesures de grandeurs usuelles.
Le rythme d’apprentissage des quatre opérations a un peu varié, l’écriture des programmes par cycles a aussi durant quelques années induit un certain retard dans l’enseignement de ces opérations ou celui des nombres décimaux, du fait de l’insuffisance des programmations au sein des écoles : ce sont des éléments qui ont eu leur importance, mais aujourd’hui les enseignants disposent d’indications claires qui doivent lever ces ambiguïtés.
Les horaires
L’horaire hebdomadaire d’enseignement des mathématiques est passé de 6h en 1980 à 5h en 2008. Mais dans le même temps l’horaire hebdomadaire global a été réduit à 24 heures, et d’autre part deux heures d’aide personnalisées ont été introduites, qui sont presque exclusivement dédiée au français et aux mathématiques. Du fait de la semaine de quatre jours, les élèves ont aujourd’hui quatre séances de mathématiques dans la semaine.
Les maîtres
Les professeurs des écoles ne sont pas spécialisés. Aujourd’hui les intervenants extérieurs ne sont pas nombreux, et assurent essentiellement un appui pour l’EPS. Même si ça et là on observe des échanges de service, c’est le plus souvent pour l’enseignement de la langue vivante, et ne concerne de toutes manières jamais les mathématiques. Tous les professeurs des écoles enseignent donc les mathématiques, alors même que les statistiques nous indiquent qu’ils sont moins de 20% à avoir suivi un cursus universitaire scientifique, et moins de 5% un cursus universitaire en mathématiques.
Dans ces conditions, la question des outils est particulièrement importante. Or l’arrivée massive des fichiers, qui ont entièrement remplacé les livres au CP et au CE1, sont majoritaires au CE2 et commencent même à gagner du terrain au cours moyen, a des conséquences très fâcheuses. Car les fichiers favorisent une mise en activité de type occupationnelle, et masque la faiblesse de l’activité mathématique réelle.
Les IEN
Les inspecteurs sont majoritairement, et de plus en plus, issus du corps des professeurs des écoles. Le raccourcissement de leur période de formation, et le peu de d’adaptation de cette formation à leurs besoins individuels, rend en effet de plus en plus compliqué le recrutement de professeurs du second degré dans le corps des IEN premier degré.
Les inspecteurs du premier degré sont conscients du manque d’efficacité de l’enseignement des mathématiques dans les écoles. Mais il n’est pas simple pour eux de trouver des réponses aux besoins qu’ils constatent car eux-mêmes sont trop souvent démunis en mathématiques, n’ayant qu’une formation rudimentaire dans ce domaine.
Depuis 2010, dans chaque département a été désigné un inspecteur chargé de la « mission mathématiques ». Les inspecteurs chargés de cette mission ont été réunis deux fois en séminaire de trois jours durant l’année scolaire 2010-2011 avec des IA-IPR de mathématiques. Organisés par l’ESEN, la DGESCO et l’IGEN, ces séminaires co-animés par des universitaires, des inspecteurs et des inspecteurs généraux ont jeté les bases d’un travail collaboratif aux niveaux académiques et national, et fourni des possibilités de formation en mathématiques et de formation de formateurs pour ces IEN chargés de relayer auprès de leurs collègues en département.
La formation
La formation initiale des professeurs des écoles évolue au fil des réformes. Celle dite de la masterisation impacte à deux nivaux : au niveau de la formation initiale, puisque le concours comporte aujourd’hui une épreuve écrite strictement académique et une épreuve orale « de leçon » à caractère pédagogique, les deux volets – académique et pédagogique- sont chacun valorisés, et non compensables : il faut en effet, pour réussir le concours, avoir franchi le seuil de l’admissibilité et donc avoir démontré des compétences en mathématiques, puis franchir le seuil de l’oral et donc attester d’un niveau suffisant de réflexion sur l’enseignement des mathématiques à l’école primaire.
La formation complémentaire proposée lors de l’année de stage s’organise différemment selon les académies. Elle est globalement progressivement de plus en plus assurée au niveau des circonscriptions, par des maîtres formateurs ou des conseillers pédagogiques. La qualité de l’apport en mathématique sera donc liée à la capacité qu’auront ces formateurs à faire partager, sur la didactique des mathématiques, un discours adéquat.
La formation continue des enseignants du premier degré est de deux sortes. La formation départementale, qui aujourd’hui est plutôt réservée aux formations statutaires des directeurs par exemple, et la formation en circonscription. Celle-ci, d’une durée annuelle de 18 heures, soit 6 demi-journées pour tous les enseignants, offre de réelles possibilités et constitue un véritable enjeu pour les années à venir : si les inspecteurs et leur équipe de circonscription disposent des compétences et des aides nécessaires, ils pourront faire de ces 18heures annuelles (soit pas loin d’une année sur l’ensemble de la carrière) des temps de formation riches. C’est pourquoi les DGESCO, l’ESEN et l’IGEN développent, au niveau national, un système de ressources en direction des formateurs, IEN, conseillers pédagogiques ou maîtres formateurs :
-
documents d’accompagnement : parution en 2010 du document « le nombre au cycle 2 », parution à venir très prochainement du document « apprentissages numériques au cycle 3 », projet d’un document sur la géométrie et les grandeurs ;
-
mise à disposition de supports de formation sur le site EDUSCOL ;
-
animation d’un site collaboratif national pour les IEN, sous la direction de l’ESEN ;
-
formation continue des IEN chargés de la mission mathématiques : séminaires déjà tenus en 2010 et 2011, un troisième étant prévu en octobre 2012.
Conclusion
L’enseignement des mathématiques à l’école primaire n’a pas aujourd’hui l’efficacité qu’il mérite au regard des enjeux de la formation des futurs collégiens, lycées, étudiants et citoyens français. Tous les constats convergent, qu’il s’agisse des résultats aux évaluations nationales et internationales, ou des observations dans les classes.
Mais il y a une réelle prise de conscience des besoins et des enjeux, ainsi qu’une mobilisation des acteurs de terrain, de l’institution et d’universitaires.
Queques évolutions commencent à être perceptibles dans les pratiques, des progrès sont possibles, nous en sommes convaincus : en travaillant ensemble, dans la confiance et en synergie, il nous faut relever le défi !