Enseignants / Enseignement / Apprentissage des « maths » à l’école primaire
Mots-clefs : enseignants, enseignement, école primaire
Jean-Jacques Calmelet
IEN
Académie de Lille
Enseignement du premier degré
L’enseignement à l’école primaire repose sur une unité : un seul enseignant pour une classe, pour tout le programme. Cette structure est plus nuancée lorsque des échanges de services (chorale, langue vivante…) exploitent quelques spécificités dans une équipe, lorsque des intervenants (EPS, musique…) sont associés à l’enseignant (en ville surtout ?). Très généralement cependant, le même enseignant assure l’enseignement des mathématiques et du français.
La polyvalence reste relativement indéfinie, non enseignée, voire ignorée de l’université où elle semble ne pas avoir de statut ! Au mieux, on la considère comme l’addition de connaissances (expertes, bien entendu). Pour tout « savant » parlant d’école primaire, l’entrée disciplinaire est une évidence, y compris lorsque la discipline de l’école n’a pas d’existence ailleurs (la « découverte du monde » n’est un domaine qu’en maternelle et CP/CE1 et sans aucun relais universitaire).
Enseignants du premier degré
Chaque enseignant du primaire a un parcours (second degré puis université) fait d’orientations induisant des choix disciplinaires, par abandons successifs ou priorités de plus en plus réduites : lorsqu’il accède au statut de « professeur d’école » on observe que ceux qui ont suivi un parcours scientifique sont très minoritaires et rares sont ceux qui ont un diplôme de mathématiques. Les formateurs (conseillers pédagogiques) ont tous cette origine, les IEN majoritairement : la culture de « professeur d’école » est la base de tous ces acteurs.
Deux conséquences sont sensibles :
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peu d’enseignants estiment problématique l’enseignement des mathématiques dans leur classe (quelques indicateurs relatifs aux apprentissages des élèves interrogent pourtant les pratiques d’enseignement) ;
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les propositions de formation (principalement, sous la responsabilité des IEN aujourd’hui) sont rarement à la hauteur de la place de cet enseignement dans les horaires, de l’analyse des résultats des élèves… Le parcours des formateurs peut expliquer une part d’évitement de la formation continue en math et le creuset des formateurs plus spécialistes est restreint.
Les priorités institutionnelles du travail relatif à la maîtrise de la langue pendant de nombreuses années ont entraîné, pour tout l’encadrement, un renforcement de ce champ dans les engagements et la culture professionnels. L’efficacité de toute action entreprise ne peut ignorer cet état : c’est la culture des « cibles » de la « conférence nationale sur l’enseignement des maths »… et l’enseignement reviendra, finalement, aux enseignants eux-mêmes : que l’on s’adresse à des enseignants, à leur encadrement, à leurs formateurs, éluder la réalité de la culture actuelle de l’ensemble des acteurs du 1er degré condamnerait par avance toute diffusion, tout écho de la réflexion engagée.
Les programmes
Quelques remarques sur l’état des pratiques et la mise en Å“uvre des programmes 2008.
Élémentaire (horaires) : Proportionnellement, il y a plus de maths depuis le passage à la semaine de 24h (on est passé de 5h sur 27h de travail hebdomadaire à 5h sur 24…). Pour autant, on peut observer que dans beaucoup de classes, c’est la tradition d’une séance par jour qui l’emporte (un jour de moins = une séance en moins : à la fin de l’année, cela fait 20 à 30 séances en moins) !
Maternelle : Le mot « mathématique » a disparu (depuis les programmes 2002). Cette disparition n’a pas été accompagnée suffisamment pour permettre aux enseignants d’appréhender ce changement radical. Au-delà de l’abandon du mot, c’est un radical changement de perspectives, de conception, d’enseignement qu’appelait le passage au domaine de la « découverte du monde ». La dialectique outil / objet présente dans cette évolution (on utilise les connaissances en maternelle – quelques formalisations limitées : l’écriture des premiers nombres / ils deviennent des objets d’apprentissage à partir du CP) impactait et impacte sensiblement le rapport aux activités et les apprentissages attendus (les programmes 2008 sont dans la continuité), entretenant une très grande variabilité des connaissances et capacités des élèves à la fin de l’école maternelle.
Ainsi, considérer qu’une même formation peut indifféremment être destinée à un enseignant en maternelle ou en élémentaire semble en décalage avec les attentes institutionnelles des programmes. Le passage maternelle / élémentaire (avec une véritable entrée disciplinaire au CP) n’est pas anodin : l’histoire de l’école maternelle n’est pas la même, le temps de la maternelle (temps de l’élève, de la classe, de l’enseignant… des temps plus longs) n’est pas celui de l’élémentaire (des échelles de temps plus – trop – courts : la séance, la séquence…). L’ignorer conduit à des méprises dont les conséquences sont sensibles au niveau des élèves (la quantité de fiches, d’activités papier-crayon dès la maternelle, de fichiers à compléter au cycle 2, par exemple, se substituent au travail mathématique attendu).
Les programmes 2008 et les formateurs…
Les programmes 2008 ont retenti davantage des critiques que des accompagnements nécessaires pour en comprendre leur conception et particulièrement l’articulation sens et technique. Ce qui n’a pas été compris, ce qui résiste encore, relève d’un renversement de tendance : la référence durable, inspiration des formateurs en math, n’a pas trouvé une nouvelle voix.
L’équipe reconnue (ERMEL) et très écoutée (référence de nombreux formateurs) qui a accompagné la révolution culturelle depuis les années 70/80 a construit des pratiques permettant de passer de la solide tradition des techniques à la priorité du sens. C’est cette logique qui garde une considération relevant de l’excellence (en inspection, en formation, c’est la « résolution de problèmes » qui est montrée, travaillée, sans que soient bien identifiées les connaissances visées effectivement (Rapport IGEN 2006 : « L’enseignement des mathématiques au cycle 3 de l’école primaire »).
L’accompagnement des programmes 2008 peine à promouvoir l’étroite dépendance du sens et des techniques. Faisant consensus au niveau de la recherche, cette articulation n’est pas lue dans les programmes. La disparition du champ « résolution de problèmes » est interprétée comme un abandon du sens alors qu’il n’y a pas de dévalorisation de l’enseignement des problèmes. C’est bien au contraire une clarification, dont l’idée de catégorisation peut structurer un parcours d’enseignement progressif (« modéliser » est inscrit dans les capacités attendues en matière scientifique - « socle commun »).
En maternelle, une dialectique sensible doit également appeler une réflexion profonde à propos des pratiques habituelles : lorsque l’élève est en activité, est-il en apprentissage ? Apprentissages, dont la clarification est un enjeu majeur avant l’entrée dans les pratiques disciplinaires du CP.
Pour les formateurs, une action spécifique autour des ruptures et des continuités dans le passage d’un texte à l’autre nécessaire à la mise en Å“uvre des programmes 2008 a tardé, manqué de ressources. Le délai d’actualisation des documents d’accompagnement a été trop long (« Le nombre au cycle 2 » en 2010 – « Le nombre au cycle 3 » est à venir… Quid de la maternelle, de la géométrie ?) est, reste un obstacle sensible et durable pour les formateurs et pour les enseignants.
Apprentissages des élèves du premier degré
Connaissances
Deux types d’exercices sont réussis par environ 70% des élèves :
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Les techniques opératoires : elles restent l’image forte du travail de l’école (réelle attente des familles qui renforce le travail des enseignants ; un temps important leur est consacré).
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Les « tables de multiplication» (évaluations nationales CM2 –2010 et 2011) : plus de 75% des élèves ont mémorisé au moins 9 résultats sur 10.
Remarque : Dans les deux cas, la présence de décimaux réduit le taux de réussite.
Cela relève des « connaissances ».
Capacités
Du point de vue des « capacités », les performances des élèves dans l’usage des connaissances en calcul mental et en problèmes (y compris dans le domaine des mesures) sont très préoccupantes et montrent que les savoirs ne sont pas disponibles dans les situations où l’élève doit prendre l’initiative de les activer.
Exemples
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Calcul mental : 8,3 x 5 (2011 – 55%) 246 + 34 + _ _ _ = 500 (2011 – 52%)
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Problèmes simples (une seule opération) : (2011 – 48% en moyenne). Ex. (26%) J’ai 24 tickets d’entrée à un parc de loisir. Le prix total est de 300€. Quel est le prix d’un ticket?-
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Proportionnalité : (2011 – 41% en moyenne). Ex.(31%) 10 objets identiques coûtent 22€. Combien coûtent 15 de ces objets?
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Mesure : en moyenne, la réussite de ce champ atteint à peine un élève sur deux (CM2 2010 et 2011)
Les résultats montrent que les apprentissages techniques (opérations, tables) conservent leur place (emblématique) dans les pratiques du 1er degré. Cependant, ces apprentissages résistent mal à l’entrée des décimaux au cycle 3. Il y a par contre un très grand malentendu sur l’utilisation de ces connaissances en situation : le recours à une opération adaptée dans le cas d’un problème simple (problème à une seule opération – cas simples de proportionnalité) n’est pas majoritairement réussi. Dans tous les cas, la logique d’un enseignement nombre / calcul / problème n’est pas suffisamment intégrée par les enseignants (et la majorité des manuels à leur disposition ne construit pas suffisamment cette étroite interdépendance).
La question du sens interroge le rapport entre les pratiques sociales actuelles et les savoirs scolaires. Les conceptions de chacun, les nôtres comme celles des élèves, s’élaborent dans le contexte social, dans l’usage des nombres, des calculs, des mesures, dans les problèmes qu’ils ont à résoudre.
De ce point de vue, on doit regarder le champ des mesures avec inquiétude. La société a révolutionné ses rapports aux mesures : les mesures étaient un champ où le nombre et le calcul s’engageaient au quotidien de la vie sociale courante et nourrissaient les conceptions en construction (bien au-delà des enseignements). On constate que ces pratiques sont de plus en plus éloignées des opérations de l’école : le mesurage (quelle que soit la grandeur) n’utilise plus les instruments (la pesée, le métrage, les paiements ont tous des instruments qui donnent les valeurs – la balance Roberval n’a d’existence qu’à l’école…) ni les petits calculs (le calcul, en caisse, est le plus souvent automatisé… et la carte bleue se substitue à l’échange de monnaie).
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L’écart croissant entre le niveau des élèves et le niveau attendu a un retentissement important sur l’ensemble du domaine mathématique.
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L’enseignement des mesures devrait faire référence aux problèmes de la vie courante.
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La réflexion sur la construction du sens, c’est-à -dire, le terrain des usages du savoir scolaire, mérite d’être actualisée. L’approche des connaissances à construire autant que leur construction est un objet sensible qui doit conduire à des pratiques où les « conversions » ne constituent pas l’essentiel des activités de l’école (le travail sur les « grandeurs » – mot peu intégré – sur l’ordre de grandeur).
Réussite des élèves :
Évaluations nationales 2011 (étude comparée CE1 / CM2…)
INSERER DIAGRAMME
Chaque année, on observe une tendance similaire, une importante érosion du taux d’élèves ayant les meilleures réussites et une augmentation très sensible des élèves dont les scores sont fragiles (ce constat était identique entre CE2 et 6ème - suivi d’une même cohorte, ce n’est pas le cas ici – cette étude pourra reprendre en 2012 entre CE1 et CM2).
Deux hypothèses (non exclusives l’une de l’autre…) :
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L’enseignement des mathématiques au cycle 3 repose sur quelques insuffisances ou tout au moins des malentendus (décimaux, mesures, proportionnalité) : le fondement théorique relève d’un niveau mathématique qui repose sur des notions et des connaissances didactiques qui vont au-delà du « bon sens ». une synthèse de ce qui est connu et peut (à son avis) aider un professeur à améliorer son enseignement ? Comme à Brousseau, et aux américains dont je ne désespère pas avoir une réponse favorable, on lui demande d'un côté des points précis et relativement faciles à faire et des questions plus délicates dont la réponse suppose des travaux spécifiques à développer ?
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Les bases du cycle 2 sont insuffisamment ancrées, maîtrisées, pas suffisantes pour que les élèves puissent bénéficier des apprentissages nouveaux du cycle 3. Les mathématiques sont une discipline cumulative : les bases doivent être solides pour y fonder les situations plus complexes.
Conclusion :
Qui seront, que seront les professeurs de l’école de demain ?
Les enseignants de l’école maternelle pourront-ils être les mêmes que ceux du cycle 3 ?
Ceux du début du collège seront-ils aussi différents de ceux du cycle 3 ?
Des enseignants de « l’école du socle commun » justifieront-ils d’un parcours harmonisé :
École du socle / Enseignants du socle ?
Aujourd’hui, il est essentiel d’accompagner des maîtres qu’on ne parvient pas à former suffisamment…
Dans la conjoncture actuelle, il semble nécessaire de prendre en compte la spécificité des enseignants du premier degré : leur polyvalence. Les ajustements passent par une acculturation dans les domaines où ils n’ont pas les bases notionnelles adaptées et supposent un fort processus de différenciation. Ce n’est pas dans notre culture universitaire : la formation initiale doit intégrer des ajustements de fond (qui ne se limitent pas aux seules mathématiques). La formation continue gagnerait à investir davantage la logique des équipes d’école pour baliser, étayer et consolider la cohérence et la continuité des apprentissages dans un projet d’établissement partagé dans la perspective de la scolarité (niveau maternelle – niveau élémentaire) tout en poursuivant le travail de liaison maternelle / élémentaire et élémentaire / collège.
Ces perspectives ne peuvent ignorer les modifications sensibles que les évolutions technologiques engagent dans le rapport au savoir, y compris le savoir-faire pédagogique. Les TNI, les ordinateurs individuels, les « tablettes » numériques et leurs corollaires, ont des incidences importantes sur les pratiques enseignantes et sur les savoirs enseignés (et pas uniquement en mathématiques !). La formation et l’accompagnement de ces évolutions technologiques peuvent-il être laissés aux seuls curieux ?
Les modifications et évolutions des programmes successifs nécessitent en mathématiques, un accompagnement appuyé, passant par des réseaux à constituer ou à entretenir (cet accompagnement demande une meilleure synchronisation entre l’évolution des textes et les outils qui permettent de les mettre en Å“uvre, raisonnablement). Les conceptions qui justifient les évolutions méritent un effort de vulgarisation afin de mettre à portée des acteurs les fondements qui leur donnent sens.
Les transitions maternelle / élémentaire et élémentaire / collège restent des points de passages fragiles dont il faut travailler les continuités en partageant davantage la progressivité et les ruptures qui doivent être préparées, donc, connues (le passage du dénombrement au calcul, le passage de la preuve à la démonstration, le passage à l’algèbre…).
Les indicateurs des résultats des élèves en mathématiques ne doivent pas aggraver le caractère anxiogène de cet enseignement ; ils ne doivent pas participer à déconsidérer les qualités et l’investissement importants de tous les enseignants du premier degré.
Les outils à mettre à leur disposition sont un enjeu essentiel du travail de l’institution, de ses cadres, de ses formateurs.
La « conférence nationale sur l’enseignement des mathématiques » peut contribuer à ressourcer et à mobiliser l’encadrement et les formateurs afin qu’ils accompagnent davantage les enseignants pour leur permettre d’entraîner tous leurs élèves un peu plus loin.