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Un point de vue à propos du manuel scolaire de mathématiques à l’école primaire

Dernière modification 01/03/2012 09:55

Mots-clefs : école, ouvrages, ressources, formation, didactique

Joel Briand

Maître de conférence

Université Bordeaux IV IUFM

 

Introduction

Le manuel scolaire de l’école élémentaire est porteur d’un discours : en ce qui concerne l’équipe à laquelle j’appartiens, les objectifs principaux que nous nous sommes fixés pour la construction des progressions, le choix des situations et la rédaction du manuel de l’élève et du guide pour le professeur sont les suivants :

  • mettre en évidence différentes facettes des mathématiques (outil pour la vie quotidienne, pour d’autres disciplines, objet d’étude qui peut être fascinant, ludique) ainsi que la variété des champs étudiés (géométrie, nombres, mesure) ;

  • maintenir une problématisation des savoirs, éviter autant que faire se peut l’ostension1 (ou l’ostension1 déguisée), et si l’on ne peut l’éviter, du moins trouver des moyens pour qu’elle ne fasse pas obstacle au travail de recherche et d’appropriation personnelle des questions ;

  • ponctuer la vie scolaire mathématique en organisant dans une planification annuelle les situations et activités de découverte, les consolidations, les phases d’institutionnalisation, les entraînements, les évaluations ;

  • permettre à l’enseignant de pouvoir effectuer un pas de côté pour réfléchir sur sa pratique. En cela, le livre du professeur peut aller au-delà du simple « cahier des réponses » et être un vecteur de réflexion didactique.

Rédiger un manuel scolaire c’est effectuer un travail pratique de transposition. Mais de nombreux écueils attendent les auteurs :

  • Les situations, lorsqu’elles sont évoquées dans le manuel de l’élève ont dû être construites par le professeur, invité qu’il est en cela par le livre du professeur. La question décisive, à cet égard, est celle de la problématicité des savoirs. Reprenons ce que déclare Yves Chevallard : « tout savoir n’est d’abord qu’une hypostase, une entité supposée, une idée de substance, dont nous faisons l’hypothèse en certains contextes institutionnels, en supposant que tel ou tel agit comme si ses gestes procédaient d’un certain corps de connaissances, que nous croyons deviner à travers son faire. Il faut ici, avec le didacticien, passer de l’autre côté du miroir : ce savoir réputé sûr parce qu’il est censé assurer nos gestes n’est en fait lui-même jamais assuré. »… « Toujours le savoir fait problème. Au-delà d’un faire observable, un savoir supposé renvoie, plus globalement, à ce que je nomme une organisation praxéologique, ou praxéologie. À l’origine d’une praxéologie se trouvent une ou plusieurs questions qui, génétiquement, apparaissent comme les raisons d’être de l’organisation praxéologique, parce que celle-ci est censée leur apporter réponse. » (Chevallard, 1994). Comment concilier alors une organisation linéaire d’un manuel scolaire, liée au rythme de la classe et au programme, et une approche qui concilie fréquentation de situations a-didactiques et une organisation praxéologique acceptable ?

  • Le manuel scolaire, en scénarisant des situations, ne fait que les évoquer. Or rien ne garantit les auteurs d’une utilisation a minima de leur manuel. Dans ce cas, même si les auteurs s’en défendent, l’élève peut être amené à faire des mathématiques comme le téléspectateur fait du football. Les réponses des élèves sont évaluées et non pas validées ou invalidées (au sens de la théorie des situations).

  • Pour montrer que les auteurs ont bien prévu certains comportements, une tendance consiste à demander aux élèves, dans le fichier, leur avis sur des travaux d’élèves fictifs ayant produit des erreurs typiques. Cette tendance est dangereuse si l’activité n’est pas précédée d’une réelle activité mathématique sur le thème donné. On n’apprend pas en visitant toutes les erreurs qui peuvent surgir lors d’un apprentissage.

  • D’un point de vue déontologique : peut-on affirmer que l’on « s’appuie sur les résultats récents de la recherche » ? G. Brousseau mettait, il y a déjà longtemps, en garde les formateurs sur ce qu’il nommait la « perméabilité didactique » : cette vocation du formateur à montrer des séquences « laboratoire » (sans doute pour justifier sa raison d’être) sans se préoccuper des inévitables questions de transposition non évoquées qui allaient être immanquablement à la charge du futur enseignant formé. Utiliser alors comme argument de diffusion, de façon ostentatoire, les recherches sur la psychologie de l’élève, la didactique des mathématiques, etc..., c’est, d’une certaine façon, nier ce qui est un objet d’étude en didactique des mathématiques : la question de la transposition des savoirs.

     

Les contraintes de l’édition

Pour les éditeurs, le manuel est un produit à diffuser. Les auteurs doivent donc comprendre cette logique tout en ne renonçant pas à leurs projets didactiques.

  • Ils peuvent être amenés à construire, dans le cadre des programmes qui sont rédigés par cycle, des progressions conformes à l’organisation didactique des savoirs, même si cela nécessite quelques « entorses » aux repères proposés dans le texte officiel par niveau de classe. Faire accepter ce point de vue par l’éditeur n’est pas toujours facile puisque l’éditeur doit se porter garant de la conformité aux programmes : il est donc très vigilant sur ce point.

  • La tendance actuelle des éditeurs est de vouloir qu’un manuel scolaire en mathématiques se rapproche d’un cahier de vacances : « un peu de tout chaque jour », pour ne pas paraître trop austère et parce que le choix du manuel par les enseignants s’effectue souvent en feuilletant quelques pages. Considérer par exemple comme « vieux jeu » de faire une semaine plutôt dédiée au démarrage de la construction de l’algorithme de la division est très tendance. Cette attitude conduit à renoncer à l’idée d’ouvrir des « chantiers ». La conséquence se mesure dans les classes : c’est le papillonnage.

  • Le manuel scolaire est contraint par les programmes mais il ne doit pas céder à la doxa du moment. Il faut éviter les effets d’annonce, bien souvent sans fondement théorique, plutôt destinés à « fidéliser » un « client », et qui déstabilisent un peu plus les enseignants. Par contre, il serait regrettable de renoncer à certains choix au prétexte de ne pas froisser les habitudes. Ces choix doivent alors être longuement justifiés.

  • Enfin, comment comprendre qu’une collection complète du cours préparatoire au cours moyen deuxième année soit présentée 3 mois après que des programmes sont publiés lorsque l’on sait que la rédaction d’un manuel nécessite au moins 6 mois de travail ?

     

Pour conclure

Le manuel scolaire et l’évaluation

Le manuel scolaire ne peut pas prendre en compte complètement l’évaluation. Celle-ci ne peut être raisonnablement bien pensée que pour des élèves réels après un enseignement effectif. Le rôle d’un manuel ne peut être finalement que de donner des pistes pour que les professeurs puissent mettre en lien des compétences à tester chez les élèves et des exercices. Les propositions d’évaluation que nous (auteurs) faisons se fondent donc sur des hypothèses de travail dont nous ne sommes pas certains et sur une activité potentielle que nous n’avons pas maîtrisée. Elles ne peuvent pas tenir compte de la spécificité d’un élève, d’une classe, d’un professeur. Ce sont des évaluations de produits finis écrits, ce qui limite leur potentiel d’analyse. Elles sont présentes dans le livre de l’élève (ce que je dois savoir faire seul) et dans le livre du professeur (banques d’exercices, fiches autocorrectives). Enfin, certaines évaluations ne peuvent se réaliser qu’au travers d’observations de situations d’actions, ce que le manuel du professeur ne peut que suggérer.

 

Le manuel scolaire : outil de formation

Actuellement, c’est le manuel, souvent accompagné du livre du professeur qui est la ressource journalière que l’enseignant consulte pour se mettre au clair avec les savoirs. C’est dire si l’enjeu est de taille pour les auteurs2. Les manuels permettent de structurer des périodes de classe, de bien différencier les situations de première rencontre avec une notion, les situations de consolidation, d’entraînement, d’évaluation. Mais on assiste actuellement à un nivellement « par le bas » : remplissage de fiches, abandon de mise en scène de situations d’apprentissage. La formation est là encore à réinterroger. Notre point de vue d’auteurs est qu’il serait nécessaire de mieux lier manuel scolaire et outil de formation. Dans notre démarche nous avons décidé de proposer, en première partie du manuel pour le professeur, des moments de mise à distance qui constituent une mini-formation en didactique. Mais on peut aller plus loin : il est techniquement aisé d’associer au manuel numérique des extraits vidéo permettant de montrer un déroulement attendu de classe (voir, pour l’exemple, le CD-ROM « activités mathématiques en maternelle »). Voici les instructions de présentation pour la rédaction d'un article pour conférence mathématiques du 13 mars 2012. Les contributions ne contiennent pas de résumé.

 

Notes :

 

1L'ostension comme pratique pédagogique tente de baser le développement des connaissances sur l’observation et suppose les élèves capables d'en étendre l'emploi à d'autres situations. La présentation ostensive dite « ostension assumée » consiste en « la donnée par l’enseignant de tous les éléments et relations constitutifs de la notion visée » (Ratsimba-Rajohn, 1977). Dans sa forme appelée « ostension déguisée » (Berthelot et Salin 1992) l’enseignant cherche à s'appuyer sur l'observation « active » d'une réalité sensible ou d'une de ses représentations pour amener les élèves à y découvrir le savoir visé.

2« Le manuel scolaire carrefour de tensions mais aussi outil privilégié de vulgarisation des recherches en didactique des mathématiques » J.Briand ML Peltier 2009.

 

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